Ce tableau d’Eugène Brouillard présente une scène de sous-bois dominée par la présence massive de troncs d’arbres tombés au premier plan. Ces troncs, peints avec une matière épaisse et des gestes amples, structurent la composition et guident le regard vers le fond du tableau, où se dressent des arbres encore debout, leurs branches fines s’entremêlant dans une atmosphère presque chaotique. La palette est riche en bruns, verts sombres et touches d’ocre, créant un contraste marqué avec les lumières orangées et bleutées du ciel en arrière-plan.
La technique de Brouillard, caractérisée par l’utilisation du couteau et des empâtements, confère à l’ensemble une texture très expressive, presque sculpturale. Les formes sont suggérées plus que décrites, ce qui donne à la scène une dimension à la fois réaliste et onirique. Les troncs couchés évoquent la force de la nature et le passage du temps, tandis que l’enchevêtrement des branches crée une sensation de mouvement et de vie.
Ce tableau illustre la modernité de Brouillard : il s’éloigne du paysage classique pour privilégier la matière, la lumière et l’énergie du geste, faisant de la nature un espace vibrant et chargé d’émotion.
Né à la Croix-Rousse en 1870, Brouillard commence sa carrière comme dessinateur dans une fabrique de dentelles. À seulement 14 ans, il travaille chez Dognin, une entreprise industrielle française spécialisée dans la fabrication de tulles et de dentelles.
En 1890, à 19 ans, il expose pour la première fois au Salon des Beaux-Arts de Lyon, présentant un fusain intitulé Sous-bois, représentant un paysage de Tassin, avec au premier plan l’Izeron. En 1898, il s’associe à Bruiset pour fonder un cabinet de dessin, mais ce dernier meurt l'année suivante. Brouillard se rapproche alors de la maison Routier-Chavan, ce qui lui permet de recevoir de nombreuses commandes et de devoir engager des ouvriers pour y faire face.
En 1922, il reçoit la commande de décorer la salle des fêtes de la Mairie du 3e arrondissement de Lyon avec 18 grands panneaux, formant une fresque intitulée Lyon, cité des eaux, d'une longueur de 66 mètres. Les sujets favoris de Brouillard sont des paysages aux atmosphères particulières : des couchers de soleil, des paysages brumeux, des bords de fleuves, ainsi que des scènes prises dans le parc de la Tête d'Or. Il a une affection particulière pour les natures mortes. Il peint aussi des paysages lyonnais ou des scènes de la Dombes, représentant des mares et des étangs mystérieux, bordés de végétation luxuriante et d'arbres tordus et déformés.
Il trouve son inspiration dans la nature, mais aussi dans les œuvres de Poussin, des peintres de Barbizon, notamment Camille Corot, ainsi que de Baudin, Ravier et Vernay. Lorsqu'il parle de sa technique, il la qualifie de « cuisine », pleine de recettes imprévues et personnelles. Vers 1912, ses œuvres commencent à afficher les gris caractéristiques de sa palette, et il commence à peindre au couteau, utilisant des larges aplats brossés pour donner texture et profondeur à ses paysages.