"Dieu le Père en pierre polychromée - Lorraine première moitié du XVIe siècle"
Si les chrétiens croient en un Dieu unique, leur foi en
l'Incarnation les a conduits à affirmer un seul Dieu en trois personnes, le
Père, le Fils et le Saint-Esprit. Au cours du Moyen Âge, l'art se livre à une
exploration des ressources visuelles pour dire ce mystère. L'iconographie du Trône de grâce, mis en
avant ici par notre sculpteur, est le fruit de ce travail. Elle donne à voir,
au sein d'une composition verticale, Dieu le Père tenant devant lui le Fils en
croix, surmonté de la colombe du Saint-Esprit, aujourd'hui disparue sur notre
groupe.
Selon ce schéma, assis sur un trône, Dieu le Père tient dans
ses mains ouvertes la croix où gît le corps de son fils. Le visage auréolé
d'une barbe et d'une chevelure aux mèches ondulées, il offre aux fidèles la
mine impassible de la divinité plutôt que du père épleuré, faisant don sans
sourciller du Rédempteur aux hommes. Cette impassibilité tranche avec la
plupart des figurations de ce groupe, souvent autoritaires, représentant Dieu
courroucé. C'est le cas dans les célèbres groupes de l'Hôpital du Saint-Esprit
de Dijon, de l'église de Genlis (Côte-d'Or), ou encore de l'église de Lignières
dans l'Aube.
L'analyse pétrographique de notre sculpture permet de la
rattacher à la Lorraine. Véritable creuset artistique, cette région fournie à
la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance une production artistique
riche, fortement influencée dans le domaine de la statuaire par les créations
voisines sculptées en Rhénanie, en Bourgogne et en Champagne. Ce phénomène se
matérialise à la fois dans le schéma de composition retenu par notre sculpteur
mais aussi dans ses choix stylistiques.
Ainsi, plus qu'aux exemples bourguignons mentionnés
précédemment, notre groupe peut être rapproché dans sa mise en œuvre
« architecturée » du thème du Trône de grâce de la Trinité de
l'église de Charleville (Marne), réalisée au XVIe siècle, qui comme la nôtre,
donne à voir Dieu le Père assit sur un trône faisant la part belle au
vocabulaire architectural renaissant, cantonné de pilastres et couronné d'une
coquille. Toujours en Champagne, le Père Eternel de l'église
Saint-Pierre-Saint-Paul de Longueville-sur-Aube, daté du XVe siècle, est coiffé
d'une tiare superposable à celle portée par Dieu dans notre groupe. La
comparaison stylistique s'arrête toutefois là.
En effet, la physionomie des protagonistes de notre sculpture et le
traitement spécifique de leurs drapés ne semblent pas trouver d'écho précis au
sein du petit corpus des Trinités répertoriées dans cette large aire
géographique. Toutefois, son rare format miniature trouve un équivalent
formidable au sein du retable de la Vie de Sainte Anne de la chapelle de
l'ermitage Sainte-Anne de Godoncourt dans les Vosges, où une Trinité en pierre
d'une vingtaine de centimètres de haut vient prendre place au creux d'une des
niches du retable. C'est sans doute au sein d'un ensemble similaire de la
première moitié du XVIe siècle que venait autrefois prendre place notre
exceptionnelle sculpture, dans une niche d'un retable en pierre, ou encore plus
probablement en couronnement d'un de ces derniers.