Jean-Baptiste Greuze – L’enfance en lumière

Le Petit Palais rend hommage à Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) à l’occasion du 300e anniversaire de sa naissance. Peintre de l’âme, célèbre pour ses portraits et ses scènes de genre, Greuze est l’une des figures les plus importantes et les plus audacieuses du XVIIIe siècle. Aujourd’hui méconnu, il fut en son temps acclamé par le public, courtisé par les collectionneurs et adulé par la critique, Diderot en particulier. Le peintre est aussi l’un des artistes les plus singuliers de Paris. Esprit frondeur, il ne cesse de réaffirmer sa liberté de création et la possibilité de repenser la peinture en dehors des conventions.

Jean-Baptiste Greuze, Jeune berger qui tente le sort pour savoir
s’il est aimé de sa bergère, 1760-1761.
Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.

L’exposition propose de redécouvrir son œuvre au prisme du thème de l’enfance, à partir d’une centaine de peintures, dessins et estampes, provenant des plus grandes collections françaises et internationales, avec des prêts exceptionnels du musée du Louvre (Paris), du musée Fabre (Montpellier), du Metropolitan Museum of Art (New York), du Rijksmuseum (Amsterdam), du Kimbell Museum of Art (Fort Worth), des Galeries Nationales d’Ecosse (Édimbourg), des collections royales d’Angleterre, ainsi que de nombreuses collections particulières.

Jean-Baptiste Greuze, Madame Greuze sur une chaise longue avec son
chien, vers 1759-1760.
Crayon graphite, pierre noire, plume, encre grise et noire
© Rijksmuseum, Amsterdam;

Rarement peintre n’a autant représenté les enfants que Greuze, sous forme de portraits, de têtes d’expression ou dans ses scènes de genre : candides ou méchants, espiègles ou boudeurs, amoureux ou cruels, concentrés ou songeurs, ballotés dans le monde des adultes, aimés, ignorés, punis, embrassés ou abandonnés. Tel un fil rouge, ils sont partout présents dans son œuvre, tantôt endormis dans les bras d’une mère, tantôt envahis par une rêverie mélancolique, tantôt saisis par la frayeur d’un évènement qui les dépasse. Le parcours les met en lumière autour de sept sections, de la petite enfance jusqu’aux prémices de l’âge adulte.

Jean-Baptiste Greuze, Portrait d’AnneGeneviève (dite Caroline) Greuze, 1766.
© Collection particulière

La centralité du thème de l’enfance dans la peinture de Greuze se fait le miroir des grands enjeux du XVIIIe siècle. Le nouveau statut de l’enfance – désormais considéré comme un âge à part entière –, les débats sur le lait maternel et le recours aux nourrices, la place de l’enfant au sein de la famille ou encore l’importance de l’éducation pour la construction de sa personnalité et la responsabilité des parents dans son développement sont les préoccupations des pédagogues et des philosophes, tels que Rousseau, Condorcet ou Diderot. Ces questions hantent alors tous les esprits. Nourri des idéaux des Lumières, Greuze s’en fait, par le pinceau et le crayon, le témoin, l’interprète, voire même l’ardent défenseur.

Jean-Baptiste Greuze, Tête de jeune fille, vers 1773.
Sanguine, 31 × 25,5 cm.
© Collection particulière

Tout au long de sa carrière, l’artiste interroge l’intimité de la famille, avec empathie, parfois avec humour, souvent avec esprit critique. Il se plaît à mettre en image les temps symboliques ou les rituels qui scandent la vie familiale – ainsi La Remise de la dot au fiancé (Petit Palais), Le Gâteau des rois (musée Fabre, Montpellier) ou La lecture de la Bible (musée du Louvre, Paris). Mais l’espace domestique n’est pas seulement un havre de paix. Il est aussi et souvent chez Greuze le théâtre du désordre des familles, le lieu de la violence physique et psychologique. À l’image de la vie – à commencer par celle du peintre, qui fut une succession de malheurs domestiques –, tout est complexe dans les familles de Greuze : père avare et fils maudit, père aimant et fils ingrat, mère sévère et enfant chéri, frère protecteur et sœur jalouse…

Jean-Baptiste Greuze, Tête d’enfant, dit La Petite Nanette,1770-1780.
© Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole / Photo Frédéric Jaulmes

Greuze, en radical, ose montrer la tragédie de la mort, que les enfants eux aussi peuvent éprouver. Il interroge le basculement dans l’âge adulte, la perte de l’innocence, l’éveil à l’amour, sans rien maquiller des appétits que peut susciter la beauté de la chair auprès de vieillards lubriques ou de jeunes prédateurs. Face à ce monde des adultes, souvent cruel, petit et mesquin, il y a chez Greuze comme la volonté de retourner dans le giron de l’enfance, temps de la pureté et de la candeur : fragile, mystérieux et éphémère, telle cette fleur de pissenlit sur laquelle le Jeune berger du Petit Palais s’apprête à souffler pour savoir s’il est aimé.
Pour accompagner les visiteurs dans la lecture des œuvres de Greuze, des cartels « Œil aiguisé »invitent à interroger les détails et à décrypter les sens cachés et les allégories des œuvres présentées.

Jean-Baptiste Greuze, La Mère qui traye son lait, dit
aussi L’Heureuse Mère, vers 1766.
Pinceau, lavis d’encre grise et d’encre noire sur un léger
tracé au graphite sur papier crème doublé, 29,9 × 23,5 cm

© Photo Courtesy Collection Milgro

En tirant le fil de l’enfance, mais à la lumière des grands débats qui animent le Paris du XVIIIe siècle, avec ses aspirations politiques et ses rêves de transformation, l’exposition révèle un œuvre d’une originalité et d’une audace insoupçonnées.

Exposition au Petit Palais jusqu’au 25 janvier 2026

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