Les Chardin des Marcille. Une passion orléanaise

Rarement un tableau n’a autant attisé les passions que Le Panier de fraises des bois (1761) de Jean Siméon Chardin, quintessence de la peinture française, mis en vente en 2022 et acquis à un prix record par le musée du Louvre après être resté depuis le milieu du XIXe siècle dans la prestigieuse collection de l’Orléanais Eudoxe Marcille (1814-1890).

Son nom à lui seul évoque celui de Chardin. Son père, François Marcille (1790-1856), issu d’une famille de courtiers en graines de la Beauce, s’était intéressé en visionnaire, dès 1822, à tous ces artistes du temps de Louis XV que plus personne ne regardait, jusqu’à réunir la plus grande collection de son temps, riche de 4500 œuvres où se trouvaient par dizaines les Boucher, Fragonard, Greuze, Prud’hon et Géricault… et, au-dessus des autres, trente Chardin.

Cette passion dévorante a été transmise avec sa collection à ses deux fils, Eudoxe et Camille. Camille, devenu conservateur du musée de Chartres, et Eudoxe, directeur du musée d’Orléans de 1870 à 1890, ont continué de promouvoir l’œuvre de Chardin, rachetant même à la mort de leur père, au-delà des œuvres qu’il avait désignées pour chacun, ce qui pouvait continuer d’être réuni de ce noyau idéal. Très naturellement, les frères Goncourt, grands biographes des artistes du XVIIIe siècle, puiseront dans cette collection de référence, où est représenté l’ensemble de la carrière de Chardin, pour écrire en 1863 la première biographie du peintre des natures mortes silencieuses et des garde-manger.

Chardin était chez lui à Orléans et, d’une certaine façon, l’était depuis toujours. Son amitié avec Aignan Thomas Desfriches (1715-1800), l’entrepreneur qui avait fait d’Orléans au XVIIIe siècle une capitale artistique, se lisait jusque dans le foulard à carreaux que Chardin porte dans son autoportrait, provenant de chez Desfriches. Desfriches possédait lui-même de nombreux tableaux de Chardin. À sa suite, Casimir de Cypierre (1783-1844), fils de l’intendant d’Orléans sous Louis XVI, dont un quai porte le nom, en possédait au moins trois. François Marcille et son fils Eudoxe allaient continuer de nourrir cette passion orléanaise.

Autour du prêt exceptionnel du Panier de fraises des bois, cinq autres Chardin provenant de la mythique collection des Marcille sont réunis pour la première fois depuis la rétrospective de 1979. Ils sont accompagnés de l’Autoportrait aux bésicles, acquisition événement qui a permis en 1991 de faire entrer dans le cabinet des pastels cet artiste cher au cœur d’Orléans, mais dont seul le souvenir habitait les collections. Chardin, plus que jamais, est chez lui au musée d’Orléans que cette famille d’amateurs discrets a contribué à élever, par ses recherches pour François, par vingt ans au service de ses collections pour Eudoxe, en lieu de redécouverte et de partage.

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