attribué à Dirk DRUYF (Leyden1620-1669),
huile sur toile,
61,5 cm x 76 cm.
(bon état général, quelques petits repeints et repiques)
Cadre en bois sculpté et doré du XIXème siècle (accidents et manques).
Au XVIIème siècle, Leyden (Leyde) est une des villes les plus importantes et les plus prospères des Pays Bas.
Il y a une activité culturelle intense, empreinte d’humanisme, avec une université (fondée dès 1575) et une école picturale largement reconnue et fréquentée par de grands noms tels que Gérard Dou, Pieter Potter, Harmen van Steenwyck…
Tous ces peintres ont été élèves de Rembrandt ou fortement influencés par son œuvre.
Les "fijnschilders", les peintres fins, tels qu'on les surnomme, ont fait la réputation de la ville.
La peinture connaît alors une forme de démocratisation, voire de commercialisation : à côté des chefs d’œuvre des grands maitres, circulent des productions plus modestes issues d’atelier ou de peintres moins réputés.
Les sujets de leurs œuvres y sont très variés : scènes d’intérieur intimistes, scènes tapageuses de la vie paysanne, natures mortes ou vanités…
Ce genre, qui a marqué le goût européen, trouve ses origines dans le protestantisme qui imprégnait alors la société hollandaise.
En effet, la religion protestante bannit toute représentation religieuse.
Si l’on considère, à cette époque, le rôle majeur du mécénat ecclésiastique dans les pays catholiques où la peinture servait de véritable instrument au service de la foi et du pouvoir, on comprend que les peintres hollandais aient dû se tourner vers d'autres sources d'inspiration, s'orienter vers une clientèle bourgeoise et sensible à des sujets du quotidien et à des thèmes plus prosaïques inspirés de la littérature populaire comme les "livres d’emblèmes" et créer des compositions chargées de tout un répertoire de symboles.
Les tableaux sont souvent de petite ou moyenne taille, les sujets baignent dans une lumière douce, il y règne une atmosphère intimiste.
Ils sont exécutés avec un grand souci du détail : le rendu des tissus, des verres, des métaux… sont extrêmement soignés et réalistes. Les vêtements, les corps, les symboles sont peints avec précision.
Plus le regard s'éloigne des sujets et des attributs, plus le coup de pinceau est imprécis et léger, plus la pièce est sombre et floue. Des chiens, un lit, une table dressée, un instrument de musique... se retrouvent dans beaucoup d'œuvres.
Les Anglais appréciaient tout particulièrement ce genre artistique et réservaient à ces tableaux une place de choix dans leurs intérieurs *.
Au premier plan, une jeune femme et un gentilhomme sont assis. Ils sont richement vêtus, elle, parée de perles, lui, portant l'épée ainsi qu'une chaine avec un médaillon.
La pièce est garnie d'une imposante cheminée, le mobilier composé de belles étoffes et de meubles très ouvragés.
Tous deux sont sans aucun doute issus de familles établis.
Les gestes de l'homme définissent la charge émotionnelle et physique de la scène : il est entreprenant.
La jeune femme semble pudique, troublée, dans la retenue.
Le chien, couché tout près d'elle, est d'une certaine manière le garant de sa vertu.
Au sol, une rose. Cette fleur a de multiples significations : de couleur pâle, elle est associée à la douceur, à la tendresse, mais aussi au romantisme, à la beauté et à la féminité.
Sur la gauche, un luth est appuyé vraisemblablement contre un siège sur lequel repose un vêtement.
Une fenêtre ouverte dégage la vue sur un parc ou un bois, un bouquet de fleurs est posé sur l'appui, un rideau rouge, tiré, laisse passer la lumière.
Sur la table dressée reposent une assiette, un plat garni d'un melon entamé, un citron à moitié pelé, une aiguière et un verre de vin, ensemble de petites natures mortes typiques des œuvres hollandaises de cette période.
Dans la pénombre, un lit à baldaquin au ciel orné de lambrequins et à la tête sculptée d'êtres étranges apparait défait. Sur ce lit est allongé un autre chien.
L’explication de ces symboles se trouve peut-être dans le "livre d’emblèmes" d’Otto Vaenius, ou Otto Van Veen, qui était un recueil d’emblèmes amoureux illustrant les passions humaines.
On peut ainsi interpréter cette scène comme les différentes étapes de la dualité de l'âme et du corps, une relation où la frontière entre le bien et le mal, la morale et l'accomplissement de soi, est infime : la retenue de la jeune femme s'opposant à la fougue du gentilhomme ; les fleurs et leurs parfums allant de paire avec la séduction afin d'égarer l'innocence ; les mots doux se substituant à la pureté musicale des notes évoquées par le luth ; le repas, symbole charnel, s'opposant à la morale chrétienne symbolisée par le vin, l'ensemble voisinant dans la pénombre avec un lit défait et des symboles diaboliques.
Mais ne nous laissons pas détournés par les apparences de ce moment, même s'il participe au sujet principal de notre tableau : les divers éléments réunis dans cette œuvre sont aussi une évocation des cinq sens.
La vue est symbolisée par les regards des deux amoureux, le toucher par les mains placées sur l'épaule et le poignet de la jeune femme, l’ouïe par le luth posé négligemment contre un siège couvert d'une étoffe, l’odorat par le bouquet de fleurs et leurs parfums, et enfin le goût par le repas posé et en partie consommé sur la table.
Enfin, le citron pelé, motif récurent dans les natures mortes flamandes et hollandaises, symbolise le déroulement de la vie terrestre et l'abandon progressif de l'enveloppe charnelle pour libérer l'âme et l'esprit.
"Tenter de reconstituer le sens de la peinture de genre hollandaise est un véritable exercice d’anthropologie culturelle et peut s’avérer plus délicat que la reconstitution, par exemple, des influences littéraires de Rubens », in "La Peinture de genre hollandaise au XVIIe siècle", Christopher BROWN, conservateur à la National Gallery de Londres.
Typique de l'école de Leyden, et comme la majorité des œuvres qui y furent produites, notre tableau n'est pas signé.
On peut cependant y reconnaître le type de composition et les caractéristiques des œuvres de Dirk DRUYF (Leyden1620-1669) à qui il est attribué (nous délivrons un certificat pour cette attribution).
(S.D. / E.J.)
* A ce sujet, une inscription et une étiquette collée au dos, sur le châssis, nous indique une provenance britannique : le tableau faisait partie de la collection de M. Ficher et fut entreposé dans un garde-meubles à Jersey.




































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