La terre, le feu, l’esprit: Chefs-d’œuvre de la céramique coréenne

Si la céramique est créée à l’aide de terre et de feu dans le monde entier, son style et ses caractéristiques varient grandement d’une région à l’autre. La céramique coréenne incarne à merveille le caractère unique de la Corée et l’esprit du pays. Elle est un domaine artistique à part entière. Cette exposition présente de nombreux chefs-d’œuvre de la collection du National Museum of Korea, dont bon nombre ont été officiellement désignés Trésors et Trésors nationaux. Elle permet aux visiteurs d’explorer toute l’histoire de la céramique coréenne, en se plongeant dans l’esprit qui l’habite.

La terre, le feu, l’esprit
La terre, le feu, l’esprit

L’exposition présente une vision d’ensemble de la céramique coréenne, des temps anciens de la période des Trois royaumes à l’ère contemporaine, en passant par les dynasties Goryeo et Joseon. Parmi les œuvres anciennes les plus remarquables figurent notamment des vases anthropomorphes, souvent enterrés avec les défunts pour guider leur âme dans l’au-delà conformément aux croyances funéraires de l’époque.

Par ailleurs, la culture aristocratique florissante de la période Goryeo est représentée par des vases en céladon aux formes somptueuses et aux généreuses couches de vernis brillant couleur jade, qui témoignent des goûts raffinés de la noblesse. L’optimisme et l’énergie du début de l’ère Joseon s’expriment à travers les ouvrages buncheong, libres et créatifs, tandis que la beauté austère de la porcelaine blanche immaculée rappelle les principes du néoconfucianisme promus par la société Joseon.

Verseuses en forme de cheval avec son cavalier Royaume de Silla, V e siècle Terre cuite, H. 26,8 cm et 23,4 cm Découverte 1916 National Museum of Korea (Trésor national) © National Museum of Korea
Verseuses en forme de cheval avec son cavalier Royaume de Silla, V e siècle Terre cuite, H. 26,8 cm et 23,4 cm Découverte 1916 National Museum of Korea (Trésor national) © National Museum of Korea

Par ailleurs, les pièces de la vie quotidienne en céladon et porcelaine blanche, notamment la vaisselle ou les boîtes à cosmétique … offrent un aperçu passionnant de la vie de tous les jours à cette époque. On dit que le véritable sens esthétique de la Corée est incarné par les « jarres de lune », de grandes jarres quasiment rondes en porcelaine presque blanche qui rappellent la pleine lune. Leur charme unique captive immanquablement l’observateur.

 

Dynastie Joseon, v. 1485 Porcelaine blanche, pierre National Museum of Korea
Dynastie Joseon, v. 1485 Porcelaine blanche, pierre National Museum of Korea

La céramique coréenne en France

Très réputée en Chine et au Japon, la céramique coréenne est restée longtemps méconnue en France. Du fait de la fermeture du pays à partir du XVIe siècle, les céramiques coréennes ne s’exportent pas vers l’Europe. Au XVIIIIe siècle, les aristocrates collectionnent les porcelaines de Chine et du Japon. Les porcelaines japonaises de style kakiemon à décor rouge, vert et bleu, sont parfois qualifiées par erreur de coréennes. Mais les véritables productions de Corée restent ignorées. En 1881 encore, O. du Sartel, auteur d’une histoire de la céramique chinoise, indique à tort dans son ouvrage qu’il n’existe pas à proprement parler de porcelaine coréenne.

La terre, le feu, l’esprit: Chefs-d’œuvre de la céramique coréenne

Il faut attendre l’ouverture du pays à partir de 1880 pour que la céramique coréenne soit mieux connue en France. Les premiers exemples rapportés par Charles Varat (1843-1893) à la suite d’un voyage en Corée sont présentés au public au musée d’ethnographie du Trocadéro en 1889. Par la suite des céramiques coréennes entrent dans les collections du musée national de la céramique de Sèvres puis du musée Guimet grâce aux dons de Victor Collin de Plancy (1853-1922), premier consul de France en Corée. Dans le même temps, Anatole Billequin (1836-1894) publie un article bien renseigné sur la porcelaine coréenne, à partir de traductions de textes chinois anciens.

La terre, le feu, l’esprit: Chefs-d’œuvre de la céramique coréenne

Lors de l’exposition universelle de 1900 à laquelle la Corée participe, les céramiques sont admirées aux côtés des ouvrages imprimés. Les amateurs français de céramiques japonaises, à l’image de Raymond Koechlin (1860-1931) ou du peintre Raphaël Collin (1850-1916), collectionnent à leur tour les grès coréens très appréciés au Japon depuis le XVe siècle et utilisés au cours de la cérémonie du thé. Leurs collections viennent souvent à leur mort enrichir les musées français.

La terre, le feu, l’esprit: Chefs-d’œuvre de la céramique coréenne

Avec le succès économique et le dynamisme culturel de la Corée du Sud à partir des années 1980, la céramique coréenne séduit plus largement. Plusieurs expositions lui sont consacrées de Paris à Sao Paulo (en 2012). Les artistes coréens contemporains rencontrent un grand succès dans les foires internationales, à l’image de Lee Ufan (né en 1936). Cette tradition ancienne séduit également les artistes céramistes français qui s’en inspirent pour créer des œuvres audacieuses comme les formes abstraites en céladon de JeanFrançois Fouilhoux (né en 1947).

La terre, le feu, l’esprit: Chefs-d’œuvre de la céramique coréenne

I. Culture ancestrale et poterie

Les premiers vases en céramique étaient utilisés pour stocker l’eau et la nourriture. De l’âge néolithique à l’âge de bronze, le type de poterie le plus répandu était la poterie tendre. Cependant, à partir de la période des Trois Royaumes, les températures de cuisson dépassent les 1000° C, ce qui permet de produire de la poterie dure, légère mais robuste.

Au cours de la période des Trois Royaumes, la péninsule coréenne est principalement divisée entre les royaumes de Goguryeo, Baekje, et Silla mais aussi de Gaya qui fut finalement intégré à celui de Silla. Chacun de ces royaumes produit un style de poterie différent avec ses caractéristiques propres. Au fil du temps, l’utilisation de la céramique s’étend à la fabrication de vases de types très variés pour la vie quotidienne. Véritable miroir des modes de vie, des priorités, des mentalités et de la conception de l’au-delà de ceux qui les produisent, les objets en céramique constituent des ressources cruciales pour aider les chercheurs contemporains à restituer les cultures coréennes ancestrales.

Après que le royaume de Silla eut conquis ceux de Goguryeo et Baekje, unifiant ainsi la péninsule coréenne, les différents types de poteries des Trois Royaumes sont remplacés par celui du Silla Unifié, qui comprend des éléments de poterie traditionnelle de Goguryeo et de Baekje. À partir de la fin du VIe siècle, les céramiques du Silla Unifié sont caractérisées par des créations élaborées sur lesquelles de petits motifs stylisés (triangles, cercles, gouttes d’eau ou fleurs par exemple) sont tamponnés à plusieurs reprises sur l’ensemble de la surface. Vers la fin de la période du Silla Unifié, céramiques ressemblant à du céladon font leur apparition, posant les jalons de la céramique de renommée internationale de la période Goryeo.

II. Des formes et des couleurs tout en élégance : le céladon de Goryeo

Dans la péninsule coréenne, le céladon fut produit pour la première fois au Xe siècle, durant la période Goryeo, après l’introduction de techniques de production de céramique en provenance de la Chine. Cependant, le céladon de Goryeo se distingua rapidement de ses homologues chinois. En effet, les potiers cherchèrent à développer de nouveaux styles en accord avec l’esthétique du peuple coréen de l’époque. La couleur jade du céladon de Goryeo représente le mélange harmonieux du bleu et du vert, adouci et accentué par une délicate brillance. En effet, cette sublime glaçure couleur jade était perçue comme «la plus belle sous le ciel», selon des archives de la dynastie Song du sud en Chine (1127-1279).

La beauté de la glaçure couleur jade est soulignée par les formes raffinées qui caractérisent le céladon de l’époque Goryeo. Cette association exceptionnelle de formes et de couleurs est représentée au mieux par les vases figuratifs en céladon qui tirent leurs formes d’éléments naturels telles que les personnes, les animaux, les plantes ou les fruits. Expression ultime de la beauté et du raffinement qui définit l’esthétique Goryeo, les vases figuratifs en céladon capturent de manière dynamique et réaliste les traits caractéristiques de leur modèle.

Différentes techniques sont utilisées pour décorer les céladons, dont celle de l’incrustation, appelée sanggam, qui constitue l’innovation caractéristique de la période Goryeo. Cette méthode requière des techniques avancées de cuisson et de fabrication qui incarnent la créativité et la beauté des céladons de Goryeo.

Couleur de jade et formes de la nature

Le céladon fut d’abord inventé pour reconstituer la couleur et la texture du jade. Le poète de Goryeo, Yi Gyubo a écrit que le céladon possède « la couleur du jade, la brillance claire du cristal et la dureté de la pierre. »

Le céladon couleur jade était associé au luxe et seules les personnes de rang élevé, tels que le roi, la famille royale et l’aristocratie, pouvaient en posséder. Ces derniers vivaient aisément et dans le prestige, profitant de nombreux privilèges politiques et sociaux. La glaçure couleur jade et les formes élégantes des céladons de Goryeo reflètent parfaitement leurs goûts.

Les objets en céladon en forme de personnes, d’animaux, de plantes ou de fruits furent essentiellement créés et utilisés au XIIe siècle, période de l’apogée du céladon Goryeo. Ils étaient particulièrement prisés pour leur forme exceptionnelle et leurs courbes délicates.

Motifs populaires et technique de l’incrustation

Grâce à différentes techniques, dont celle de l’incrustation, les objets en céladon étaient ornés de symboles de bon augure reflétant les idéaux et les aspirations du peuple coréen de la dynastie Goryeo. Les motifs de paysages lacustres, de grues dans les nuages et d’enfants avec des grappes de raisin étaient particulièrement appréciés du peuple de Goryeo.

La technique de l’incrustation par laquelle des dessins étaient gravés dans l’argile de base puis comblés par une argile d’une autre couleur, constitue l’innovation caractéristique de l’époque. Les dessins, comblés par une argile blanche ou ocre ressortaient avec beaucoup de contraste par rapport au fond, tout en restant visibles sous la couverte céladon translucide. Les quatre matériaux utilisés pour créer des céladons incrustés (l’argile de base, l’argile ocre, l’argile blanche et la glaçure) se comportent différemment pendant la cuisson et les phases de refroidissement, provoquant souvent des cassures. Le céladon incrusté est donc très difficile à produire et exige une grande maîtrise technique.

III. Modération et libération : le buncheong

Le buncheong est un type de céramique propre à la Corée. La céramique se divise généralement en deux groupes majeurs – le céladon et la porcelaine blanche – mais le buncheong n’appartient à aucune de ces catégories. Il occupe en effet une position intermédiaire, formant un pont entre le céladon d’époque Goryeo et la porcelaine blanche de l’époque Joseon.

Le terme buncheong, qui signifie littéralement « céladon poudré », se réfère à des pièces de grès au corps gris charbon et à l’engobe blanc épais. Le buncheong est particulièrement réputé pour ses motifs insouciants et dynamiques qui ornent souvent ses surfaces blanches. Ces derniers sont exprimés par des incrustations, des incisions ou des motifs peints en brun de fer sous couverte.

Bien qu’il fût produit sur une période relativement courte (environ 200 ans), le buncheong reflète un chapitre crucial de l’histoire des céramiques coréennes grâce à ses éléments contrastants de liberté et de sobriété. S’inscrivant dans la tradition du céladon de Goryeo, les premiers modèles de buncheong incrustés et tamponnés étaient réservés à la cour et se caractérisaient par leurs formes et leurs motifs épurés. Le buncheong qui se développa plus tard, en revanche, était réputé pour ses formes grossières et ses motifs abstraits, souvent humoristiques, réalisés par incisions, sgraffito ou en brun de fer sous couverte. Très appréciées jusqu’à aujourd’hui, ces expressions libres caractérisent désormais l’essence des céramiques buncheong.

IV. Propriété et dignité : la porcelaine blanche

Les céramistes de la dynastie Joseon, influencés par la porcelaine blanche des Yuan et des Ming en Chine, parvinrent à créer un nouveau type de porcelaine blanche et « dure ». Mêlant beauté éclatante et résistance impressionnante, la porcelaine blanche devint immédiatement le matériau de prédilection des céramiques royales de la dynastie Joseon. La porcelaine blanche destinée à la cour de Joseon était fabriquée dans les fours officiels sous la supervision du bureau gouvernemental responsable de l’approvisionnement du roi et de la cour en denrées alimentaires.

L’idéologie dominante de la dynastie Joseon était le néoconfucianisme qui accorde une grande importance aux cérémonies, aux rituels et aux convenances. Un grand nombre de ces rituels impliquaient l’utilisation d’objets en céramique qui étaient toujours constitués de porcelaine blanche. Les jarres à placenta, les services funéraires et les jarres à décor bleu et blanc aux motifs de dragons constituent des exemples représentatifs des céramiques rituelles de la dynastie Joseon.

La fabrication de la porcelaine blanche dure permit la production de porcelaines ornées de magnifiques motifs peints en bleu de cobalt sous couverte, apogée de la porcelaine de l’époque Joseon. Pour fabriquer la porcelaine bleue et blanche, les peintres les plus talentueux de la cour issus du Bureau de la peinture se rendaient dans les fours officiels et peignaient les motifs directement sur les vases en porcelaine blanche.

D’abord réservée exclusivement à la cour, la porcelaine bleue et blanche de Joseon devint progressivement accessible à l’aristocratie des lettrés puis aux familles aisées. Vers la fin de la période, la production et la diversité des formes des porcelaines bleues et blanches s’étaient considérablement élargies. Ainsi, leur utilisation s’étendait des objets de cour rituels à la vaisselle et aux objets du quotidien.

Objets rituels

Dans le respect des principes néoconfucianistes, les rites ancestraux et les cérémonies de la cour tenaient une place de choix durant la période Joseon. Les instruments destinés à ces rites étaient généralement fabriqués en porcelaine, en métal ou en bois. Le vase rituel représentatif, qui incarne la grande dignité de la cour, est une jarre en porcelaine bleue et blanche ornée d’un motif de dragon destinée à contenir du vin ou des fleurs lors des différentes cérémonies de la cour. Ces vases étaient fabriqués selon des normes et des procédures très strictes, dictant la forme, les motifs d’ornement et le positionnement des vases au cours de la cérémonie. Parmi les autres céramiques/porcelaines rituelles importantes figurent les jarres à placenta dans lesquels étaient conservés le placenta et le cordon ombilical d’un prince ou d’une princesse à sa naissance, les objets destinés aux rites ou encore les services funéraires enterrés avec le défunt composés en général de figurines et répliques miniatures d’objets du quotidien.

En savoir plus:

La terre, le feu, l’esprit: Chefs-d’œuvre de la céramique coréenne

27 Avril 2016- 20 Juin 2016

Grand Palais, Salon d’Honneur – Square Jean Perrin

http://www.grandpalais.fr/

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