Épire ou Macédoine, ca. 1250–1320
Avec étui post-byzantin en argent repoussé (XVIᵉ siècle)
DIMENSIONS
Croix : 43 × 26 × 9 mm
Étui : dimensions proportionnelles, non mesurées
Née dans le silence d’un monastère d’Épire ou d’Ohrid vers 1250–1320, cette croix-reliquaire fut façonnée comme un petit sanctuaire : filigrane torsadé, cristal de roche bombé, buis clair alors fraîchement taillé. Au moment de sa fermeture, de fines fibres de reliques textiles se glissèrent entre le bois et le métal, où elles reposent encore, prisonnières du geste médiéval.
Portée sur la poitrine de plusieurs higoumènes successifs, elle a vu la lueur des cierges, respiré l’encens, accompagné les processions et reçu les prières de générations de moines. Au fil des siècles, le buis s’est obscurci, le cristal s’est voilé, et la croix a conservé en elle la mémoire profonde de ceux qui l’ont servie et protégée.
Placée au XVIᵉ siècle dans un étui d’argent, elle y a laissé son empreinte comme un sceau silencieux du temps. Ainsi parvenue jusqu’à nous, elle se présente non comme un simple objet, mais comme un témoin vivant de la foi byzantine et de sept siècles de dévotion.
DESCRIPTION
Petite croix-reliquaire monastique en vermeil filigrané et émaillé, typique des ateliers actifs entre l’Épire et Ohrid au tournant du XIIIᵉ et du XIVᵉ siècle. L’objet conserve ses reliques visibles dans cinq alcôves frontales, protégées par des lentilles de cristal de roche bombé, aujourd’hui devenues laiteuses. Derrière ces lentilles affleurent les reliques anciennes, tandis que certains rouleaux filigranés renferment de minuscules fragments de tissu, rappel de leur fonction de réceptacles secondaires.
Le revers est fermé par une plaque de bois sombre d’origine, identifiée comme du buis ancien (Buxus sempervirens), un bois dense, non poreux et extrêmement stable, traditionnellement employé dans les reliquaires byzantins haut de gamme. Sa couleur très foncée, son grain fin et son absence de pores visibles confirment une plaque ancienne parfaitement conservée, typique des productions liturgiques du XIIIᵉ siècle.
La croix présente un filigrane archaïque, des colonnettes torsadées, une granulation épaisse, ainsi que des émaux cloisonnés verts et turquoise. Trois grenats anciens en sertissure primitive complètent la composition.
La croix conserve son anneau de suspension archaïque en argent doré, caractéristique des reliquaires pectoraux byzantins et attestant son usage liturgique porté.
Les trois grenats, volontairement disposés, renvoient à la symbolique trinitaire omniprésente dans l’art sacré byzantin, conférant à la croix une dimension théologique supplémentaire.
ALCÔVES ET COMPARTIMENTS RELIQUAIRES
La croix comporte cinq alcôves principales visibles en façade, protégées par des lentilles de cristal de roche bombé :
– Alcôve supérieure
– Deux alcôves latérales
– Grande alcôve centrale (probable fragment du Lignum Crucis)
– Alcôve inférieure
Aux angles et le long des colonnettes se trouvent douze rouleaux filigranés, servant de micro-réceptacles reliquaires, chacun pouvant contenir des fibres bénites ou des fragments de textile sacré.
Le nombre de douze rouleaux n’est probablement pas fortuit : il renvoie au cycle symbolique des Douze Apôtres, fréquemment évoqué dans l’orfèvrerie monastique byzantine, et confère à la croix une dimension liturgique supplémentaire propre aux dignitaires tels que les higoumènes.
L’ensemble forme une architecture à dix-sept espaces reliquaires potentiels, caractéristique des croix monastiques portatives de haut niveau entre le XIIIᵉ et le XIVᵉ siècle, destinées aux higoumènes des grands monastères.
L’élément situé au sommet n’est pas un rouleau reliquaire mais la bélière d’origine, destinée au port pectoral de la croix.
TECHNIQUE
Filigrane torsadé soudé, granulation volumétrique, micro-bossages, cristal de roche, émaux cloisonnés, sertissures ouvertes.
La couleur profonde, la stabilité et l’homogénéité des granules suggèrent l’emploi d’un vermeil de forte teneur.
ÉTUI POST-BYZANTIN (XVIᵉ SIÈCLE)
L’étui en argent massif présente un Christ au repoussé, typique de la production orthodoxe post-byzantine. Réalisé pour protéger une croix ancienne.
EMPREINTE INTERNE
La silhouette fossile de la croix dans l’étui témoigne d’un contact continu durant plusieurs siècles, confirmant l’intégrité historique de l’ensemble.
ANALYSE DES PIERRES
Les grenats présentent une taille irrégulière archaïque, caractéristiques de la lapidairerie manuelle médiévale entre le XIIIᵉ et le XIVᵉ siècle.
ANALYSE DES COLONNETTES
Structurelles, symboliques et reliquaires : certaines renferment encore des textiles bénits.
De fines fibres textiles anciennes sont visibles au revers de la croix, coincées dans la jonction entre le bois et le filigrane lors du sertissage médiéval. Leur position et leur compression prouvent qu’il s’agit de reliques textiles d’origine, emprisonnées dans la croix au moment même de sa fabrication.
NATURE DU BOIS (DOS DE LA CROIX)
Le bois arrière est en buis ancien (Buxus sempervirens), essence privilégiée dans l’orfèvrerie byzantine pour les reliquaires portatifs. Dense, très fin de grain, non poreux et quasi imputrescible, il offrait une stabilité parfaite pour le scellement des reliques. Son noircissement naturel, régulier et profond est cohérent avec un vieillissement de 700 à 800 ans. Ce matériau confirme la haute qualité monastique et la datation ancienne de la croix (XIIIᵉ siècle).
COMPARAISONS MUSÉALES
— Benaki Museum (Athènes), croix fin XIIIᵉ
— Musée d’Art Chrétien d’Ioannina, croix à colonnettes (XIIIᵉ)
— Musée d’Ohrid, croix compartimentées (XIIIᵉ–début XIVᵉ)
— Trésor de Saint-Marc (Venise), granulation pré-paléologue et emploi du cristal de roche massif
ANALYSE SCIENTIFIQUE – CRITÈRES DE DATATION
1. Morphologie générale
Croix trapue, bras courts : typique du XIIIᵉ siècle.
2. Cristal de roche
Lentilles bombées, épaisses, très opacifiées : typologie archaïque du XIIIᵉ siècle.
3. Filigrane torsadé
Torsade large, irrégulière : signature XIIIᵉ siècle.
4. Granulation
Granules massives, fusion visible : propre au XIIIᵉ siècle.
5. Palette d’émaux
Vert et turquoise, cloisons épaisses : fin XIIIᵉ – début XIVᵉ.
6. Grenats
Facettage irrégulier : typique XIIIᵉ siècle.
7. Revers en bois (buis)
Caractéristique des reliquaires pré-paléologues.
8. Organisation des reliques
17 cavités : tradition XIᵉ–XIIIᵉ siècle.
9. Comparatifs régionaux
Modèles très proches datés 1260–1320 (Ioannina, Ohrid).
10. Cohérence matérielle
Vieillissement naturel concordant.
CONCLUSION – DATATION AFFINÉE
Croix : fin XIIIᵉ – début XIVᵉ siècle, ca. 1250–1320
Étui : XVIᵉ siècle (post-byzantin)





































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