PAYSAN DANSANT DANS UNE TAVERNE
EGBERT VAN HEEMSKERCK
Haarlem 1634 – 1704 Londres
Papier, sanguine
26,5 × 39 cm / 10,4 × 15,4 pouces ; avec cadre noir du XIXe siècle 43 × 55 cm / 16,9 × 21,7 pouces
La fin du XVIIe siècle marque une période de profonde transformation dans l’art hollandais, où de nombreux acquis de l’Âge d’or furent réinterprétés et dotés d’une nouvelle résonance. Un exemple frappant de cette dynamique est l’œuvre d’Egbert van Heemskerck.
Né à Haarlem en 1634, Egbert van Heemskerck s’impose comme une figure charnière entre les mondes artistiques hollandais et anglais. Fils de Jasper Jaspersz van Heemskerck, un médecin respecté de la ville, et de Marytge Jansdr van Stralen, Egbert reçut sa première formation artistique auprès de Pieter de Grebber. Ses liens familiaux renforcèrent son immersion dans la scène artistique : sa mère épousa en secondes noces le marchand d’art influent Jan Wijnants, père du célèbre peintre de paysages Jan Wijnants, faisant d’Egbert et de ce dernier des beaux-frères. L’adhésion de Van Heemskerck à la guilde de Saint-Luc de Haarlem le place aux côtés de contemporains tels qu’Evert Collier et Evert Oudendijck, affirmant son enracinement dans la tradition artistique hollandaise.
Au début des années 1670, Egbert s’installa à Londres, où ses œuvres vivement satiriques séduisirent des mécènes tels que John Wilmot, 2e comte de Rochester. Son humour mordant lui valut parfois des ennuis, jusque devant le roi Charles II lui-même. Bien qu’une certaine confusion subsiste entre son œuvre et celle de son fils — également prénommé Egbert van Heemskerck — les chercheurs distinguent aujourd’hui leurs productions, reconnaissant la présence durable de l’aîné dans des collections majeures telles que le Rijksmuseum d’Amsterdam, le Louvre à Paris, le Musée des Beaux-Arts de Tournai, le Bowes Museum à Barnard Castle, la National Gallery of Victoria à Melbourne et le Fitzwilliam Museum à Cambridge.
L’ironie de Van Heemskerck est plus vive et plus acerbe que celle de ses prédécesseurs, les frères Ostade, dont il réinventa l’influence avec le regard d’une nouvelle génération. Ses peintures de la période anglaise frôlent parfois la caricature, mais dans ses œuvres graphiques — notamment les dessins à la sanguine — il reste un maître de légèreté et de grâce. La chaleur de la pierre rouge adoucit l’ironie et confère un lyrisme subtil qui convient parfaitement à l’atmosphère de la feuille présente.
Notre dessin cite avec aisance l’héritage des Ostade tout en puisant plus profondément dans le riche passé de l’art hollandais. La figure entrant par une porte évoque les scènes paysannes familières de Bruegel l’Ancien, inscrivant cette œuvre dans une tradition plus large de la peinture de genre. Fait intriguant, cette feuille correspond presque en dimensions et en style à une sanguine de Heemskerck conservée à la Morgan Library de New York, intitulée Jeune fille dansant devant des paysans dans une taverne (278 × 372 mm), acquise par Pierpont Morgan en 1909.
Il est tentant de supposer que ces œuvres appartenaient à une série consacrée aux danses rustiques dans les tavernes, incarnant l’esprit vivant de la peinture de genre hollandaise jusqu’au début du XVIIIe siècle. L’amère ironie qui traverse l’œuvre de Van Heemskerck annonce déjà l’évolution esthétique du nouveau siècle, où l’humour se fit plus acéré et la critique sociale plus marquée.
PROVENANCE
France, collection particulière