Paire de hauts bougeoirs au cinabre, laque et feuille d’or.
Bois d’Artocarpus, cinabre, laque thitsi, feuille d’or.
Chine (Canton) ou Pégou (Birmanie).
Fin du XVIe siècle — début du XVIIe siècle.h. 38 cm.
La première étude systématique du groupe d’objets auquel se rattachent ces bougeoirs a été menée par Bernardo Ferrão, qui qualifie le groupe d’indo-portugais. Ce rare corpus de laques dits « luso-asiatiques » a occupé une place importante dans l’historiographie des arts décoratifs portugais, sans que la détermination de son lieu de production n’ait jusqu’ici fait entièrement consensus.
Ferrão remarque que ces objets manifestent : « le style et la décoration, le revêtement en laque et, dans certains exemples, la présence d’armoiries, d’inscriptions en portugais, de figures et de scènes mythologiques issues de la culture européenne classique et chrétienne […] le tout suivant les canons de l’art de la Renaissance ». Sur cette base, une première hypothèse a situé leur production en Inde, notamment à Cochin ou sur la côte du Coromandel, sur la base d’un usage supposé de bois indien d’anjili (Artocarpus hirsutus), et du commerce avéré de laque exportée de Pégou vers l’Inde. Une autre hypothèse, attribuant directement ces objets à Pégou, en l’actuelle Birmanie, repose quant à elle sur des preuves archivistiques et scientifiques plus solides. Les espèces nécessaires à la production de la « véritable laque » (thitsi ou urushi) sont de toute façon inconnues sous-continent indien, et l’examen scientifique des objets de ce groupe a confirmé qu’ils étaient faits en laque thitsi birmane, issue de la sève du Gluta usitata, appliquée sur du bois d’Artocarpus integer (sonekedat), une espèce indigène d’Asie du Sud-Est. L’utilisation de la technique du shwei-zawa — qui consiste à sculpter en faible relief la surface laquée avant de rehausser les motifs à la feuille d’or — renforce également une attribution aux ateliers de Pégou. Il a donc semblé possible d’attribuer directement ces objets à Pégou, en faisant l’économie de l’import supposé de ces laques vers l’Inde et depuis Pégou.
L’analyse stylistique des présents bougeoirs, toutefois, rend possible quant à elle une hypothèse chinoise. Inspirés de prototypes ibériques en argent tourné, ils présentent en effet des frises de pétales de lotus et de méandres semblables aux “grecques”, le tout sculpté avec une certaine rigueur anguleuse. Tant le vocabulaire décoratif que le mode de sculpture relèvent des laques chinois du début du XVIIe siècle, et ne se rencontrent pas sur les laques généralement attribués à Pégou. Il est dès lors probable que ces pièces aient été produites dans le sud de la Chine, probablement à Guangzhou ou dans ses environs, au cours des premières décennies du XVIIe siècle. L’emploi de matières premières birmanes importées par des ateliers chinois hautement spécialisés résout l’apparente contradiction entre les preuves scientifiques des objets du groupe et l’analyse stylistique de ces bougeoirs, tout en reflétant les vastes réseaux d’échanges régionaux qui soutiennent cette production de laques dits « luso-asiatiques ».
Voir Ferrão, « Mobiliário », dans História da Arte em Portugal, vol. 8, Lisbonne, 1990 ; Ferrão, Mobiliário Português. Dos Primórdios ao Maneirismo, vol. 3, Porto, 1990 ; Carvalho, « Beyond Goa: ‘Luso-Indian’ art in the Bay of Bengal », dans The World of Lacquer: 2000 years of history, Lisbonne, 2001 ; Crespo, Choices, Lisbonne, 2016 ; Gschwend, Lowe et al., The Global City. Lisbon in the Renaissance, Lisbonne, 2017.