En Société. Pastels du Louvre des XVIIe et XVIIIe siècles

Avec le château de Versailles, le musée du Louvre a la chance de conserver la collection de référence nationale de pastels européens des 17e et 18e siècles. Pour  l’essentiel peintes au siècle d’or du pastel (18e siècle), ces oeuvres, d’une extrême fragilité puisque créées à l’aide d’une poudre colorée que l’on a souvent comparée à celle couvrant les ailes de papillon, permettent de mesurer tout le génie des artistes qui les ont exécutées.

Représentés par d’exceptionnels ensembles, Maurice Quentin de La Tour, Jean-Baptiste Perronneau et Jean-Baptiste Siméon Chardin s’imposent aujourd’hui parmi les artistes les plus renommés. Il convient de leur adjoindre Jean-Marc Nattier, François Boucher, Louis Vigée, Adelaïde Labille-Guiard, Marie-Suzanne Giroust, Joseph Boze ou bien encore Élisabeth-Louise Vigée Le Brun qui, tous, sont illustrés par des oeuvres importantes dans la collection. Leurs créations ont été exécutées non pas comme des études préparatoires rehaussées de pastel, mais comme des oeuvres en elles-mêmes.

Maurice Quentin de La Tour, Jeanne Antoinette Lenormant d’Étiolles,
marquise de Pompadour (1721-1764). Entre 1752 et 1755. Salon de 1755. Pastel et
rehauts de gouache sur au moins huit feuilles de papier bleu dont un empiècement pour le
visage, collées en plein sur une toile tendue sur châssis. 178,5 x 131 cm. Musée du
Louvre © Musée du Louvre, dist. RMN – Grand Palais / Laurent Chastel

Grâce au mécénat des American Friends of the Louvre, en particulier celui de Joan et Mike Kahn, la collection réunissant plus de 150 oeuvres a été systématiquement  restaurée et remontée afin d’être protégée de la poussière. Ce chantier a permis d’étudier à nouveau la collection et de livrer le fruit de cette recherche dans un inventaire raisonné dont la publication en français et en anglais sera rendue possible grâce au mécénat du Joan Kahn Family Trust.

L’exposition invite à revoir certains chefs-d’oeuvre comme le Portrait de la marquise de Pompadour par Maurice Quentin de La Tour (la restauration de cette oeuvre a bénéficié du mécénat de Canson®), ainsi que de nouvelles acquisitions, à l’exemple de l’effigie de l’acteur Lekain par Simon Bernard Lenoir. Elle donne aussi l’occasion de comparer ces créations françaises à celles d’autres maîtres étrangers, comme Rosalba Carriera à Venise, Jean-Étienne Liotard à Genève ou John Russell à Londres.

PARCOURS DE L’EXPOSITION

La collection de pastels européens des XVIIe et XVIIIe siècles conservée au musée du Louvre n’a d’équivalent dans aucun autre musée occidental. Peintes pour l’essentiel sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI, ces œuvres d’une extrême fragilité ont toutes été exécutées à l’aide de bâtonnets formés de craie ou de plâtre mélangés à des pigments de couleurs minérales, organiques ou végétales et solidifiés grâce à un liant, essentiellement de la gomme arabique.

Jean-Baptiste Siméon Chardin, Autoportrait à l’abat-jour et aux
lunettes. 1755. Salon de 1755. Pastel sur papier gris bleuté marouflé
sur toile tendue sur châssis. 46,4 x 38,2 cm. Musée du Louvre
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

Si la technique a été utilisée en Italie et en France à partir de la fin du XVe siècle, elle a surtout connu un exceptionnel développement au XVIIIe siècle, plus particulièrement en France. La collection du Louvre permet aisément de le mesurer. Réunissant plusieurs ensembles formés sous l’Ancien Régime, avec les œuvres de la collection de l’Académie royale de peinture et de sculpture qui siégeait au sein du Louvre, les saisies d’émigrés pendant la Révolution et les collections royales provenant de Versailles, elle s’est constamment enrichie tout au long du XIXe siècle et du XXe siècle afin de donner, de Robert Nanteuil, dans les années 1660, à Pierre-Paul Prud’hon, jusqu’en 1805, une vision presque exhaustive de cet art éminemment français.

Maurice Quentin de La Tour, Jean Le Rond d’Alembert
(1717-1783). Salon de 1753. Pastel sur papier bleu marouflé sur
toile tendue sur châssis à écharpes. 55,2 x 45,8 cm. Musée du
Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

Les maîtres les plus talentueux, Rosalba Carriera, Maurice Quentin de La Tour, Jean-Baptiste Perronneau, JeanEtienne Liotard, Jean-Baptiste Siméon Chardin y sont représentés avec des ensembles d’exception ou des œuvres majeures. A leurs côtés prennent place les créations d’artistes qui, s’ils sont moins renommés, n’en sont pas pour autant dénués de talent et ont aussi contribué à l’âge d’or que fut le XVIIIe siècle pour cette technique.

A l’occasion de la parution de l’inventaire de la collection, un peu plus de 120 pastels sont ainsi livrés à l’admiration de
tous et invitent, en société, à redécouvrir l’âme et l’esprit du Siècle des Lumières.

Jean-Baptiste Perronneau, Marie-Anne Huquier (vers
1735/1740 – après 1775) tenant un petit chat. 1749. Pastel sur
parchemin tendu sur un châssis chanfreiné. Avant qu’il soit fixé
sur ce châssis, une feuille intermédiaire de papier blanc avait été
disposée au dos du parchemin. 47,3 x 37,8 cm. Musée du Louvre
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

2.
Si François Clouet ou les Dumonstier ont aimé à introduire la couleur dans leurs portraits dessinés, et s’ils ont été ensuite suivis par Simon Vouet ou Robert Nanteuil qui rehaussèrent de pastels certaines de leurs œuvres, il faut attendre les toutes dernières années du XVIIe siècle pour qu’un artiste travaille au pastel intégral, c’est-à-dire exécute ses œuvres au seul moyen des crayons de couleurs sans les associer à une autre technique. Formé dans le cercle de Le Brun, Joseph Vivien (1657 – 1734) s’était en effet fait une spécialité des portraits exécutés au pastel dans des dimensions identiques à celle des effigies peintes à l’huile.  La critique lui accorda rapidement que le pastel avait l’avantage d’être plus frais, plus brillant, plus vrai et plus approchant de la chair et qu’il permettait un moelleux et des passages de sang que ne permettait pas l’huile. Sa grande maîtrise de la technique lui permit de recevoir de prestigieuses commandes de la famille royale à partir de 1699 après avoir été nommé membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture comme « peintre en portraicts de pastèle ».

Simon Bernard Lenoir (Paris, 1729 – Paris, 1791), L’acteur
Henri Louis Caïn, dit Lekain (1729-1778), dans le rôle
d’Orosmane dans la tragédie de Voltaire « Zaïre ». 1767. Pastel
et rehauts de gouache sur deux feuilles de papier bleu agrandies
de deux bandes verticales également de papier bleu, le tout
marouflé sur toile tendue sur un châssis chanfreiné d’origine.
116,3 x 89,3 cm. Musée du Louvre © RMN-Grand Palais
(musée du Louvre) / Michel Urtado

3.
Le séjour à Paris entre avril 1720 et mars 1721 de Rosalba Carriera (1673 – 1757) fut d’une grande influence dans le succès auprès des amateurs des œuvres peintes au pastel. L’artiste vénitienne multipliait depuis quelques années les portraits et les têtes de fantaisie, petites demi-figures enlevées comme s’il s’agissait d’études. On aimait la grâce qu’elle donnait à l’expression de ses modèles, la force et la vérité de ses couleurs, et surtout la manière avec laquelle elle parvenait à conserver certaines fraîcheurs et certaines légèretés dans les transparences. Le caractère aimable de ses créations fut d’une grande influence sur toute une génération de pastellistes français qui, à son exemple, comme François Boucher ou Jean-Marc Nattier, se firent les zélés serviteurs d’une clientèle féminine qui jamais ne leur reprocha de légèrement tromper la nature.

Rosalba Carriera, Nymphe de la suite d’Apollon. 1721. Pastel sur une
feuille de papier bleu avec un trait de corde horizontal au centre, marouflée
sur toile tendue sur châssis assemblé à mi-bois. 62,9 x 56,3 cm. Musée du
Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

4.
Le 25 mai 1737, Maurice Quentin de La Tour était agréé à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Quelques mois après, il présentait pour la première fois certains de ses portraits au Salon, exposition publique régulièrement organisée au Louvre, et marquait les esprits par sa capacité à saisir à la fois la ressemblance et la psychologie de chacun de ses modèles. Les années passant, son succès ne se démentit pas, non seulement parce qu’il parvint toujours à exprimer l’esprit et le caractère distinct de la personne qu’il était appelé à portraiturer, mais aussi parce qu’avec ses bâtonnets de pastel il rivalisait avec la peinture à l’huile, la surpassant souvent dans le rendu illusionniste des matières. Représenté au Louvre par un ensemble exceptionnel d’œuvres, l’art de La Tour eut une grande influence sur la dimension psychologique du portrait. Dans les mêmes années, Jean-Etienne Liotard, Jean-Baptiste Siméon Chardin et Jean-Baptiste Perronneau se mesurèrent non sans succès à celui que la critique encensait comme « le prince des pastellistes ».

5.
En 1746, le critique Lafont de Saint-Yenne écrivait que tout le monde avait mis ses crayons de couleur à la main. La technique connaissait alors un immense succès, défendue pour la pérennité de ses tons et son aspect mâte répondant fidèlement à ce qui était visible dans la nature. Elle convenait aussi par excellence à la représentation de la figure humaine. Cet engouement ne fut pas non plus sans provoquer la jalousie et l’hostilité des peintres travaillant à l’huile.

Si ces derniers parvinrent ainsi à convaincre l’Académie de ne plus recevoir de pastellistes parmi ses membres, ils ne réussirent pas à faire changer les goûts de la clientèle. A la suite de La Tour et Perronneau, de nombreux maîtres, tels Simon-Bernard Lenoir, Joseph Ducreux, Joseph Boze ou Louis Vigée continuèrent à manier les bâtonnets au plus grand contentement de leurs modèles.

6.
En 1770, l’Académie royale de peinture et de sculpture recevait dans ses rangs comme peintre dans le genre du portrait en pastel Marie-Suzanne Giroust, épouse d’Alexandre Roslin, et limitait au nombre de quatre le nombre de femmes artistes pouvant faire partie de l’institution. Presque exclusivement masculine, la Compagnie s’était probablement sentie menacée par le talent de ces artistes féminines. Il est vrai que le portrait du sculpteur Pigalle peint par Mme Roslin s’imposait en véritable tour de force tant par la maîtrise du pastel, le don de la ressemblance, la liberté de la touche et la vérité du coloris. A la suite de cette artiste, Adelaïde Labille-Guiard et Elisabeth Louise Vigée Le Brun furent à leur tour reçues en 1774, la première en présentant des pastels, la seconde des tableaux peints à l’huile. Nombreuses furent les femmes à pratiquer le pastel avec talent.

7.
Le succès que rencontra le pastel s’éteignit peu à peu à la fin du XVIIIe siècle alors que la miniature suscitait davantage d’intérêt. En ces temps troublés, il était effectivement plus facile de conserver avec soin le petit portrait d’un être cher plutôt que son image exécutée à l’aide d’une poudre colorée difficile à transporter. Le courant néo-classique accorda également davantage d’importance à la peinture à l’huile. Pour autant, certains artistes continuèrent à utiliser le pastel. Miniaturiste, Claude Hoin (1750 – 1817) multiplia ainsi les pastels jusqu’à la Restauration. Il en fut de même avec Pierre-Paul Prud’hon (1758 – 1823). Les œuvres de ce maître que conserve le musée du Louvre démontrent combien il sut avec brio enlever les figures en une lumière qui mettait en valeur un modelé fait de larges hachures et combien il maîtrisa à l’aide des bâtonnets de couleur cette intensité de vie et d’esprit qui avait si souvent fait la renommée de ses prédécesseurs.

8.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, environ 60 000 biens de toutes natures furent récupérés par la France sur le territoire du IIIe Reich parce que certains indices (archives, inscriptions ou étiquettes) laissaient penser qu’ils en provenaient. Nombre d’entre eux avaient appartenu à des familles juives spoliées. Un peu plus de 45 000 biens furent ensuite restitués, après réclamation, à leurs propriétaires légitimes ou leurs ayants droit.
Les biens qui n’avaient pas été réclamés furent vendus aux enchères par les Domaines au début des années 1950 à l’exception de 2 000 œuvres environ qui, après examen par une commission de choix, ont été confiées à la garde des Musées nationaux. Cet ensemble d’œuvres constitue le fonds de la récupération artistique, généralement désigné par l’acronyme « MNR » (Musées nationaux récupération).

Au département des Arts graphiques du musée du Louvre, les œuvres provenant de cette récupération portent un numéro d’inventaire commençant par REC. Toutes les œuvres sauvegardées sont placées sous la responsabilité juridique du ministère des Affaires étrangères (direction des archives). Leur conservation et leur gestion sont confiées au ministère de la Culture et de la Communication dans l’attente d’une restitution à leurs légitimes propriétaires ou à leurs ayants droit. Ces œuvres ne sont pas la propriété de l’État français, celui-ci en étant seulement le gardien dans le cadre d’un service public de la conservation et de la restitution. Aucune prescription ne peut être opposée à une demande de restitution portant sur une ou plusieurs de ces œuvres.

Parmi les cent soixante-seize œuvres graphiques relevant de la récupération artistique, huit sont des pastels. Nous les
exposons aujourd’hui avec tous les éléments de provenance connus.

INFORMATIONS PRATIQUES

Horaires
Jusqu’au 10 septembre 2018

Lieu
Musée du Louvre
Pyramide – Cour Napoléon
75001 Paris 1

Site officiel
www.louvre.fr

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