Donatien-Alphonse-François marquis SADE (1740 – 1814), romancier et philosophe français
Lettre autographe signée à sa belle-mère la présidente de Montreuil. (Donjon de Vincennes, 25 mai 1778) ; 3 pages in-4°.
Belle lettre avant son transfert à Aix-en-Provence pour y être jugé, où se mêle rancœur contre sa belle-mère, Madame de Montreuil, mais aussi pitié et espoir de sortir dignement de ce procès infament : « Si vous ne m’aviez fait l’honneur de m’ecrire, Madame, je n’hazarderois pas de vous importuner par une nouvelle epitre, apres le mepris dans lequel vous tenez celles que vous ont également adressés mon desespoir et ma sensibilité, après que vous avez pousse la dureté au point de refuser une[lettre]cachetée qui devait contenir quelques details que dans une circonstance aussi critique mon aveugle confiance en vous (malgré tout) voulait encor vous faire parvenir dans l’espoir d’en recevoir en quelques conseils, en quelques consolations par la meme voix. Vous l’avez refusé, n’en parlons plus ; vous voulez que j’agisse avec confiance madame et que j’en prenne en la personne qui est venue me voir, mais quelle confiance voulez vous que j’aie en quelqu’un, qui (malgré la lettre qu’il me remet de votre part, dans laquelle vous dites mot a mot voila un conseil envoyé par votre famille [Bontoux]) m’assure comme il l’a positivement fait a sa seconde visite, qu’il n’est point envoyé par ma famille mais par le gouvernement prononcez vous-même madame, quelle confiance voulez vous que je donne a des contradictions si palpables ? Et lequel faut il que je croiye ou de la lettre que vous m’écrivez, ou de l’homme qui me la remet de votre part ? A l’entendre, cet homme, madame, je n’ai plus personne dans le monde qui se mêle de moi, c’est la police, c’est le gouvernement…Plus d’appui dans les parents de ma femme, je ne dois plus compter que sur les soins de l’état, passons legerement sur l’horreur d’une telle situation, Mes larmes coulent avec trop d’abondance lorceque je m’arrête et la douleur d’avoir perdu mon père et ma mère se renouvelle trop vivement dans mon cœur lorce qu’après ce malheur affreux pour moi il ne me reste meme plus l’espoir de rendre a M de Montreuil et a vous des noms si chers a prononcer et auquel seroit me croire quelques droits ils sont donc nuls Madame, et me voila donc l’enfant du gouvernement quand je ne voulois etre que le votre. Ah-s il m’était possible…..s’il m’était permis de vous ouvrir mon cœur…si nous pouvions nous entendre encor….si les temps passés pouvoient renaitre combien vos motifs de haine s’adouciroient peu etre et combien j’ose croire au moins, vous finiriez de rendre si malheureux quelqu’un qui n'a jamais cessé de vous aimer et qui abjure aussi sincerement toutes les raisons qui ont pu lui aliener votre estime toutes les causes secondes qui ont suivies et qu’enfantait son seul desepoir. Helas je me flattais d’y reusir, au milieu de mes tourments, je ne me repentois pas d’etre venu m’offrir a vous dans l’espoir que cette proximité me mettrait a même de me jetter a vos genoux quand tout serait fini, et d’obtenir enfin mon pardon, oui je le proteste tel était le seul adoucissement a l’horreur de mes maux. Au lieu de cela quel est mon sort daigner le considerer un instant avec un peu de pitié je vous en conjure Madame, après six ans de malheurs et d’infortune, deux detentions, et 16 mois d’une solitude horrible, je vais donc me voir reduit a une telle extremité de misere, que je serai contraint a regretter les odieux murs de ma prison[on va venir (je le sens) m’arracher pour me conduire en spectacle au milieu de ma province, achever de ruiner et perdre ma reputation, mon honneur et me precipiter dans un autre cachôt confondu parmi les criminels destinés a perir sur la roue tel est mon sort], et lorceque pour soutenir avec un peu de force un surcroit de maux si terrible et si peu attendu, j’ose demander quelque bonté, quelqu’indulgence, quelqu’adoucisement on ne me repond qu’avec la plus dure severite. Et grand dieu, Madame qu’ai-je donc fait pour meriter de tels traitements quand je serois criminel de leze majesté au premier chef on n’employerait pas tant de rigueur et damiens…..Dieux quel nom vous me forcer de mettre en paralelle avec le mien Damiens Dispe vit qu’il voulut dans sa prison, moi lorce que je ne demande qu’a y embrasser ma femme une seule fois, avant de partir, on me la refuse avec une cruauté inouie, on craint dit on de trop allarmer sa sensibilité…Eh ! Madame ce mot ne m’ouvre t il pas les yeux si la demarche qu’on exige de moi n’avoit que mon bien pour objet on ne craindrait pas de faire couler ses larmes et la joie seul sentiment qui pourrait les faire répandre alors ne savait pas susceptible de nuire a sa santé, eh ! grand dieu ! Avait on de telles craintes lorce qu’on m’arrachât d’entre ses bras pour me conduire ici ? Que n’ai-je pas a redouter de cet exces de precaution ? Le mal qu’on me destine est donc plus grand que celui que j’éprouve puis que pour le premier on craint pour elle, si elle le savait ce qu’on ne craignit pas pour le second ? Devais je m’attendre a une aussi sanglante catastrophe après avoir autant souffert ! Quelle fin grand dieu qui me l’eut dit ? Mais combien je m’écarte et combien j’abuse de votre patience, Madame, avant de venir au veritable motif de cette lettre, le seul qui m’engage a vous l’ecrire est pour vous supplier de vouloir bien ne pas attribuer le refus que j’ai fait de partir, au fond du principe qui fait desirer mon voyage mais a la forme seule, je desire avec la plus vive ardeur d’être a Aix. Je proteste et fais serment, a vous, et a dieu qui m’écoute et me voit que cette démarche puis qu’elle est essentielle a la fin de mes affaires, quelque cruelle qu’elle soit, m’est plus a cœur que mon existence propre dont je fais bien peu de cas tant que l’honneur n’y sera pas reuni. J’ajoute a ce serment, celui aussi reel au moins, que je m’y serois déjà rendu mil fois pendant les cinq ans de liberté que j’ai eu, si l’on ne m’avait positivement assuré qu’un ordre du roi m’en enleverait a l’instant que je m’y presenterois. Qu’aurais je été faire dans un endroit ou je n’aurais trouvé que des chaines au lieu des juges ? Maintenant qu’elles s’entrouvrent pour m’y laisser voler, comment pourrait-il tomber sous le sens que je voulus m’y soustraire ? Non Madame, ne le craignez pas….Je le regrete je l’ai plus a cœur que vous toute ma repugnance tient donc a la forme seule qu’on y veut mettre et elle est si prodigieuse sur ce point que si dans l’instant on me donnait a choisir ou de me bruler la cervelle ou de cette infamante conduite je choisirais sans balancer le premier. Eh laisser moi me jetter a vos pieds pour vous supplier par vos anciennes bontés pour moi par le titre que la nature et les loix me donnent, et que votre haine n’arrachera jamais de mon cœur par ce titre de mere que j’aie encore prononcé une fois, par des droits plus saints encore sur une ame telle que la vôtre. Ceux que me donnent mon malheur, ceux que me donnent des enfants que nous nommons tous deux les notres. Par tant de droit sacres que vous ne meconnaisser pas, parce que vous etes mere et sensible, que dieu lui-même met des bornes a sa vengeance et que vous devez limiter par ce que vous etes le mien sur la terre….oui vous l’êtes, car comme lui vous voulez faire du bien sans qu’on vous devine, c’est en un mot par tant de titres que je vous conjure d’ajouter a vos bienfaits les deux graces que je vous demande, celle d’oter de ce voyage tout l’infamant que je trouve, et de ne pas reunir cette affreuse avanie a tout ce que j’ai déjà souffert, l’autre de me laisser embrasser une seule minute, celle que vous m’avez donnée pour etre mon amie, pour etre la compagne de mes maux. Ne lui refusez pas de lui laisser remplir le plus delicat attribut des biens que lui preservissent également la nature et son cœur et ne vous opposez point a ce qui doit imprimer a ces mêmes liens, un caractère de sainteté qui ne les rendra que plus indissolubles…..non pour me rassurer un mot de vous m’a suffi…..vous l’avez prononcé je pars tranquile ; mais pour le voir apres tant de souffrances et recevoir d’elle un peu de consolation qui m’encourage a celles qui peut etre m’attendent encor…..Si vous me reduisez au desespoir par vos refus je la tournerai contre moi-même. On m’arrachera…..On m’entrainera et je me laisserai condamner par mon silence preferant la mort, telle quelle soit a l’ignominie ou vous m’aurez livré. S’il faut etre absolument conduit malgré ma repugnance, je demande l’exempt d’apt Blancard..Vous le connaissez de reputation, c’est un honête homme et le seul qui dans une position aussi delicate seache allier son devoir avec des egards absolument meconnus des autres, et que vous devez desirer pour votre gendre. M le Noir[ Jean-Charles-Pierre Le Noir magistrat ]vous communiquera sans doute ma lettre a ce sujet et vous verrez celle-ci jointe a ma femme qui n’en est qu’une repetition. C’est de vous que j’attends les deux graces parce que c’est de vous seule que je veux dependre au monde. (…) »
Le marquis de Sade se marie à Paris le 17 mai 1763 avec Renée-Pélagie, fille aînée de Cordier de Montreuil, dont la fortune est plus conséquente que la sienne. Pour autant, il mène à Paris une vie dissolue fréquentant les bordels et multipliant les aventures. Six mois après son mariage, il est arrêté dans sa garçonnière pour débauche outrée, ayant eu une conduite blasphématoire, et est incarcéré au donjon de Vincennes. Heureusement, les relations personnelles de son père auprès du roi Louis XV écourte son séjour en prison. Mais de tout ceci il en a cure, il continue ses frasques, accumulant les maitresses dont il fait passer l’une d’elle pour sa femme scandalisant sa famille. Quelques années plus tard, en 1768, il fait à nouveau parler de lui suite à des pratiques outrageantes faites à l’encontre d’une jeune mendiante. Sa famille et belle-famille obtiennent son incarcération sous la juridiction royale qui sera écourté de nouveau grâce à l’intervention du roi. L’affaire de Marseille en 1769 vient à nouveau porter un mauvais coup au marquis, qui est jugé par contumace ayant fui en Italie avec sa belle-sœur. Il revient en France dans la clandestinité mais une nouvelle affaire impliquant des petites filles prises comme domestiques, lui apporte le coup fatal. Il s’échappe en Italie mais fait l’erreur de retourner à Paris. Il est arrêté le 13 février 1777 à l’instigation de sa belle-mère qui veut laver l’honneur de sa famille et se retrouve incarcéré à Vincennes. Il est convoqué au tribunal d’Aix-en-Provence. On le transfert du donjon de Vincennes à la prison royale d'Aix le 20 juin. Le procès en cassation ne dure que trois semaines. Tout est réglé d'avance. La cour ne retient que les faits de « débauche et libertinage outré » et condamne le marquis à une aumône de 50 livres, une interdiction de trois ans de résidence à Marseille et une admonestation « de mettre à l'avenir plus de décence dans sa conduite ». Il se fait raccompagner au donjon de Vincennes mais réussi à s’échapper en cours de route, pour regagner son château de Lacoste. Sa cavale ne dure que quarante jours avant d’être repris puis incarcéré pour de longues années à Vincennes puis à la Bastille. Il ne retrouvera une liberté temporaire que le 2 avril 1790.