Au fil du siècle, 1918-2018, Chefs-d’œuvre de la tapisserie

Le Mobilier national invite le public à relire le siècle écoulé à la lumière des œuvres les plus illustres tissées aux Manufacture des Gobelins, de Beauvais, de la Savonnerie et d’Aubusson. À travers la richesse de ses collections, conçues en collaboration avec des artistes de grande renommée, le Mobilier national offre un regard original sur les profonds bouleversements du siècle, en termes artistiques, sociologiques, politiques et techniques.
Anquetin, Denis, Serrière, Beaume, Cappiello, Bracquemond, Lurçat, Gromaire, Matisse, Picasso, Miró, Le Corbusier, Delaunay, Dufy, Derain, Hartung, Zao Wou-Ki, Vasarely, Morellet, Bourgeois… autant de grands noms qui symbolisent les fractures, les élans et les espoirs du siècle.

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Selon un parcours chrono-thématique, près d’une centaine de biens seront exposés : tapisseries, tapis, cartons et mobilier dont la qualité témoigne de la vitalité de la création et du savoir-faire exceptionnel des manufactures, qui ont traversé ce siècle en se réinventant continuellement.

Liant trame matérielle et narrative, la tapisserie reflète le passage du temps. Elle se caractérise par son aspect monumental, surtout dans la première moitié du XXe siècle et par la souplesse de son support qui favorise son itinérance.
Cette exposition est une invitation à relire le siècle dernier à travers une sélection de créations textiles issue dans sa quasi-totalité des collections du Mobilier national. Celles-ci comptent, pour la période couverte, un millier de tapisseries murales tissées en majeure partie dans les manufactures nationales des Gobelins et de Beauvais mais aussi à Aubusson, deux cents tapisseries de siège réalisées à la manufacture de Beauvais, cinq cents tapis des manufactures de la Savonnerie tissés à Paris et à Lodève. Répondant à la mission du Mobilier national, un quart de cet ensemble fait l’objet de dépôts dans les résidences de l’État, les musées, les monuments ou de prêts à des expositions en France et à l’étranger.

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La sélection présentée révèle des marqueurs guidant le visiteur au fil du temps. Réalisés d’après les cartons d’artistes renommés, les tissages constituent les empreintes matérielles des mutations artistiques, sociologiques, politiques, scientifiques et techniques que le siècle a connues.
Ils témoignent aussi du savoir-faire exceptionnel de plusieurs générations de licières et liciers qui, sur les métiers verticaux de haute-lice et horizontaux de basse-lice, ont participé à créer des œuvres d’art à part entière.

Le parcours thématique de l’exposition

Salle 1 / Après 1918 : Chaos et commémoration

Après l’armistice, en dépit des festivités organisées par le gouvernement, le soulagement fait place au sentiment d’une victoire amère. Soucieux de participer à l’élan national d’après-guerre et pour assurer de nouveaux débouchés aux manufactures nationales, Gustave Geffroy et François Carnot, administrateurs successifs de la manufacture des Gobelins, font appel à des artistes comme Robert Bonfils et Georges Desvallières. Jean Ajalbert, administrateur des ateliers de Beauvais fait de même avec Louis Anquetin et Adrien Karbowsky. Si la représentation des batailles et la glorification des exploits guerriers ne sont pas méconnues dans les productions textiles des siècles précédents, l’irruption des armes contemporaines dans les paysages de laine frappe les esprits.

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Salle 1 / Après 1918 : Les lendemains qui chantent

Les ateliers des manufactures retrouvent leurs effectifs et la production, mise au ralenti pendant les années de guerre, reprend progressivement. Les productions textiles continuent de représenter la «France éternelle » et son monde rural dans la série des villes et provinces de France, vision charmante d’un pays bien loin de la désolation des champs de bataille. Ainsi, même si les administrateurs des manufactures font appel aux artistes contemporains, les sujets restent timorés et bien loin des nouvelles préoccupations de la nation. Seule la manufacture de Beauvais portée par la politique novatrice de Jean Ajalbert accomplit un grand pas dans la modernité en associant artistes d’avant-garde et décorateurs modernes.

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Salle 2 / La représentation du monde et l’exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925

L’exposition ouvre ses portes du 28 avril au 25 octobre 1925 et rassemble dix-huit pays invités. Les manufactures nationales de tapisseries reçoivent une place d’honneur au sein du Grand Palais afin de montrer leurs dernières productions et l’excellence de leurs ateliers.
Les années de guerre, par le renfort des bataillons des lointaines colonies et des différentes nations étrangères combattant sur les terres françaises, suscitent un regain de curiosité et une avidité à découvrir le monde. Les manufactures des Gobelins et de Beauvais inspirées par « l’exotisme » ambiant mettent sur les métiers de nombreuses pièces, témoignages d’un ailleurs fantasmé et chimérique.

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Salle 3 / 1937 : Les manufactures à l’honneur

Dès 1929, se dessine une volonté unanime d’organiser à Paris une nouvelle exposition des Arts Décoratifs. Plusieurs fois retardée, l’exposition est enfin programmée pour l’année 1937. Le nombre de pays participants atteint rapidement quarante et augmente successivement jusqu’à quatre-vingts.
L’Exposition Internationale des Arts et des Techniques appliqués à la vie Moderne accueille la manufacture des Gobelins au sein d’un pavillon qui lui est spécialement dédié. Confié à l’ancien administrateur François Carnot, le choix des œuvres présentées est le reflet de la politique commerciale de la manufacture, pendant sa période d’autonomie financière. Il privilégie des pièces de dimensions moyennes et fait appel à des artistes spécialistes du décor mural qui prônent une simplification des motifs tissés. La manufacture de Beauvais est plus modestement représentée dans le pavillon de la région Île-de-France.

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Salle 4 / La Renaissance de la tapisserie

La fin des années 1930 est une période déterminante pour l’histoire de la tapisserie. Si les grandes compositions décoratives tissées à la manufacture des Gobelins connaissent un succès important à l’exposition de 1937, de jeunes artistes ont pour ambition de renouveler la création de tapisseries.

Galeristes et décorateurs travaillant avec des ateliers d’Aubusson dans un premier temps, relayés ensuite par les manufactures nationales, ont ainsi encouragé des peintres comme Raoul Dufy, Jean Lurçat, Marcel Gromaire et Jean Dubreuil à donner un souffle nouveau à la tapisserie. Se confrontant à des thèmes traditionnels dans ce domaine de la création, comme l’évocation de l’exotisme à travers le thème des Quatre parties du monde ou la représentation des Quatre saisons, ils proposent un langage textile nouveau. Celui-ci cherche à renouer avec l’âge d’or de la tapisserie médiévale: il ne s’agit plus d’imiter la peinture mais de créer des œuvres pensées dès l’origine comme des tapisseries. On assiste à une simplification des formes, à une réduction du nombre de couleurs et à l’adoption d’un tissage plus gros permettant de jouer sur des contrastes forts.

Promoteurs d’une Renaissance de la tapisserie, Lurçat, Gromaire et Dubreuil reçoivent chacun la commande par l’État d’une tenture en quatre pièces devant être tissée dans des ateliers d’Aubusson. Ces œuvres, au tissage ralenti par le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, sont très tôt considérées comme des points de références et des modèles pour plusieurs générations d’artistes et de liciers. Nombre d’entre-eux participent à ce mouvement de rénovation de la tapisserie qui s’épanouit dès la fin du conflit.

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Salle 5 / Les manufactures sous l’Occupation

La guerre n’épargne pas les manufactures nationales : Beauvais bombardé, liciers prisonniers, tissages suspendus, pénurie de matières premières, etc. À ces difficultés s’ajoutent les exigences des dirigeants politiques.
En 1941, le maréchal Pétain ordonne l’exécution d’une tapisserie à sa gloire. L’occupant entreprend à son tour de commander des tentures pour les ministres nazis. Le Reich s’intéresse en effet très tôt à la manufacture des Gobelins, si bien qu’en avril 1941 – moins d’un an après l’armistice – le montant de ses commandes s’élève déjà à 1,5 million de francs. Les manufactures de tapisseries cherchent dans un premier temps à s’y soustraire, arguant des délais de fabrication particulièrement longs mais elles doivent finalement s’y résigner. En 1944, seules deux des quatre tapisseries allemandes mises sur métier sont achevées.
Lorsqu’à la libération, après la guerre, se pose la question de leur sort, l’administrateur des manufactures, Georges Fontaine, exprime son embarras : « il m’ennuie un peu de penser que ces tapisseries qui portent la marque des Gobelins, puissent rester en circulation dans le monde. Elles ne me paraissent pas très caractéristiques de notre art, d’une part, et d’autre part elles évoquent un moment fâcheux de l’histoire de notre manufacture nationale». Confiées à la garde des musées nationaux, elles intègrent donc les réserves du musée du Louvre et du Musée d’Art moderne.

Salle 6 / Tisser les modernes : de la figuration à l’abstraction

Après la Seconde Guerre mondiale, différentes voies continuent à être explorées. La « renaissance » de la tapisserie menée par Jean Lurçat connaît son heure de gloire. La collectionneuse Marie Cuttoli fait tisser depuis les années 1920 les artistes modernes, mais fait face à des critiques de subordination de la tapisserie à la peinture. Enfin, une troisième voie explorée par la galerie La Demeure de Denise Majorel et Pierre Baudoin, enseignant à l’atelier-école d’Aubusson, est bientôt reprise dans les manufactures nationales.
Celle-ci cherche à faire collaborer liciers et artistes, avec des projets spécifiquement conçus pour être tissés. Des artistes de renom sont contactés, comme Matisse en 1946, afin de représenter en textile les avant-gardes modernes. Ce mouvement s’accentue dans les années 1960 grâce à l’action conjointe de plusieurs personnalités : André Malraux, ministre des Affaires culturelles, Bernard Anthonioz, directeur de la création artistique, Jean Coural, administrateur du Mobilier national et Pierre Baudoin, nommé conseiller artistique pour les manufactures nationales.
La tapisserie est repensée, elle devient selon le mot de Le Corbusier le «mural des temps modernes » ou «muralnomad». La copie exacte du tableau de peintre disparaît au profit d’une interprétation plus subtile, qui fait la part belle aux techniques variées de tissage. L’œuvre fournie par l’artiste prend des formes variées : toile, gouache, lithographie ou encore reproduction photographique.

Salle 7 / Abstractions / La poésie du geste

Au moment même où l’on tisse dans les manufactures nationales les artistes majeurs du début du XXe siècle, une nouvelle génération de peintres fait son entrée au Mobilier national. Dès la fin des années 1950, sont ainsi transposées en tapisseries les œuvres d’artistes de l’abstraction française: Raoul Ubac, Hans Hartung ou encore Zao Wou-Ki.

La peinture de l’après-guerre s’illustre par une crise du sujet et beaucoup s’engagent dans la voie de l’abstraction, en France ou aux États-Unis. Le passage au non-figuratif est également vu comme un renouveau du médium textile. En 1952, une exposition à la galerie Denise René marque l’engagement résolu de la tapisserie dans l’abstraction, avec des œuvres tissées à Aubusson d’après Kandinsky, Herbin ou Arp. Ce mouvement est confirmé en 1969, lors de la IVe Biennale internationale de la tapisserie de Lausanne, où la section française ne présente plus que des artistes abstraits.

Les créations des artistes présentés ici illustrent le souci de l’émotion rendue par la peinture, la matière et la couleur. La perspective est malmenée, et détournée au profit d’une onctuosité picturale. De nombreux artistes tels, Gustave Singier ou Alfred Manessier témoignent d’un vif intérêt pour le médium de la tapisserie, comme pour les arts appliqués, vitrail ou mosaïque.
La tapisserie, même si elle n’est plus aussi monumentale qu’au début du siècle, retrouve sa fonction décorative, dans un langage moderne, grâce à cette veine sensible et poétique.

Salle 7 / Abstractions / Illusions d’optique

En 1955, l’exposition « Le Mouvement » à la galerie Denise René marque l’avènement de l’art cinétique, théorisé par Victor Vasarely dans le Manifeste jaune. Ce courant se répand dans les années 1960 en Europe et aux États Unis, sous des appellations diverses. Il recoupe des pratiques variées, à la fois des œuvres mobiles ou actionnées par le spectateur, et des pièces fixes qui, par un jeu d’optique, se métamorphosent dans l’œil du visiteur. Ces dernières reçoivent également le nom d’art optique, ou op art.

Dès 1966, l’art cinétique fait son entrée au Mobilier national. Quelques artistes, Vasarely, Agam ou Schöffer, fournissent chacun plusieurs œuvres à tisser. Les compositions hypnotiques de Vasarely remportent un vif succès et il conçoit une dizaine d’œuvres pour les manufactures nationales.

De son côté, Yaacov Agam entame une collaboration fructueuse avec le Mobilier national en 1971, quand il conçoit à la demande du président Pompidou un ensemble architectural pour l’Élysée. Cet environnement cinétique total, recouvert du sol au plafond, est une véritable polyphonie chromatique, de 189 couleurs. Avec le savoir-faire des manufactures nationales, ses projets de tapis et tapisseries, par leur nature mobile et souple, deviennent un support de choix pour des recherches autour de la notion du mouvement.

Les œuvres présentées dans cette salle illustrent l’ambition résumée par Agam, «dépasser les considérations purement décoratives et donner à la surface un caractère d’émerveillement magique ».

Salle 8 / Expérimentations

Dans les années 1970, la tapisserie est remise en question, à l’occasion des Biennales internationales de Lausanne, où fleurissent des projets qui interrogent la planéité des œuvres textiles. Des artistes s’inscrivent dans cette voie en créant eux-mêmes des œuvres abstraites qui jouent sur la matière.

Cette pratique essaime dans toute la France, en particulier à Angers. Face à ce renouveau, un atelier de recherche est créé au sein des manufactures nationales, pour réaliser des essais de tissages avec des matériaux nouveaux, naturels ou synthétiques. Les liciers explorent le volume et exploitent les spécificités techniques du tissage qui permettent découpes, creux ou formes arrondies. Ils conçoivent également des panneaux muraux en Savonnerie, le point noué étant habituellement utilisé pour les tapis au sol.

Les manufactures des Gobelins ou de Beauvais sont restées fidèles à la technique traditionnelle sur métier de lice, et malgré quelques expérimentations, la muralité des œuvres n’a jamais été remise en cause. Depuis cette date, elles poursuivent leur travail avec des artistes contemporains de toutes mouvances et origines, dans un dialogue renouvelé à chaque projet.
Elles tentent de nouvelles approche, cherchent les transpositions les plus virtuoses des chinés, des coups de pinceau, des effets de transparence et de mouvement.
Leur technicité est sans cesse mise à l’épreuve et tout en maintenant un savoir-faire multiséculaire, elles s’ouvrent à des nouvelles technologies.

En savoir plus:

Horaires
Jusqu’au 23 septembre 2018

Lieu
Manufacture des Gobelins
42 Avenue des Gobelins
75013 Paris 13

Site officiel
www.mobiliernational.culture.gouv.fr

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