Les Choses – Une histoire de la nature morte

La nature morte retrouve enfin les honneurs d’une grande exposition parisienne, 70 ans après la dernière rétrospective à l’Orangerie en 1952.

Avec l’exposition «Les choses » le Louvre remet à l’honneur un genre souvent considéré comme mineur malgré son succès auprès des amateurs: la nature morte. L’expression française «nature morte », née à la fin du 17e siècle, définit mal ce qui est en réalité la représentation d’un amoncellement de choses, parfois bien vivantes, associées selon un ordre choisi par l’artiste. Le mot « chose » adopté par l’exposition semble donc plus adéquat pour traiter cette thématique dans son ensemble.

Vanité. Memento mori. Naples, Museo Archeologico Nazionale © Su concessione del Ministero della Cultura-Museo Archeologico Nazionale di Napoli-foto di Giorgio Albano

Depuis les débuts de l’humanité, les hommes s’intéressent à l’observation et à la représentation des choses. Celles-ci occupent une place importante dans nos vies en tant qu’objets matériels, bien sûr, mais également symboliques. Leur représentation a donc beaucoup à nous apprendre sur l’évolution de la pensée, et sur la vie quotidienne d’hier à aujourd’hui. Le genre de la nature morte permet ainsi d’entrevoir les croyances, les peurs ou encore les désirs et les rêves de l’être humain, au fil des époques et dans diverses cultures. Il nous invite aussi à questionner notre attachement actuel aux choses, entre surconsommation et préoccupations environnementales et écologiques.

L’exposition présente près de 170 œuvres réparties en 15 sections chronologiques allant de la Préhistoire au 21e siècle. Si la nature morte ne devient un genre pictural indépendant qu’au 17e siècle, les premières sections de l’exposition montrent que l’histoire de la représentation des choses commence bien avant cette date. Les haches préhistoriques (3500 avant notre ère), exposées en début de parcours, témoignent de la volonté de représenter les choses avant l’invention de l’écriture. Dans l’Antiquité, en Égypte ou en Mésopotamie, les choses représentées sur les bas-reliefs ou les tables d’offrandes funéraires accompagnent les morts pour qu’ils ne manquent de rien dans l’au-delà.

Ecole allemande, Armoire aux bouteilles et aux livres, vers 1470. Peinture sur bois. Colmar, Musée Unterlinden © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle.

On croit souvent à tort que l’art du Moyen Âge abandonne la représentation des choses pour privilégier celle du divin. Or, si elles ne sont plus représentées pour elles-mêmes, les choses sont néanmoins présentes dans l’art religieux, en tant qu’objets symboliques, tant en Orient qu’en Occident.

Giuseppe Arcimboldo, L’Automne, 1573. Musée du Louvre, Département des Peintures © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux

La dernière grande manifestation autour de la nature morte, La nature morte de l’Antiquité au XXe siècle, fut organisée en 1952 à Paris par Charles Sterling, conservateur au Louvre. La présente exposition rend hommage à ce grand historien de l’art ; il ne s’agit pourtant pas d’un remake, mais de repartir de nos savoirs et de notre mentalité contemporaine. Le point de vue intègre tout ce qui a renouvelé les techniques de représentation et les perspectives, tant en histoire de l’art ancien et contemporain, qu’en littérature, poésie, philosophie, archéologie, anthropologie, science ou écologie.

Louise Moillon (1610 – 1696), Coupe de cerises, prunes et melon, vers 1633, huile sur bois, Musée du Louvre, Département des Peintures. © 2012 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

Elargissant les frontières chronologiques et géographiques, l’exposition ouvre des fenêtres sur d’autres cultures qui ont représenté les choses en majesté, y compris quand elles n’étaient plus montrées pour elles-mêmes dans l’Occident chrétien – du VIème au XVIe siècle. Elle revisite le genre de la nature morte, dans la perspective de l’éternel dialogue entre les artistes du présent et ceux du passé, dans un renouvellement permanent du regard : des haches préhistoriques au readymade de Duchamp, en passant par les agencements étonnants d’Arcimboldo, de Clara Peeters, Louise Moillon, Zurbarán, Chardin, Anne Vallayer-Coster, Manet, De Chirico, Miró, Nan Goldin, Ron Mueck et bien d’autres.

Jean Baptiste Siméon Chardin (Paris, 1699 – Paris, 1779), Pipes et vase à boire, dit aussi La Tabagie, 1750 / 1775, huile sur toile, Musée du Louvre, Département des Peintures. © 2010 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle.

La représentation des choses par les artistes s’imprègne d’une grande variété de pratiques et d’idées, de croyances et de sentiments, qui inspirent les mouvements de la société autant qu’elles ne s’en font l’écho. À l’intérieur d’un code reconnu voire rebattu, la simplicité des choses invite les artistes à des libertés formelles inouïes.

Edouard Manet, L’Asperge, 1880, musée d’Orsay © Musée d’Orsay, Dist. RMN Grand-Palais / Patrice-Schmidt

Le genre de la nature morte doit également être reconsidéré à la faveur de l’attachement contemporain aux choses ainsi qu’aux relations nouvelles qui s’établissent entre le vivant et le non-vivant. Cette exposition contient forcément les préoccupations d’aujourd’hui : les défis écologiques, les nouveaux droits des animaux et des choses (des forêts en particulier), tandis que certaines persistances, comme celle du thème de la Vanité, révèlent des vérités anthropologiques profondes.

Vincent Van Gogh, La Chambre de Van Gogh à Arles, Septembre 1889, Musée d’Orsay © Musée d’Orsay, Dist. RMN Grand-Palais / Hervé Lewandowski

En proposant un dialogue permanent entre œuvres anciennes et contemporaines, l’exposition invite à embrasser une histoire globale de la représentation des choses à travers différents médiums artistiques tels que la peinture, la sculpture, la vidéo, le cinéma ou encore la photographie.

Musée du Louvre – Exposition jusqu’au 23 janvier 2023

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