Objets de collection: Les tabatières

À la cour espagnole et portugaise, le tabac  fut longtemps utilisé comme simple plante d’ornement. Ce n’est qu’au milieu du XVIème siècle que le médecin personnel de Philippe II commença à le propager en tant que médicament universel servant à soigner les rhumes, l’asthme et les troubles circulatoires pour n’en citer que quelques-uns. La large feuille nervurée fut d’abord fumée dans une pipe puis fut prise sous forme de poudre hachée à l’aide d’une râpe.

Tabatière avec miniature, ép. Louis XIV.
(c) Galerie Verrier, Proantic

C’est seulement en 1560 qu’elle fait son entrée à la cour de France lorsque Jean Nicot, ambassadeur auprès du roi du Portugal, en offrit à Catherine de Médicis sous la forme de poudre à priser. La reine mère l’aurait employé comme remède pour calmer ses migraines après que son médecin personnel, le grand Ambroise Paré — père de la chirurgie moderne — ait déclaré la substance inoffensive. Le traitement fut un réel succès. Catherine de Médicis en assura ainsi sa promotion et toute la cour se mit à priser. Il fut d’abord vendu chez les seuls apothicaires sous divers noms : « Herbe à la reine », « Cathérinaire », « Médicée », « Herbe à Nicot », « Herbe à l’Ambassadeur »…

Tabatière nacre et argent, époque Louis XV.
(c) Eclecticnimes, Proantic

Plus tard, ses vertus sternutatoires et l’agrément que l’on éprouvait à respirer une poudre odorante susceptible de masquer les odeurs fort peu agréables des rues à cette époque fit que la mode s’étendit dans tout le royaume. On ajouta au tabac à priser des herbes ou huiles fines afin d’en affiner le goût.

Tabatière, porcelaine tendre de Saint-cloud, 1730-1740.
(c) Galerie Verrier, Proantic

Priser du tabac devint très répandu en Europe et dans les salons européens il était fréquent d’être interrompu dans sa conversation par le son d’un éternuement, alors considéré comme distingué. Les femmes prisaient avec autant d’ardeur que les hommes. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la consommation croissante du tabac entraîne la création d’objets de grand luxe. Le plus célèbre est sans conteste la tabatière.

Boite ronde tabatière en loupe sculpté , à l’effigie de Charles X.
(c) David Balzeau & Pascale Brion, Proantic

Les grands seigneurs avaient des tabatières à profusion et s’en paraient comme d’un bijou à la mode ; ils les étalaient chez eux dans des vitrines, sur
les meubles et sur les tablettes des cheminées. Les orfèvres rivalisent d’imagination pour créer des modèles de plus en plus beaux et luxueux.

Les tabatières  devinrent le dernier accessoire à la mode mais aussi un important symbole de statut social. À ce titre, la tabatière était souvent offerte comme cadeau ou portée en tant que bijoux. Elles s’offraient volontiers en gage d’amour avec le portrait de l’être aimé, ou pour signifier son amitié. Les modèles précieux, remplis d’argent ou de pierres précieuses se transformaient en cadeaux diplomatiques ou militaires.

Tabatière en papier mâché, XIXème.
(c) Laurent Oïffer, Proantic

On trouve une infinie variété de tabatières, avec une grande gamme de matières variées; en or ciselé, gravé, émaillé  rehaussées de diamants, de perles, de pierres précieuses ou semis précieuses; en écaille brune ou blonde, cerclée, posée, piquée d’or de couleur ; en porcelaine dure de Saxe ; en pâte tendre de Sèvres, de Mennecy et de Chantilly ; en nacre, en burgau, en ivoire, en pierre dure, en vernis Martin, en écaille moulée imitant les marbres, en corne, en corozo, en noix de coco, en papier mâché, etc.

Des médaillons de toutes sortes, des mosaïques (en Italie), des miniatures et des émaux concouraient à l’ornementation de ces charmants bijoux. Ouvrir sa tabatière, prendre une prise, l’aspirer, fermer la boîte et secouer son jabot du bout des doigts était tout un art que nos gentilshommes possédaient à merveille.

Tabatière en noix de Corozo 19ème Siècle.
(c) Galerie Cannes aux pommeaux de Dandy

On en fabrique alors de toutes sortes. Les plus grandes sont des tabatières de table ; les plus petites se glissent dans les poches des vêtements où que l’on se rende. On a dit que les tabatières de femmes étaient de plus petites dimensions que celles destinées aux hommes. Il existe des tabatières pour toutes les occasions, le bal, le jeu, les visites, mais aussi la chasse. Il en existe aussi pour toutes les saisons, celles utilisées l’été étant, dit-on, plus légères. Les circonstances de la vie jouent aussi leur rôle : tabatières et boîtes des corbeilles de mariage, et… tabatières de deuil.

Tabatière en pomponne, Louis XVI.
(c) La Cour Antiquités, Proantic

Le choix est vaste : tabatières à deux tabacs, tabatières d’avare qui ne permettent qu’une petite prise, tabatières de plaisantin avec deux orifices qui ne permettent pas aux doigts du priseur de se rejoindre, tabatières trompeuses dont la forme ne laisse pas deviner le contenu, tabatières tricheuses avec un miroir au revers du couvercle, tabatières à secrets dont le couvercle s’ouvre à l’aide d’un mécanisme dissimulé, tabatières optiques qui ne révèlent leur décor qu’à la chaleur.

Tabatière ronde en poudre de corne noire. Napoléon Ier, XIXème.
(c) Eclecticnimes

Il était de bon ton de changer de tabatière chaque jour. Celles-ci s’adaptaient volontiers aux vêtements comme aux états d’âme de leur propriétaire. Extraites de la poche ou d’un petit sac, on les passait de main en main dans les salons, ce qui permettait de déterminer le rang social et la richesse du propriétaire.

On faisait collection de ces menus ouvrages du caprice, comme on recherchait les tableaux ou les médailles. Une tabatière était ainsi bien plus qu’une tabatière : bijou de valeur, enrichi parfois de pierres précieuses, orné souvent d’un portrait, il s’agissait aussi de souvenirs au pouvoir évocateur puissant, témoignant d’une amitié, d’un amour, d’un haut fait, d’un honneur singulier… et bientôt d’une époque révolue. C’est à ce titre qu’on les collectionnerait au XIXe siècle, alors même que l’habitude de priser du tabac cédait peu à peu la place à la mode des cigares et des cigarettes.

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