Étude de tête d'expression d'un gentilhomme, vers 1780-1790
Huile sur toile
46,1 x 35 cm ; (dans le cadre) 57,5 x 46,6 cm.
PROVENANCE
Collection privée, Suisse, jusqu'en 2020 ;
Collection privée, Royaume-Uni.
Modelée avec une considération presque métaphysique, cette étude habile est un bon exemple de la tête d’expression, une pratique académique développée en France vers 1750. Un concours officiel du même nom a été créé au sein de l’Académie Royale en 1759 (le concours de la tête d’expression), dans le but de faire progresser la compétence des élèves à exprimer une large gamme d’expressions humaines. Ici, le sujet n’est pas le modèle lui-même, mais la douce contemplation qui le préoccupe : les élèves devaient négocier entre l’individualisation et la généralisation. Ici, la tête du modèle est inclinée et avec un regard lointain vers le haut ; un trait blanc délibéré humidifie le coin de son œil, animant à la fois la passion de la méditation particulière et donnant vie à son auteur. La comparaison avec d'autres têtes d'expression permet de dater l'œuvre d'environ 1780-1790, ce qui, avec la chevelure du modèle – non nouée et non coiffée d'une perruque – confirme qu'elle date de la fin du XVIIIe siècle. Sa tenue comprend également un manteau rouge à col sombre et une cravate lâchement nouée, qui gonfle en une multitude de larges traits sous son menton. Il est probable que l'œuvre ait été créée par un élève de l'Académie, peut-être en vue du Prix de Rome.
La hiérarchie académique française avait traditionnellement privilégié la peinture d'histoire au portrait, mais un intérêt croissant pour la physionomie avait commencé à imprégner la production artistique du milieu du XVIIIe siècle. Des deux seules étapes d'études académiques qui examinaient le portrait, le concours de la tête d'expression était exigé de chaque candidat au Prix de Rome. Conçues pour pallier les limites de l'étude traditionnelle de la sculpture, les propositions codifiaient généralement diverses structures faciales ou expressions émotionnelles, et examinaient une émotion donnée (obstination, inspiration, mélancolie, par exemple). En suscitant chez le spectateur une certaine interprétation psychologique, cet exercice élargissait considérablement l'importance de l'expression humaine, considérée comme « source de vie, de mouvement et d'éloquence, âme même de la peinture et défi intellectuel et spirituel ultime pour l'artiste » (Percival, p. 65). Parmi les principaux partisans de la tête d'expression figuraient Jean-Baptiste Greuze et Élisabeth-Louise Vigée Le Brun, dont les études circulaient régulièrement sur le marché et imposaient le style dominant. Les modèles féminins étaient généralement privilégiés, dont les « passions » enthousiastes possédaient souvent un certain érotisme pour le public majoritairement masculin des œuvres. Cette œuvre est un exemple éloquent du genre, particulièrement proche de celles de Jacques-Augustin-Catherine Pajou (1766-1828) et de Jean-Louis Laneuville (1756-1826). Formant une technique unique, les zones de mélanges subtils sont recouvertes d'un coup de pinceau plus affirmé, notamment les touches de couleur arrondies qui dessinent les narines et l'œil droit. La coloration généreuse du haut du visage – pigments roses, jaunes et bleus se marient en un seul passage – et la mâchoire rasée contribuent à une merveilleuse profondeur. De plus, un subtil effet de clair-obscur ombre la moitié gauche du visage, constituée uniquement d'une couche inachevée de deux pigments translucides. Naturellement préoccupé par le visage lui-même, le style du gentleman a été moins travaillé, avec une aisance mais une assurance remarquable. En effet, le col de la veste sombre apparaît translucide au-dessus d'un col de chemise blanche plus large en dessous. Probablement le résultat naturel d'une dégradation pigmentaire, cela pourrait suggérer une retouche ou un ajout ultérieur du vêtement – peut-être un repentir de l'artiste, ou la finalisation élégante d'une étude de tête visant à accroître la valeur marchande du tableau. Le fond tonal partiellement translucide est éclairé avec une accentuation dramatique autour de la silhouette du modèle. Typique de ce type d'études, ce mode était privilégié par François-André Vincent, Guillaume Voiriot, Antoine Vestier et Alexander Roslin, entre autres.
Je remercie chaleureusement Laura Auricchio et Jean-Pierre Cuzin pour leur attention à cette œuvre.
BIBLIOGRAPHIE ET LECTURES COMPLÉMENTAIRES :
Sarah Betzer, Ingres and the Studio: Women, Painting, History (Pennsylvanie, Pennsylvania State University Press, 2012)
Yuriko Jackall, Jean-Baptiste Greuze et Ses Têtes d’expression, la Fortune d’un Genre (Paris : CTHS, 2022)
Melissa Percival, The Appearance of Character: Physiognomy and Facial Expression in Eighteenth-Century France (Leeds : W. S. Maney and Son Ltd., 1999)