Cette remarquable commode illustre une production bisontine rare et précieuse, datable du premier tiers du XVIIIe siècle, à une époque où l’ébénisterie franc-comtoise émerge à peine dans le paysage décoratif français. Elle constitue un témoignage exceptionnel de l’art mobilier régional encore emprun du Louis XIV, antérieur aux formes galbées Régence plus largement représentées.
Architecture et construction :
Le bâti est entièrement réalisé en résineux, une caractéristique commune aux productions provinciales, mais que l'on retrouve également a Paris sous la Régence.
Le meuble présente une structure droite en plan, avec montants antérieurs arrondis et façade trèslégèrement cintrée, dans la plus pure tradition Louis XIV.
Le meuble ouvre par trois tiroirs indépendants séparés par des traverses apparentes, selon une disposition robuste et fonctionnelle, typique du style encore classique de cette époque.
Placage & décor :
La richesse du décor repose sur un placage de prunier soigneusement disposé en frisage, suivant la tradition de l'époque, créant un effet de panneaux géométriques structurés alternant entre raccordementsen pointe dd diamand, chevrons et grand losange et rectangle. Ce bois fruitier, chaleureux et finement veiné, est encadré de larges filets en loupe de noyer, visibles sur les côtés, les montants, le tablier et le piètement.
De la ronce de noyer, vient souligner avec élégance la ceinture du plateau et les traverses de facade, conférant à l’ensemble un contraste subtil mais raffiné. Ce choix de placages nobles, tous locaux, souligne l'identité régionale de la pièce tout en évoquant un raffinement digne des ateliers parisiens.
Marbre :
Le dessus est coiffé d’un exceptionnel marbre turquin de Caunes, épais de 45 mm, mouluré en bec de corbin avec gorge inférieure affinant et évitant tiute lourdeur. Ce marbre, aux tonalités bleu-gris veinées de rouge, épouse harmonieusement la teinte chaude du prunier et la profondeur de la loupe de noyer, dans un dialogue chromatique très équilibré.
Bronzes et ornementation :
La commode est ornée d’un ensemble de bronzes dorés à la mode parisienne, de très belle facture :
Poignées tombantes à rosaces godronnées,
Entrées de serrure au masque de Cérès, un motif prisé dans la grande ébénisterie parisienne de la Régence mais également employé notamment par Thomas Hache à Grenoble.
L’usage d’un tel décor, aussi soigné qu'expressif, témoigne du haut niveau de culture et de technique de l’ébéniste.
Serrures & attribution bisontine :
Deux des trois serrures sont d’origine, et présentent le poinçon réglementaire des maîtres serruriers de la ville de Besançon. Ce blason frappé à chaud (aigle surmonté d’une clé) est attesté par les règlements de 1716, qui imposaient aux serruriers bisontins de marquer leur production destinée à la menuiserie et à l’ébénisterie (Ordonnances, règlements et statuts des serruriers de Besançon, article XII). L’usage de serrures poinçonnées était une condition d’authenticité obligatoire dans la cité comtoise, et leur présence permet une attribution certaine de la commode à Besançon.
Ce poinçon est documenté et reproduit dans l’ouvrage de Bernard Deloche & Jean-Yves Mornand, L’ébénisterie provinciale au XVIIIe siècle (Éd. Faton), où plusieurs meubles sont comparés. Notamment, les auteurs soulignent que peu de meubles bisontins anciens ont conservé ce poinçon, et que la présence d’une telle marque permet de dater et situer avec certitude une pièce. En comparant la commode présentée ici à d'autres modèles reproduits dans l'ouvrage, il apparaît clairement que celle-ci est plus ancienne, encore très Louis XIV dans sa structure, là où les exemples publiés présentent déjà les courbes pleines du Régence et les galbes Louis XV.
Un document exceptionnel sur l’ébénisterie bisontine :
Cette commode n’est pas seulement décorative. Elle constitue un document historique rarissime sur l’apparition de l’ébénisterie à Besançon. Elle se distingue autant par son intégrité, la qualité de ses matériaux, que par sa valeur documentaire. Elle incarne le savoir-faire régional dans ce qu’il a de plus noble, au moment précis où l’influence parisienne commence à se diffuser dans les ateliers provinciaux.
Conclusion :
Par sa forme encore classique, la richesse de son décor, l’élégance de ses bronzes et l’authenticité de ses serrures poinçonnées, cette commode s’impose comme une pièce de collection rare, rigoureusement attribuée à Besançon, et digne des plus belles collections d’ébénisterie provinciale française.