Vues d’optique: le monde en perspective

Les vues d’optique sont des estampes en perspective rehaussées à l’aquarelle qui se contemplaient à travers un zograscope ou une boite d’optique pour créer l’illusion du relief et d’une perspective accentuée.  Ces scènes de vies citadines et portuaires très appréciées au XVIIIe sont un superbe témoignage du siècle des lumières. Dénommées « perspectives » en 1717, elles ont pris le nom de « vues d’optique » vers 1740.
Les premières vues d’optique ont été éditées à Londres au début du XVIIIème siècle. La mode se diffuse à travers toute l’Europe entre 1740 et 1790.

Vue d’Optique du Château de Versailles. (c) Galerie Aire Ona, Proantic

Il existait 4 centres de production principaux : Londres, Paris (rue Saint Jacques), Bassano et Augsbourg. Les centres secondaires sont Berlin, Vienne et la Hollande. La mode des vues d’optique est exportée en Chine et au Japon au XVIIIème siècle par l’intermédiaire des Hollandais.

un zograscope

Caractéristiques des vues d’optique

Les vues d’optique sont des estampes réalisées à l’eau-forte (et plus rarement au burin). Les exemplaires étaient coloriés à la main ou au pochoir après impression.

Pour être visualisables dans une optique, il fallait une perspective très profonde, un premier plan, un point de fuite à l’horizon situé au centre de la vue approximativement. L’angle de vue de l’image devait être supérieur à l’angle de vision moyen de l’homme c’est-à-dire 46°. Ce paramètre rapproche la vue d’optique de la photographie grand angle.

Ces critères expliquent les représentations nombreuses de rues dans leur longueur et les intérieurs des monuments.

Vue d’optique figurant l’île Saint Louis et le pont de Tournelle à Paris, époque XVIIIe. (c) galerie L’héritage, Proantic

La vue d’optique, objet de foire et de marché, est aussi appréciée par les classes aisées passionnées par les sciences disposant de cabinet de curiosités.

Les vues d’optique sont chères : à Londres, vers 1760, elles valent entre 18 shillings et 2 livres 12 shillings pièce, sachant qu’1 shilling est le prix d’une journée de travail pour un travailleur manuel londonien.

Dérivées de la vue perspective, elles tirent leur nom de l’appareil qui permettait leur visualisation, l’optique. Son élément principal est une lentille biconvexe qui donne une impression de distance, de profondeur par rapport au sujet présenté sur la vue.

Vue d’optique, époque 18ème.
(c) Cave et fils, Proantic

La vue est posée à la verticale pour varier l’éclairage entre l’avant et l’arrière de la vue. Dans les vues, des perforations recouvertes de fin papier coloré et plus rarement d’étoffe étaient réalisées. L’éclairage dorsal de la vue simulait la vue de nuit. On pouvait aussi faire naître l’illusion en peignant l’envers de la vue pour faire apparaître d’autres figures lors du passage de l’éclairage facial à l’éclairage dorsal. Des filtres de couleur pour simuler des effets rouge pour évoquer le crépuscule ou les incendies.

La boîte d’optique dioptrique (sans miroir avec une visualisation directe) dispose pour éclairer la vue d’un sommet vitré ou d’un couvercle qui peut s’ouvrir. Une bougie est placée dans la boîte. Une cheminée est prévue pour évacuer la fumée. Des cordelettes permettent de manipuler les vues.

Vue d’Optique, La Rotonde de Londres, 18ème Siècle.
(c) DESARNAUD

Le titre apparaît souvent inversé en haut de la gravure : vue à travers l’appareil optique, il apparaît à l’endroit.

Les vues d’optique pouvaient être présentées telles quelles ou coloriées à la main, à la brosse ou au pochoir à l’aquarelle ou à la gouache délayée avec une palette de couleurs vives limitées : jaune, bleu, vert, rouge, ocre, rose. Ces réalisations étaient souvent faites en ateliers par des femmes ou des enfants. Après la mise en couleurs, on doublait la vue avec un carton pour rendre plus rigide. Un cadre noir à la gouache autour de la vue intensifiait le contraste.

Vue d’optique

Thèmes des vues d’optique

Les sujets représentés peuvent être des vues topographiques (villes, ports, monuments ou paysages célèbres, extérieur des monuments), des événements marquants (scènes historiques comme la peste de 1720, la prise de la Bastille), des réjouissances, des festins, des feux d’artifice, des incendies, des sujets mythologiques, allégoriques, bibliques ou moralisateurs — surtout pour celles produites à Augsbourg, des bateaux, etc., permettant ainsi de voyager dans l’espace et le temps en restant dans son salon

À partir du début du XVIIème siècle et surtout à partir de la seconde moitié du XVIIIème siècle, les productions anglaises et hollandaises s’intéressent aux motifs chinois, avec une prédilection pour les chinoiseries du rococo (thème du bal masqué avec des costumes extravagants).

vue d’optique du port de Marseille, époque XVIIIème.
(c) Accents Baroques, Proantic

Les vues d’optique se multiplient sur les sujets d’actualité à partir de la fin du XVIIIème siècle et du début du XIXème siècle. Les catastrophes (accidents miniers, incendies), les événements royaux avec les naissances, les mariages, les décès, etc.) sont représentés sur les vues d’optique. Elles peuvent être un moyen efficace pour faire du prosélytisme politique ou religieux.

Les éditeurs de vue d’optique sont souvent à l’affût d’événements spectaculaires ou sensationnels.

Le graveur pouvait copier des vues existantes pour des monuments ou des événements européens. Le graveur pouvait ainsi copier une estampe existante ou prendre pour modèle le tableau d’un peintre célèbre (toiles de François Boucher, Tiepolo, Hyacinthe Rigaud, William Hogarth ou Canaletto).

Il pouvait aussi s’inspirer de paysages lointains décrits dans des récits de voyageurs. Le graveur pouvait être aussi un dessinateur voyageant à travers toute l’Europe et ramenant des croquis qui sont ensuite gravés comme des vues d’optique. Ainsi, Friedrich Bernhard Werner (de) est un voyageur et un dessinateur pour plusieurs imprimeurs d’estampes à Augsbourg au XVIIIème siècle.

Il est à noter le caractère documentaire de certaines vues d’optique avec la représentation de monuments détruits comme le château de Marly rasé à la Révolution et celui de Noisy le Roi ou une vue de Lisbonne gravée en 1760 sur des images antérieures à 1755, date du tremblement de terre.

Les graveurs peuvent aussi représenter des sujets liés à la mythologie et à la Bible et donc faire appel à leur fantaisie. Ainsi, une représentation du temple de Palmyre, de la tour de Babel sont le résultat de l’imaginaire des graveurs.

Montreurs d’optique

Les vues d’optique sont prisées dans des milieux sociaux très différents : loisirs agréable des salons aristocratiques, les vues sont admirées dans de belles boîtes ornées qui sont de véritables objets d’art. Le spectacle s’apprécie comme une expérimentation scientifique. Mais la vue d’optique divertie aussi les foules populaires qui se pressent lorsqu’un colporteur installe sur un marché sa boîte et commence à narrer les extraordinaires événements survenus dans un ailleurs plus ou moins lointain et inaccessible.

Durant la seconde moitié du XVIIIème siècle, les montreurs d’optique commencent à circuler en Europe dans les rues de marchés et dans les foires où pour une somme modique les spectateurs voyagent dans le temps et dans l’espace.

En Angleterre, les perspective views sont montrées à travers une boîte d’optique (peep box) transportée par le colporteur appelé en langage courant peepshow man. De telles attractions sont appelées raree show (raree signifiant ici « curiosité, chose inhabituelle »).

En Allemagne, l’appareil optique en forme de boîte est appelé Guckkasten.

En France, les montreurs d’optique ambulants viennent traditionnellement de Savoie et d’Auvergne. Les vues montrées dans une boite en bois sont montées sur châssis ou rouleau et présentent souvent la particularité d’être perforées et illuminées alternativement des deux côtés de l’image pour créer un effet de passage du jour à la nuit.

Ces spectacles sont une attraction populaire pour des européens qui mènent une vie sédentaire et rurale. Pour pouvoir être vues par un public nombreux, les boites d’optique disposent de 3, 5, 8 voire 9 ouvertures. Pour attirer les promeneurs, les montreurs d’optique lancent des boniments, utilisent des instruments sonores (cloches, trompes, tambours, vielle), des lanternes magiques et des marionnettes.

Déclin de la production de vues d’optique

La production de vue d’optique baisse à partir de 1790. Elle disparaît dans les années 1820 et vingt ans plus tard en Angleterre.

Le dernier montreur de vue d’optique (surnommé Monsieur Bouledogue) en France date de 1874. Avant la seconde guerre mondiale, à la campagne, certains colporteurs continuent à montrer des vues du XVIIIème siècle avec des personnages modernisés.

L’apparition de la lithographie à la fin du XVIIIème siècle et la naissance de la photographie en 1840 rendent caduques les vues d’optique.

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