Le verre, un Moyen-Âge inventif

Vitraux, gobelets, verres à tige, «ampoules», perles ou plaques émaillées, verres d’optique, les hommes du Moyen Âge entretiennent avec le verre un rapport de réelle fascination. Tout au long de la période, la production de verre s’enrichit de techniques de mieux en mieux maîtrisées, de formes innovantes et d’usages plus variés. Donner à voir et à comprendre ce foisonnement créatif et technique, tel est l’objet de l’exposition «Le Verre, un Moyen Âge inventif» organisée au musée de Cluny, musée national du Moyen Âge du 20 septembre 2017 au 8 janvier 2018.

Ambassadeurs de la production verrière médiévale, plusieurs chefs d’œuvre du vitrail accueillent le visiteur à l’entrée de l’exposition. Art du luxe né de la créativité des verriers mérovingiens vers le 5e siècle, le vitrail gagne ses lettres de noblesse avec l’avènement de l’architecture gothique, comme en témoignent d’importants exemples provenant de l’abbaye de Saint-Denis ou de la Sainte-Chapelle. Rendu transparent, le vitrage pénètre dans les demeures civiles les plus prestigieuses à la fin de la période.

Produit de luxe ou de semi-luxe, le verre prend progressivement place sur les plus grandes tables mais aussi, curieusement, dans les tavernes. Maintenue dans les premiers siècles du Moyen Âge, sa fabrication est réinventée par les Carolingiens. Ils mettent au point les premiers verres «de fougère», reconnaissables entre tous au coloris vert que leur donnent les cendres végétales.
En comparaison, la «blancheur» et le raffinement des productions islamiques éblouissent les Occidentaux. Au début du 14e
siècle, la virtuosité et la minutie des Italiens puis des Provençaux commencent à rivaliser avec les importations venues d’Orient. Les artisans créent d’élégants verres à décors de filets bleus. Les Vénitiens sont reconnus pour leurs gobelets émaillés tandis que, dans le nord de la France, les premiers verres à tige font leur apparition.

Le verre se décline dans des usages sacrés et savants. Parce que l’urologie est l’un des rares moyens de poser un diagnostic au Moyen Âge, l’urinal de verre devient le symbole du médecin. Avec les progrès de la distillerie, quelques alambics et autres contenants orientent le verre vers la science des apothicaires. Grâce à ceux de la recherche sur l’optique apparaissent, à la fin du 13e siècle, les premières lunettes constituées de deux lentilles convexes fixées sur un pince-nez et dites «clouantes».

lunettes dites de middleburg, 15e-siecle-

Les miroirs en verre, jusqu’alors miniatures et utilisés pour aider à la lecture, prennent de l’ampleur.  L’exposition présente ainsi l’unique exemplaire conservé de miroir parabolique, dit «à bosse», prêté par le musée historique de Vevey (Suisse).
Objets de fascination, supports d’innovation, quelque 150 œuvres en verre sont réunies dans le frigidarium des thermes de Cluny pour faire découvrir l’excellence de la production médiévale. Elles sont placées en regard d’enluminures, peintures et gravures qui en attestent les usages tout au long du Moyen Âge. Au total ce sont 230 œuvres exceptionnelles qui sont présentées.

© Musée des Beaux-Arts de Chartres
Hanap dit « Verre de Charlemagne », XIIIe et XIVe siècle, verre et métal argenté.

L’exposition «Le Verre, un Moyen Âge inventif» est organisée en partenariat avec la Réunion des musées nationaux – Grand Palais et a été rendue possible grâce à des prêts d’institutions internationales telles que le Victoria and Albert Museum de Londres (Angleterre), l’Historisches Museum de Ratisbonne (Allemagne), le service archéologique de Zélande (Pays-Bas), les musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles, le musée suédois d’histoire de Stockholm, le Museum Markiezenhof de Berg-op-zoom (Pays-Bas) ou le musée de Tarquinia (Italie). De nombreuses pièces de musées français comme ceux de Lille, Metz, Strasbourg, Caen, Avignon ou Angers dialoguent également avec les œuvres du musée de Cluny.

© Rmn-Grand Palais (musée de Cluny–musée national du Moyen-Age) / Michel Urtado
Tableau-reliquaire, XIVe siècle Argent doré, émaux translucides et opaques sur basse-taille, gemmes, verre coloré.

PARCOURS

Le verre d’architecture

Le verre d’architecture se décline principalement sous la forme de vitrail ou de vitrage. Reconnu comme « la plus belle invention du Moyen Âge », le vitrail se compose de morceaux de verre, assemblés au plomb, et le plus souvent peints. Cinq siècles ont été
nécessaires pour sa mise au point (Ve – Xe siècles) et cinq siècles pour sa déclinaison. Aux XIIe et XIIIe siècles, les verrières françaises affichent une dominante bleue et rouge, parti que refusent les austères Cisterciens. Le XIVe siècle est un temps d’éclaircissement, le XVe siècle, celui de la redécouverte des couleurs.


Dans les demeures, le vitrage ne pénètre que tardivement (XIVe siècle) et faiblement. Il reste cantonné au niveau supérieur des fenêtres, dit imposte. S’il est toujours maintenu par un réseau de plomb, il devient incolore.
Le verre trouve enfin un usage sous forme de décor d’incrustations, à la manière des luxueux exemples byzantins. Cet art attaché à la mise en valeur de l’architecture et de son mobilier repose sur la combinaison de petits éléments de verre chatoyants qui fait «briller » les parois.
Pour les hommes du Moyen Âge, créer un miroitement des surfaces ou filtrer la lumière à travers le verre, n’a d’autre objectif que de rendre grâce à Dieu.

corne à boire. 6ème siècle.

Le verre creux et ses usages

Héritier de l’Empire romain, le répertoire des formes creuses mérovingiennes et carolingiennes (VIe – Xe siècles), tend à l’appauvrissement. Au XIIIe siècle, alors que les ampoules au long col et les verres en forme de calice constituent le gros de la production chrétienne, le Proche-Orient se distingue par la qualité de ses décors émaillés et dorés.
Stimulés, les verriers occidentaux entrent à la fin du XIIIe et durant le XIVe siècle dans une période de grand dynamisme ; à leur tour, ils façonnent des verres à filets bleus (Italie, Provence), des gobelets émaillés et dorés (Venise), des coupes à tige (France du Nord). Le XVe siècle, quant à lui, assure la fortune du gobelet.
En vertu de croyances prophylactiques, le verre est longtemps introduit dans les tombes. Traduction de la lumière divine, il sert l’expression du sacré (reliquaires, calices, lampes).
Au cours du XIVe siècle, le verre participe au luxe des tables des princes et des hauts prélats. Acquis à la pièce, parfois objet de collection, il devient le symbole de l’érudit ou du bourgeois. Associé au vin, il accompagne sa consommation dans les tavernes ou lors de festins communautaires.
Avec la médecine (urinaux), la distillation (alambics, fioles), la diététique, de nouveaux débouchés lui sont ouverts.

Le verre précieux et de précision

Dans la catégorie des verres précieux, l’émail tient une place essentielle. La poudre de verre comble les alvéoles creusées dans des plaques de cuivre (technique du champlevé) ou aménagées à l’aide de cloisons rapportées (procédé du cloisonné). Si le verre est rendu opaque aux XIIe – XIIIe siècles par l’ajout d’opacifiants, sa translucidité est remise à l’honneur au XVe
siècle. Vers 1500, finement moulu, il est appliqué au pinceau.
Le prestige du verre est grand. Dans les plus importantes commandes d’orfèvrerie ou de textile, il est considéré à l’égal des pierres précieuses. Dans le nord de l’Italie, associé à l’or et à la gravure, il forme des petits tableaux de verre doré dits « églomisés ».
De leur côté, les verres de précision doivent beaucoup aux recherches menées au XIIIe siècle par l’école franciscaine d’Oxford. Connaisseurs des travaux grecs et arabes, Roger Grosseteste et Roger Bacon y expérimentent les qualités grossissantes du verre convexe. Alors que l’Antiquité connaît les «pierres à lire » (quartz semi-convexes), les hommes du Moyen Âge se servent de miroirs de poche pour «grossir les lettres ». Ils imaginent également des loupes dotées d’un manche, puis des lentilles portées au plus près des yeux (monocles, binocles). A la fin du XIIIe siècle, ils « inventent » les lunettes de presbytie, dites
« clouantes » ou «béricles), parce que taillées dans du cristal de roche (appelé béryl). Spécialisés aussi bien dans les verres de lunettes que dans les miroirs « à bosse » ou « en bosse », les verriers allemands remportent un succès croissant.

En savoir plus:

l’exposition «Le Verre, un Moyen Âge inventif» organisée au musée de Cluny, musée
national du Moyen Âge du 20 septembre 2017 au 8 janvier 2018.

http://www.musee-moyenage.fr

Vous aimez aussi