Le bagnard et l’art de la débrouille

Plus de 100 000 hommes ont été envoyés au bagne. Une petite minorité d’entre eux a laissé des oeuvres artistiques et artisanales qui font perdurer un peu de leurs vies plongées dans le cloaque que fut le bagne.

La production artistique au bagne est essentiellement issue d’un système d’économie parallèle, commun aux bagnes portuaires et coloniaux surnommé communément “camelote”. Elle s’effectue en dehors des heures de travail quotidien et constitue une manne financière tolérée par l’administration pénitentiaire. Elle est destinée à améliorer leurs conditions de vie à l’intérieur du bagne où la circulation d’argent est interdite. Elle engendre alors de nombreux trafics qui permettent de se procurer ce que l’administration pénitentiaire ne fournit pas : alcool, prostitution, suppléments de nourriture, jeux de cartes ou organisation d’une évasion.

Tabatière en corozo, travail de bagnard, XIXème siècle.
(c) Luc de Laval , Proantic.

Les objets sont réalisés à partir de matières premières naturelles (bois, corne, écaille, noix, paille, nacre, os, papillons…), de matériaux recyclés ou subtilisés par les bagnards qui élaborent et modèlent ainsi tout un artisanat local: coupe-papiers, cornes ou noix de coco et coquillages sculptés, marqueteries de paille, bijoux, cannes, pipes, guillotines-coupe-cigare en cuivre et en bois précieux, peintures..

Tableau ex-voto en coquillages, travail de bagnard, XIXème siècle.
(c) Luc de Laval , Proantic.

En Nouvelle-Calédonie, « les particuliers se prennent au jeu de posséder des meubles, plateaux en marqueterie que le bagne leur propose ainsi que la nacre qui constitue un support de choix, matériau favori du condamné ». En effet, ce travail clandestin des coquilles prend des proportions considérables dans les années 1870 avec le concours de l’administration qui l’encourage et crée plusieurs « bazars » ( Nouméa, île de Nou). Elle offre aux condamnés les outils nécessaires et les coquillages en grand nombre et en bon état. Cependant, les plaintes des commerçants et des perquisitions provoquent l’arrêt de ce trafic.

Noix de coco / calebasse sculptée, travail de forcat
Epoque XIXe.
(c) Antiquités Sordes, Proantic.

Dans cet enfer corrompu, il faut aux bagnards-créateurs une envie, une invention, pour trouver les supports, les instruments et le matériel leur permettant de réaliser des œuvres qui, bien qu’originales, humoristiques, insolentes ou drôles pourront être décrétées par l’administration pénitentiaire, insultantes, dénonciatrices, subversives, et donc motiver des punitions.

Ils choisissent donc des thèmes sans danger, comme la nature, omniprésente dans l’œuvre picturale des bagnards. En parallèle de cette production conventionnelle, on constate la réalisation d’œuvres plus élaborées et originales.

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