Saint Matthieu rapporte dans son Evangile que « lorsque les Mages furent partis, un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph et dit : Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, fuis en Egypte et restes-y jusqu’à ce que je te parle : car Hérode cherchera l’enfant pour le faire périr ». Néanmoins, si Jésus échappa à la mort, la colère du roi de Judée s’abattit indistinctement sur tous les nourrissons de Bethléem. Notre peintre situe cette hécatombe dans un décor palatial sans commune mesure avec ce que devait être le petit village de Galilée. Des hommes au regard déterminé passent les innocents au fil de la lame alors que des lanciers situés à l’arrière-plan surveillent l’unique sortie afin que nul ne s’échappe. Dans ce huis clos tumultueux, l’artiste détaille le désespoir de chacune des mères et de leurs enfants. Au premier-plan, l’une d’elle désigne le cadavre de son poupon en fixant le spectateur comme pour le prendre à témoin. Si certaines crient leur peine, d’autres espèrent sauver leur progéniture. C’est alors tout un balai de gestes paniqués, de contrappostos et de coups d’épées qui se déroule sous les yeux des individus qui, juchés à l’étage du palais, sont tels les spectateurs d’une pièce de théâtre dans laquelle l’émotion prime sur le réalisme sanglant.
Ce tableau révèle les nombreuses influences qui traversent le milieu artistique romain dans la seconde moitié du XVIIe siècle, alors divisé entre adeptes de la manière baroque de Pietro da Cortona d’un côté, et épigones du classicisme de Nicolas Poussin de l’autre. L’art de François Nicolas de Bar, auquel nous attribuons notre peinture, navigue habillement entre ces courants. Redécouvert par l’historien d’art Jacques Thuillier, ce peintre Lorrain montre ici un talent certain dans l’exécution des figures dont le dessin évoque parfois celui des fresques de Raphaël au Vatican. Toutefois, le parallèle maniériste s’arrête là tant François Nicolas de Bar s’inscrit pleinement dans la grande tradition baroque par la place importante qu’il accorde à l’expression des passions humaines. En effet, il parvient ici à dépeindre toute la détresse qui s’empare de chaque protagoniste malgré la frénésie de l’action. Son atticisme se manifeste davantage dans le choix d’une architecture antiquisante, telle cette fontaine centrale à l’effigie d’un dieu païen et ces statues qui ornent le mur d’enceinte. Cette solution synthétique, entre baroque et classicisme, confère à l’œuvre une grande qualité théâtrale que l’on retrouve par ailleurs dans sa Mort de Saphire (conservée au Louvre), qui fut un temps attribuée à Pierre Mignard. Ainsi, le parcours de François Nicolas de Bar est à l’image de celui de son compatriote Claude Gellée : celui d’un jeune Lorrain qui, attiré par l’exceptionnel foyer artistique romain, s’y construit et s’y fixe, tant à la faveur de souvenirs maniéristes que de grandes leçons italiennes.
Notre composition est sublimée par un puissant cadre italien en bois sculpté et doré du XVIIe siècle.
Dimensions : 62 x 72 cm – 94 x 107 cm avec le cadre
Vendu avec facture et certificat d’expertise.
Biographie : François Nicolas de Bar (Bar-le-Duc, c. 1632 – Rome, 3 jan. 1695) naît dans une famille de petits artistes meusiens auprès desquels il se forme. Ayant probablement voulu dépasser les limites inhérentes à son milieu d’origine, il s’installe à Rome en 1652 et se marie en 1656 avec la petite fille du célèbre portraitiste Ottavio Leoni. Admis en 1657 au sein de l’Académie de saint Luc, son intégration dans la cité pontificale se manifeste également par son choix de signer « Nicolo Lorenese » et dans les noms italiens avec lesquels il baptise ses propres enfants. A la fin de la décennie 1650, il connaît déjà un certain succès alors que plusieurs de ses dessins sont traduits en gravure par le Toulousain Jean Baron. Dès le milieu des années 1660, sa réputation va en s’accroissant alors qu’il réalise de nombreux tableaux d’autels. A cet égard, le fait qu’il soit choisi pour peindre le tableau ornant la chapelle principale de l’église Saint-Nicolas-des-Lorrains montre le prestige dont il jouit parmi les Lorrains établis à Rome. Cependant, sa notoriété dépasse le seuil de cette communauté puisqu’il peint aussi des tableaux d’autel à destination des églises Saint-Antoine-des-Portugais et Sainte-Marie-de-la-Victoire. Ses deux demi-frères, Sébastien et Charles Harment, rejoignent alors son atelier pour l’épauler dans ses nombreuses commandes. Au-delà d’assurer la formation de ses deux fils, Ludovico et Giuseppe, François Nicolas de Bar développe une activité suffisamment remarquable au point d’attirer des apprentis hors de son cercle familial, tel l’Anversois Pieter Hoffman, qui sera plus tard connu pour ses scènes de bataille. Décédé le 3 janvier 1695, il lègue à son beau-fils de nombreux tableaux, laissant alors présager une importante production de peintures de chevalet qui intéresse aujourd’hui les musées. C’est ainsi que le Musée des Bar-le-Duc a acquis son Orphée et Eurydice en 2014 et le Musée du Louvre sa Mort de Saphire en 2021.
Bibliographie :