PROJET DE DÉCOR POUR UN ÉVENTAIL AVEC UNE SCÈNE DE LA COMÉDIE DON QUICHOTTE
ÉCOLE FRANÇAISE VERS 1730
Gouache sur papier, cadre d'origine XVIII rococo avec verre ancien.
22,5 x 40,5 cm / 8,9 x 16 pouces, avec le cadre 31 x 49 cm / 12,2 x 19,3 pouces
PROVENANCE
France, collection particulière
DON QUICHOTTE, LES BOURBONS ET LA MODE HISPANISANTE EN FRANCE
La Guerre de Succession d’Espagne (1701–1714) et l’installation de la dynastie des Bourbons sur le trône espagnol marquèrent non seulement un tournant géopolitique majeur, mais aussi le début d’une véritable hispanophilie à la cour de France. Avec l’avènement de Philippe V, petit-fils de Louis XIV, l’Espagne devint une source d’inspiration prisée. Cette fascination se traduisit dans la mode : les dames de l’aristocratie portèrent des mantilles, les portraits et les mascarades adoptèrent des éléments vestimentaires ibériques, et le théâtre fit de l’Espagne un terrain de jeu favori. Notre dessin pour éventail s’inscrit dans ce moment de dialogue culturel – une époque où le baroque français épousait les fastes et les couleurs du théâtre espagnol.
DON QUICHOTTE SUR LA SCÈNE FRANÇAISE : THÉÂTRE, BALLET ET SCÉNOGRAPHIE
Au début du XVIIIe siècle, Don Quichotte devint une figure centrale du théâtre français. Entre 1715 et 1730, dramaturges et chorégraphes réinventèrent l’œuvre de Cervantès comme un réservoir inépuisable de scènes spectaculaires. Loin de s’attarder sur sa portée philosophique, ils en exploitèrent la veine comique, burlesque et visuellement attrayante. Campistron, Destouches, Fuzelier, Marivaux et Coypel adaptèrent des épisodes avec liberté et imagination.
Parmi ces épisodes, Les Noces de Gamache connurent un succès particulier. Décrites avec une précision savoureuse par Cervantès, elles offraient un terrain fertile pour le théâtre : festin somptueux, exagérations comiques, et l’entrée théâtrale de Don Quichotte. En 1720, Charles-Antoine Coypel en fit le sujet d’un ballet héroïco-comique, donnant à cette scène une vie scénique durable.
UN SPECTACLE FIGÉ : L’ESTHÉTIQUE DE NOTRE DESSIN POUR ÉVENTAIL
La gouache présentée ici – autrefois identifiée comme un projet de décor – est en réalité une composition pour éventail, comme en témoigne sa courbure. Elle illustre L’arrivée de Don Quichotte au festin de Gamache dans le langage visuel du théâtre baroque français. Rideaux majestueux, plans successifs, gestes théâtraux, atmosphère festive : tout évoque la scénographie sous Louis XV. Au centre, des dames élégantes portent des plats ; à gauche, les silhouettes reconnaissables de Don Quichotte et Sancho Pança ; à l’arrière-plan, une ville surgit dans une brume poétique. Ce n’est pas qu’une peinture – c’est une mise en scène miniature, un théâtre portatif.
L’ÉVENTAIL : SYMBOLE DE MODE, DE POUVOIR ET DE SÉDUCTION
Loin d’être un simple accessoire, l’éventail était un prolongement de la personnalité, un instrument de mode et un outil de communication. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, il devint un véritable « sceptre de la féminité », permettant de dissimuler un sourire, accentuer un geste ou exprimer une émotion muette. Sa feuille – en soie, vélin ou papier – servait de support à des scènes mythologiques, pastorales ou théâtrales, souvent peintes par des miniaturistes talentueux. Dans la vie de cour, l’éventail était à la fois objet utilitaire et instrument de représentation, accompagnant les femmes dans les salons et bals dans une chorégraphie constante de raffinement et de langage corporel.
Ce dessin, à la fois théâtral et hispanisant, capture toute la richesse de cette époque. Il est à la fois œuvre d’art et objet de société – célébration de Don Quichotte, du théâtre baroque et de l’éventail comme emblème d’élégance et de narration visuelle.