Jean-Auguste-Dominique Ingres
(Montauban 1780 – Paris 1867)
Apelle tenant sa palette et ses pinceaux
Reprise tardive d’après L’Apothéose d’Homère – vers 1860
Pierre noire, estompe et rehauts de blanc sur papier vergé chamois, contrecollé sur un carton fin
300 × 180 mm
Signé et dédicacé en bas à gauche : « à Mr Visconti / Ingres »
Provenance
Collection privée, France
Ce dessin est en
rapport avec le tableau d’Ingres, L’Apothéose d’Homère, peint en 1827
pour le décor du Musée Charles X au Louvre (Département des peintures, inv.
5417), une composition que l’artiste reprit plus tard dans un dessin auquel il
travailla plus de vingt ans (le nombre de personnages historiques assemblés
ayant entre-temps presque doublé, passant de quarante-deux à quatre-vingt deux)
et qu’il ne termina qu’en 1865 : Homère déifié (musée du Louvre,
Cabinet des dessins, inv. RF 5273). Il s’agit précisément de la figure d’Apelle,
placée à gauche dans les deux œuvres, tenant la main de Raphaël, et présentant
au poète épique grec palette et pinceaux. Dans la toile du Louvre, le corps
d’Apelle est en partie caché, notamment par la figure de Poussin qui se trouve
en contre-bas. Dans la feuille de 1865, comme dans le présent dessin, le
peintre antique est montré en entier, encore que son pied droit soit positionné
de manière un peu différente d’une feuille à l’autre.
Il ne s’agit toutefois
pas ici d’une étude préparatoire pour l’une ou l’autre composition, mais bien
d’un dessin isolé, réalisé assez tardivement dans la vie d’Ingres, lui qui
aimait reprendre en totalité ou en partie certaines de ses réalisations. Le trait
estompé, presque crayeux, est dans l’esprit des derniers dessins finis de
l’artiste où il cherche à donner à son crayon un velouté nouveau. Une
esthétique assez éloignée en fait de ces feuilles aux traits incisés à laquelle
le jeune Ingres nous a habitué, et qui n’est pas sans rappeler la dernière
manière de son maître Louis David, alors exilé à Bruxelles, où celui-ci réalise
maints dessins mettant en scène des figures antiques aux traits davantage
charbonneux.
L’inscription à
gauche, en belles cursives, « à Mr Visconti / Ingres »
pourrait-elle permettre de dater plus précisément cette feuille ? Rappelons que
Louis Visconti fut le collègue d’Ingres à l’Académie des Beaux-Arts, mais pour
une très courte période, l’architecte décédant le 29 décembre 1853, cinq mois
seulement après son élection à l’Institut (le 23 juillet). Cela dit, les deux
hommes, qui partageaient les mêmes idéaux classiques en termes d’art, avaient
dû sympathiser par le passé. L’on sait qu’Ingres siégea sur le comité pour le tombeau de l’empereur
aux Invalides, une construction dont Visconti fut chargé, après concours, en
mars 1842, et qu’il jeta même sur le papier un projet pour ledit tombeau. Nous
ne pensons toutefois pas que le présent dessin fut offert à l’architecte de son
vivant, mais plutôt conçu par l’artiste dans les mois suivant la mort inopinée
de son collègue (vers 1854-1855). Hommage post-mortem — la dédicace, non datée,
plus officielle que vraiment personnelle, tendant à nous convaincre de la chose
— rendu à un architecte de renom qu’Ingres, s’identifiant ici au personnage
d’Apelle, a pu fort bien d’ailleurs conservé par devers lui, et non offrir à
quelque parent ou ami du défunt.
Sylvain Bédard, le 12 juillet 2025