Fantaisies pour un palais

Le Centre des monuments nationaux présente « Fantaisies pour un palais », une exposition qui évoquera l’imaginaire rococo du XVIIIe siècle. À travers des décors à l’aspect théâtral, le visiteur sera invité à pénétrer dans cet univers de fantaisie, guidé par de grandes thématiques comme le palais magique, le cabinet des miroirs, la grotte mystérieuse ou encore l’île enchantée.

À sa mort en 1715, le roi Louis XIV emporta avec lui le faste des fêtes données durant son règne à Versailles. Ces dernières ont subsisté dans le souvenir de certains, et ont nourri les esprits littéraires qui, dans cette nostalgie, ont su faire grandir le modèle littéraire du conte de fées.

Château de Maisons

Ces récits, par leur description de décors merveilleux, constitués de dorures, porcelaines ou miroirs annoncent l’avènement d’un courant artistique, le rococo, qui va métamorphoser les palais, châteaux et hôtels particuliers dès le milieu du XVIIIe siècle. Un air féerique souffle alors sur l’Europe et s’empare des artistes. Trompe-l’œil, jeux de miroirs, peintures murales, rien n’est trop beau pour enchanter les grandes demeures qui se transforment en lieux propices à la rêverie.

À travers des décors à l’aspect théâtral, le visiteur pourra découvrir cet univers de fantaisie, guidé par de grandes thématiques comme le palais magique, le salon des miroirs, le bosquet féerique, la grotte merveilleuse ou encore l’île enchantée de Cythère, lieu emblématique du rococo immortalisé par le peintre Antoine Watteau.

Décor du palais de Vénus dans les Fêtes
de Paphos de Jean-Joseph de Mondonville,
Algieri © Benjamin Gavaudo – CMN

Parcours de visite de l’exposition

Introduction – Fantaisies pour un palais

Dans une lettre de Louis XIV écrite le 10 septembre 1699 à Jules Hardouin-Mansart, concernant la décoration des appartements de la duchesse de Bourgogne à Versailles, le roi écrit : « Il me paraît qu’il y a quelque chose à changer, que les sujets sont trop sérieux, et qu’il faut qu’il y ait de la jeunesse mêlée dans ce que l’on fera. Il faut de l’enfance répandue partout ». C’est donc un roi endeuillé et las des guerres ayant assombri la France qui décide de cette seconde tendance, délaissant le faste pour l’élégance et la fantaisie.

Le salon des miroirs, exposition «Fantaisies pour un Palais » au château de Maisons © David Blondin – CMN

Ce nouveau style que l’on nommera art rocaille, et plus tardivement – bien que de manière péjorative – rococo, apparaît sous la Régence pour culminer sous le règne de Louis XV vers 1745. Le terme de rocaille n’est pas une invention du XVIIIe siècle puisqu’il caractérisait bien avant ces grottes artificielles qui ornaient les jardins des grandes demeures. Ce qui est nouveau au XVIIIe, c’est l’irruption de ce vocabulaire d’inspiration aquatique et végétal dans la décoration intérieure et le mobilier. Cet univers de féérie traverse les œuvres de l’époque, enrichi de trompe-l’œil, de jeux de miroirs, de peintures murales, tout un ensemble de créations fantaisistes qui théâtralise le lieu, le constitue en un décor enchanté.

Le bosquet féerique « Fantaisies pour un
Palais » au château de Maisons © David Blondin
– CMN

C’est précisément dans les contes de fées apparus à la fin du XVIIe siècle, notamment avec Madame d’Aulnoy, que s’épanouit la description de décors merveilleux : pierreries, porcelaines et miroirs mais également grottes en coquillages, dorures ou encore parterres de fleurs… autant d’éléments qui semblent annoncer l’art rococo et son esthétique galante qui va métamorphoser les palais, châteaux ou hôtels particuliers.

Ainsi l’imaginaire rococo, nous invite à une traversée du miroir, pour entendre le « bruissement de l’illusion » comme l’écrit Elisabeth Lemirre : « Un bruissement léger, comme un air très ancien qui parlerait d’un temps, où des couples en habits de taffetas s’embarquaient pour l’Ile d’Amour ».

Décor du premier acte des Surprises de
l’amour de Jean-Philippe Rameau, Algieri
© Pascal Lemaître – CMN

Le palais magique

Si le décor féerique idéalise les éléments de la réalité, châteaux de rêves ou jardins sublimes, il s’inspire également des grandioses mises en scène de l’opéra et des fêtes royales. Grâce aux ingénieuses machines inventées par les décorateurs, pour la plupart italiens, surgissent sous les yeux éblouis des spectateurs français des palais magiques ou des jardins fabuleux que survolent des dieux ou déesses dans des chars de nuages.

Des décorateurs, tels que le florentin Servandoni, n’hésitent pas à intégrer dans ces palais fictifs de nombreuses pierreries de différentes couleurs afin d’émerveiller le public. Rare témoignage de ces créations, les maquettes des décors réalisés pour l’Opéra à Paris par l’atelier de Piero Bonifazio Algieri, entre 1757 et 1760 révèlent dans leur esthétique l’influence d’un style rocaille et galant indéniable.

Le bosquet féerique « Fantaisies pour un
Palais » au château de Maisons © David Blondin
– CMN

Dans les contes, la prédominance des décors fastueux et des costumes luxueux, renvoient aux grandes fêtes royales dont celles des « Plaisirs de l’île enchantée » données par Louis XIV à Versailles en 1664. Ces six jours de fastes qui entraînèrent la Cour vers le rêve se clôturèrent par l’embrasement, dans un feu d’artifice prodigieux, du palais d’Alcine la magicienne, retenant les chevaliers ensorcelés par ses charmes.

Au temps de Madame d’Aulnoy, le modèle littéraire du palais magique demeure celui du conte d’Eros et Psyché d’Apulée, datant du IIe siècle de notre ère, alors très diffusé. Les plafonds du palais d’Eros « soutenus par des colonnes en or », sa mosaïque de « pierres précieuses taillées » ou ses murs en or massif ont alors une influence majeure tant sur les contes que les décors d’opéra.

L’île enchantée « Fantaisies pour un Palais »
au château de Maisons © David Blondin – CMN

Le cabinet des fées

Avant même la disparition de Louis XIV, la féerie des fêtes de Versailles est un songe déjà lointain. Le merveilleux ne va pas s’éteindre pour autant mais se réfugie dans des contes écrits par des femmes désireuses de faire entendre leur voix. C’est à Madame d’Aulnoy que l’on doit le premier conte de fées littéraire « L’île de la félicité » paru en 1690. Suivront ceux de Mademoiselle Leprince de Beaumont, Mademoiselle de Lubert et bien d’autres, qui parsèment leurs récits de palais enchantés, de fées étincelantes et de personnages galants que l’on retrouvera d’ailleurs représentés en figurines de porcelaine fabriquées alors par les manufactures.

Décor permettant de se prendre en photo
« Fantaisies pour un Palais » au château de
Maisons © David Blondin – CMN

L’ensemble de ces contes des XVIIe et XVIIIe siècles seront rassemblés par le chevalier Charles-Joseph de Mayer et publié en 1785 sous le titre du Cabinet des fées. À travers cette entreprise précédant de vingt ans l’œuvre des frères Grimm, le chevalier souhaitait préserver de l’oubli ces contes à une époque où l’on avait cessé d’en écrire tout en donnant aux générations futures une source d’inspiration.

Ces récits d’enchantements et de sortilèges sont lus dans les boudoirs sous la lumière des girandoles. Les fées, habillées de la même soie qui tapissent les salons, sillonnent le ciel dans des attelages de diamants ou de rubis, tirés par des cygnes, des papillons ou même des vers luisants. Les auteurs consacrent des pages entières à l’évocation minutieuse de châteaux magnifiques, conduisant leurs personnages de vestibules en cabinets, de salons en chambres à coucher, incrustés de perles, de nacre ou de pierreries.

La grotte merveilleuse « Fantaisies pour un Palais
» au château de Maisons © David Blondin – CMN

En un sens, l’écriture féerique matérialise par le discours les tendances dont les artistes et décorateurs d’alors sont les interprètes. Ainsi, le rococo et le conte de fées entretiennent-ils une relation évidente : l’un dans la réalité, l’autre dans la fiction, créent des décors placés sous le signe du merveilleux.

Le salon des miroirs

La féerie rococo est une fête illusionniste qu’accentue encore la présence des miroirs parallèles se renvoyant leurs reflets à l’infini à la lueur des lustres. Le reflet du miroir rococo est celui du mystère que sut si bien traduire le peintre Antoine Watteau en mettant en scène des personnages intemporels et énigmatiques parés de riches habits. Dans le décor rocaille, les miroirs ont aussi pour fonction d’émerveiller le visiteur tel le « Cabinet des Glaces » situé dans le palais de Wurtzbourg, chef-d’œuvre de l’art rococo allemand réalisé vers 1740, et décoré de stucs dorés et de peintures délicatement superposés aux glaces.

Pour le petit Trianon à Versailles, Marie-Antoinette fera installer un ingénieux mécanisme permettant aux glaces de s’élever du sol pour obturer des fenêtres, ce qui donnera à ce dispositif le nom approprié de « Cabinet des glaces mouvantes ».

C’est un miroir magique qui va fasciner les spectateurs du XVIIIe siècle à travers un trucage simple mais spectaculaire pour l’époque dans la comédie-ballet Zémir et Azor, adaptation du conte de « La belle et la bête » et donnée à Fontainebleau en 1771 pour les fiançailles de Marie-Antoinette et du Dauphin de France. Azor (la bête) apitoyé par le chagrin de Zémire (la belle) la laisse revoir son père et ses sœurs qui lui apparaissent dans l’encadrement d’un miroir, ou d’un tableau suivant les mises-en-scène. Un simple tulle tendu sur scène et derrière lequel se positionnaient les comédiens, qu’une lumière éclairait progressivement, permettait cet effet. Il marqua à ce point les esprits que des gravures et des peintures le firent passer à la postérité. Dans cette vision, le miroir, en tant qu’élément clef du décor rococo, devient alors une sorte d’emblème du merveilleux faisant irruption dans la réalité.

Le bosquet féerique

Avec le rococo le boudoir, lieu de l’intimité féminine par excellence, se transforme en un bosquet illusionniste à l’image de celui du château de Millemont, dans lequel autour des moulures et des miroirs s’enroulent des guirlandes de fleurs sculptées mêlant subtilement nature et artifice. En d’autres lieux ce sont des fleurs de porcelaine, spécialité alors de la Manufacture de Vincennes, qui sont fixées sur les miroirs mêmes donnant l’illusion d’un jardin flottant ou bien d’impressionnantes peintures de jardins en trompe-l’œil telles celles de Johann Baptist Wenzel Bergl créés pour le château de Schönbrunn à Vienne en 1766. Tout dans le décor rococo doit contribuer à l’étonnement et au plaisir de l’illusion.

Dans les contes de fées la description du décor floral, avec ses arabesques et entrelacs de fleurs et de feuilles évoque également un caractère essentiel du rococo. On y décrit notamment des « murailles autour desquelles tournaient des branches de glaïeuls et de roses de mer, formées par des émeraudes et des diamants jaunes ». Dans le roman libertin de Dominique Vivant Denon, Point de lendemain (1777), la vision du boudoir avec ses « portiques en treillages ornés de fleurs et de berceaux » et éclairés par des lampes de « manière magique » provoque littéralement l’enchantement du narrateur.

Si imaginatifs qu’ils soient, les jardins féeriques littéraires ne sont parfois qu’un écho idéalisé de la réalité. Ainsi aux environs de Montmorency, le Régent se fait construire un château « dont les pièces décorées de buissons peints de tapis de gazon artificiel et d’arbres de soie, donnaient l’illusion d’un paysage bucolique ». Madame de Pompadour quant à elle ornait une « serre » spéciale garnie de bouquets de fleurs de porcelaine « vaporisées de leur parfum réel ».

La grotte merveilleuse

À l’origine le terme de rocaille renvoyait aux fausses grottes de la Renaissance, assemblages de pierres parfois incrustés de coquillages et de verreries, à l’intérieur desquelles on plaçait des statues de dieux ou de nymphes. Mais au XVIIIe siècle, c’est tout le vocabulaire ornemental inspiré par les cascades et fontaines, stalagmites, concrétions et coquillages, qui fait l’objet d’un emploi systématique dans le décor ainsi qu’en témoigne le fabuleux décor rocaille à la fois minéral et aquatique de la Chaumière aux coquillages du domaine de Rambouillet voulu par le duc de Penthièvre.

La grotte rococo est un véritable décor d’opéra, avec ses incrustations brillantes et ses reflets d’eau qui provoquent l’émerveillement. L’image des baigneuses, telles celles représentées par Fragonard, y est récurrente car les motifs rococo s’inspirent également des courbes du corps féminin et la grotte renvoie toujours au sanctuaire des nymphes : le nymphée.

La grotte est aussi le lieu de la rêverie et de la réflexion. Ainsi, non loin de sa demeure, le poète Alexander Pope – instigateur de la mode des grottes en Angleterre – élabore à partir de 1720 une grotte imposante composée de stuc, de miroirs et surtout de milliers de pierres semi-précieuses provenant de pays lointains. Dans les contes, la grotte est presque souvent le repaire d’une créature surnaturelle. Dans Le prince Glacé et la princesse Etincelante (1743) de Mademoiselle de Lubert, une fée merveilleuse apparaît à un prince dans une grotte « dont la voûte et les murailles étaient couvertes de cristal », tandis que « mille et mille lumières dans des girandoles de cristal » éclaire le lieu.

L’île enchantée

Tant dans les contes que les décors rococo, le voyage vers l’île imaginaire devient une véritable métaphore de la culture française du premier XVIIIe siècle. C’est Antoine Watteau qui immortalise cette vision à travers plusieurs versions du Pèlerinage à l’Ile de Cythère dont l’une d’entre elles, conservée au Louvre, lui permet d’être reçu à l’Académie royale de peinture en 1717.

D’autres artistes représenteront à leur tour l’île mythique, sa nef fantastique et ses personnages galants avec parfois des fragments d’architectures noyées dans des brumes de rêve. Le thème du pèlerinage à Cythère n’est pas une invention du XVIIIe siècle puisqu’on le retrouve dans l’œuvre phare de la Renaissance Le Songe de Poliphile, attribué à Franceco Colonna et publié en 1499. Cythère, lieu de naissance de la déesse Vénus, devient de contes en salons la représentation obligée de l’esthétique galante.

Le titre de l’une des versions peinte par Watteau « L’île enchantée » semble renvoyer aux fêtes de Versailles. Des personnages saisis dans leur frivolité, se fondant avec légèreté dans une lumière dorée, échangeant des confidences, jouant de la musique, ou encore esquissant un pas de danse, voilà le genre des « Fêtes galantes » que Watteau inaugure en son temps. La nef aux volutes rococo, à la voilure rosée qu’entoure en voletant une nuée d’angelots demeure une vision théâtrale. Elle renvoie cependant aussi aux embarcations réelles qui emmenaient les couples galants sur la Seine vers le parc de Saint-Cloud et que sut si bien restituer plus tard Fragonard avec sa peinture « La fête à Saint-Cloud » réalisée vers 1775.

L’image de l’île galante ressurgira au milieu du XIXe siècle dans les arts et la littérature lorsque le rococo revint au gout du jour, notamment sous la plume de Verlaine avec ces vers :

Cependant la lune se lève
Et l’esquif en sa course brève
File gaîment sur l’eau qui rêve.

En savoir plus:

Exposition jusqu’au 22 mars 2020

Château de Maisons
2 avenue Carnot
78600 Maisons-Laffitte

chateaudemaisons@monuments-nationaux.fr

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