Madame de Maintenon – Dans les allées du Pouvoir

À l’occasion du tricentenaire de la mort de Madame de Maintenon (1635-1719), le château de Versailles met en lumière la destinée exceptionnelle de cette femme qui naquit dans une prison puis devint l’épouse du roi le plus puissant du monde. Présentée dans l’appartement que Mme de Maintenon occupa au premier étage du palais, à proximité de l’appartement du Roi, cette exposition retrace en une soixantaine d’œuvres et documents la vie de cette figure essentielle de la cour. Grâce à une scénographie évocatrice, les visiteurs pourront également redécouvrir un décor emblématique du XVIIème siècle dont aucun exemple ne subsiste à Versailles.

Françoise d’Aubigné, marquise de Maintenon, en sainte Françoise Romaine Pierre Mignard (1612-1695).
© Château de Versailles (dist. RMN-Grand Palais) / Christophe Fouin

Après une enfance difficile et pauvre, Françoise d’Aubigné épouse à 16 ans le célèbre poète Scarron qui l’introduit dans les cercles précieux de la capitale. Devenue veuve, elle se voit confier la mission d’élever les enfants illégitimes nés des amours de Louis XIV et de Madame de Montespan. Après la légitimation des premiers enfants en 1673, Françoise d’Aubigné s’établit à la cour, et se fait apprécier du souverain.

Françoise Scarron et les deux premiers enfants du roi et de Mme de Montespan Attribué à Pierre Mignard (1612-1695) XVII e siècle , château de Maintenon © Christophe Fouin

Devenue Madame de Maintenon, elle épouse Louis XIV à la suite de la disgrâce de la précédente favorite et de la mort de la reine Marie-Thérèse. En 1686, aboutissement de son œuvre d’éducatrice, elle est à l’origine de la maison royale d’éducation de Saint-Louis à Saint-Cyr qui accueille les jeunes filles pauvres de la noblesse de France et leur délivre un programme pédagogique d’une grande modernité. Qu’elle fût décriée ou admirée, Madame de Maintenon continue aujourd’hui à fasciner.

Le Château de Maintenon du côté de l’entrée, le Château de Maintenon du côté du jardin XVII e siècle Gravure (estampe).

Une scénographie évocatrice pour un appartement à redécouvrir

L’exposition est l’occasion d’ouvrir au public l’appartement de Madame de Maintenon et d’y présenter une évocation de ce qui fut son environnement lorsqu’elle occupa les lieux de 1680 à 1715. Relativement modeste au regard des appartements royaux et princiers, le logement est situé à un emplacement prisé et exceptionnel, au premier étage du corps central du palais, tout proche de l’appartement du Roi.

Françoise d’Aubigné, épouse Scarron France, XVII e siècle Vers 1670, musée Bernard d’Agesci, © Thomas Garnier

L’espace a subi de nombreuses métamorphoses pour les occupants postérieurs à Madame de Maintenon, et surtout à cause des travaux de transformation du palais en musée dédié à toutes les gloires de la France, par Louis-Philippe au XIXème siècle. Pour cette exposition, tableaux, dessins, gravures, livres, sculptures, médailles et documents inédits sont présentés dans les différentes pièces de l’appartement et retracent la destinée de Madame de Maintenon.

© EPV/ Thomas Garnier

La scénographie, particulièrement évocatrice grâce à la restitution des tentures murales, permet de recréer l’ambiance colorée de cette suite de pièces, discrètes mais raffinées, à l’image de leur occupante.Le tissage a été réalisé par Tassinari et Chatel – la plus ancienne manufacture de soieries fondée à Lyon par Louis XIV – à partir de la description figurant dans l’inventaire de 1708 du Garde-Meuble de la Couronne. à cette date, les murs de l’appartement de Madame de Maintenon étaient richement tendus de soieries, réparties en lés alternés dans la plupart des pièces : rouge et brocatelle de Venise pour la première antichambre, rouge et or pour la chambre et le grand cabinet.

© EPV/ Thomas Garnier

Ce type de décor emblématique du XVIIe siècle ayant aujourd’hui disparu à Versailles, l’exposition est l’occasion unique pour les visiteurs de pouvoir admirer l’intérieur d’un appartement de courtisan au Grand Siècle.

Parcours de l’exposition

La «belle indienne»
première antichambre de l’appartement

Petite-fille d’Agrippa d’Aubigné, poète et compagnon d’armes d’Henri IV, Françoise d’Aubigné est née à Niort en 1635. Elle passe la partie heureuse de son enfance au château de Mursay, chez sa tante paternelle Artémise
Le Valois de Villette. Après un séjour aux Antilles, son père aventureux disparaît et elle est même contrainte à la mendicité. Grâce à sa marraine, elle est en mesure d’épouser à seize ans le fameux poète Paul Scarron.
Cet homme, au physique ingrat, la forme à l’art de la conversation et au goût des belles choses, possédant lui-même un des plus beaux tableaux de Nicolas Poussin, peint à sa demande (tableau qui passa ensuite dans les collections royales et que Madame de Maintenon devait retrouver à Versailles). Scarron fait également connaître à son épouse les cercles précieux de la capitale. Elle a eu ainsi l’occasion de nouer des amitiés durables,
notamment avec Ninon de Lenclos, puis avec Madame de Sévigné, Madame d’Heudicourt et Madame de Montespan.

Devenue veuve en 1660, Françoise Scarron prend pension dans un couvent. Cela n’empêchera pas certaines rumeurs évoquant une liaison avec le marquis de Villarceaux, lui-même amant de Ninon de Lenclos.
Ce dernier aurait même peint Françoise Scarron nue, au bain, comme en témoigne la mystérieuse toile encore conservée au domaine de Villarceaux.

La gouvernante
deuxième antichambre de l’appartement

Rencontrée à l’hôtel d’Albret, son amie Madame de Montespan, devenue la favorite du roi en 1667, pense à faire confier deux ans plus tard à Françoise Scarron la mission d’élever les enfants illégitimes issus de ses amours avec Louis XIV.

Né en 1670, le duc du Maine est le préféré de Françoise Scarron. C’est avec lui et avec son frère le comte de Vexin qu’elle se fait peindre sous les traits de la sainte Vierge. Pour le duc du Maine, qui a du mal à marcher,
elle effectue deux longs séjours successifs à Barèges dans les Pyrénées, lieu réputé pour ses bains thérapeutiques. Après ces premiers enfants, elle s’occupe encore de deux filles.

Cette fonction de gouvernante lui permet de s’établir à la cour dès 1673. Elle a ainsi la possibilité de se faire apprécier du roi et, par les grâces de ce dernier, de devenir châtelaine de Maintenon. Sans même l’avoir vu, elle achète le domaine, situé à proximité de Chartres, en décembre 1674. Bien qu’elle n’y séjourne pas beaucoup, elle y fait plus tard des travaux d’aménagements, notamment pour y accueillir le roi et une partie de la cour.

Les portraits attestés de Madame de Maintenon sont très rares. L’émail de Petitot est sa première représentation connue. Plus tard, Françoise Scarron est aussi représentée avec son amie, Bonne de Pons, marquise d’Heudicourt. Le musée de Niort conserve aussi deux portraits: si le premier, où elle tient une perle, semble incontestable, le second est plus problématique en raison de la couleur bleue de ses yeux, dont on sait qu’ils étaient noirs.

«madame de maintenant»
chambre

La disgrâce de Madame de Montespan puis la mort de la reine permettent la dernière étape de l’ascension de Madame de Maintenon (surnommée « Madame de Maintenant » à la cour) : le roi l’épouse en 1683. Probablement célébré en octobre à Versailles, et en présence notamment du confesseur du roi le père de La Chaise, ce mariage ne sera jamais officiel. Si les circonstances précises ne peuvent en être connues, son existence est néanmoins indiscutable, comme en témoignent deux lettres exceptionnelles émanant de l’évêque de Chartres, Godet des Marais : l’une, non datée, à Louis XIV et, surtout, celle du 12 août 1709, transcrite de la main de Madame de Maintenon, à qui elle était adressée.

En épousant Louis XIV, Madame de Maintenon entre de fait dans la famille royale. Outre Monseigneur, le fils du roi, elle a affaire à Monsieur, frère du roi, et à son épouse, Madame, qui l’accueille avec beaucoup de réticence, jusqu’à entretenir à son encontre une haine tenace.

Troisième pièce de l’appartement de Madame de Maintenon, la chambre en est la pièce la plus importante. C’est là que le roi se rend chaque jour, notamment pour y travailler aux affaires de l’État. Madame de Maintenon vit dans un cadre raffiné, à Versailles et dans les autres résidences royales.

Dès que sa faveur est connue à la cour, Madame de Maintenon fait l’objet de nombreuses critiques: pamphlets et caricatures ne la ménagent pas.

La presque reine de Versailles
grand cabinet I

Malgré des relations difficiles avec sa belle-famille, Madame de Maintenon réussit à s’imposer comme une figure importante de la cour en tissant autour d’elle tout un réseau d’amitiés fondé sur l’estime et la tendresse. Outre Madame de Caylus, le marquis de Dangeau et son épouse, puis l’abbé Fénelon représentent les principales figures de ce cercle raffiné.

En 1696, l’arrivée à la cour de la duchesse de Bourgogne, épouse du petit-fils aîné du roi, permet à Madame de Maintenon de reprendre un rôle prépondérant dans l’éducation des princes de la famille royale. En effet, Madame de Maintenon prend en affection cette jeune princesse de 11 ans, qui l’appelle familièrement « ma tante » et qui se rend fréquemment chez elle. Madame de Maintenon exerçe un véritable ascendant – en faisant nommer, notamment, les principaux officiers de sa Maison – sur celle qui était appelée à régner, jusqu’à sa mort prématurée, à l’âge de 26 ans.

Durant la longue période de son mariage avec Louis XIV (1683-1715), Madame de Maintenon est dédicataire de plusieurs ouvrages publiés, dont un étonnant recueil de psaumes mis en page sous forme de calligrammes. Elle est également l’objet de plusieurs représentations gravées– destinées à être largement diffusées, à la différence des portraits peints. Parmi ces dernières, la gravure de Giffart occupe une place particulière, dans la mesure où elle est accompagnée de devises faisant allusion à son statut à la cour.

L’institutrice
Grand Cabinet II

Saint-Cyr représente l’aboutissement de l’œuvre de Madame de Maintenon comme éducatrice. Fondée en 1686 pour accueillir les jeunes filles pauvres de la noblesse de France, l’institution –dont elle est, de fait, l’institutrice– installée dans de vastes bâtiments édifiés par Jules Hardouin-Mansart aux confins de Versailles.

Objet d’une sélection attentive, comme en témoigne la correspondance de Madame de Maintenon, les Demoiselles de Saint-Cyr étaient au nombre de 250, réparties en quatre niveaux. Elles recoivent une éducation soignée et d’une grande modernité, accordant une part importante aux activités de l’esprit. Ainsi, pour Saint-Cyr, Racine reprit la plume pour composer deux tragédies bibliques – Esther en 1689 puis Athalie en 1691 – destinées à être jouées par les pensionnaires.

Le portrait de Louis XIV tenant le plan des bâtiments de Saint-Cyr forme un pendant à celui de Madame de Maintenon accompagnée de sa nièce, la future duchesse de Noailles. Ces deux portraits sont peints pour Saint-Cyr, où ils sont présentés l’un à côté de l’autre.

Louis XIV se rend souvent à Saint-Cyr, où il annonce sa venue avec beaucoup de délicatesse, comme en témoigne un des courts billets conservés qu’il écrit souvent à son épouse.

En 1715, à la mort du roi, Madame de Maintenon se retire définitivement à Saint-Cyr. Elle y meurt le 15 avril 1719. Un de ses derniers portraits pourrait être celui peint par Jouvenet, qui la montre en habit de Dame de Saint-Cyr.

Madame de Maintenon et sa légende
Grand Cabinet III

Le parcours et l’extraordinaire ascension de Madame de Maintenon n’ont eu de cesse d’intriguer, curieux et malveillants.

Il est vrai que, déjà de son vivant, Madame de Maintenon organise sa propre légende. « Me voilà hors d’état de prouver que j’ai été bien avec le roi » : elle prononce cette formule au moment où, retirée à Saint-Cyr après la mort de Louis XIV, elle détruit par le feu de nombreuses lettres, dont celles qu’elle avait reçues de son époux – ce qui incite le premier éditeur de sa correspondance, La Beaumelle, à forger des lettres factices.

Dès sa retraite à Saint-Cyr, Madame de Maintenon devient en quelque sorte une légende vivante, que les voyageurs cherchent à apercevoir. Ainsi, en 1717, lors de son séjour en France, Pierre le Grand tient à rencontrer Madame de Maintenon, relique vivante du règne passé et veuve du Grand Roi. À l’instar d’autres épisodes de la vie de Madame de Maintenon, la venue du tsar à Saint-Cyr est une source d’inspiration pour plusieurs compositions historicistes du XIXe siècle.

Décriée ou admirée, Madame de Maintenon continue aujourd’hui encore à fasciner, comme en témoigne le succès international de L’Allée du roi, mémoires apocryphes de Madame de Maintenon publiées en 1981 par Françoise Chandernagor et objet d’une adaptation télévisuelle. De Si Versailles m’était conté à la série Versailles, en passant par Saint-Cyr, la diversité des visions portées sur Madame de Maintenon montre combien sa destinée, tout à la fois mystérieuse et éclatante, appelle le romanesque.

UN APPARTEMENT RETROUVE

La réouverture au public de l’appartement de Madame de Maintenon permet d’y présenter une évocation de ce que fut son environnement pendant trente-cinq ans, de 1680 à 1715. Ces types de décor ayant aujourd’hui disparu à Versailles, l’exposition est donc l’unique occasion d’admirer l’intérieur d’un appartement de courtisan à l’époque du Grand Siècle.

Les tentures murales ont été retissées par Tassinari & Chatel – la plus ancienne manufacture de soieries fondée à Lyon par Louis XIV – qui a travaillé
à partir des mentions figurant dans l’inventaire de 1708 du Garde-Meuble de la Couronne, pour construire à partir des dessins et coloris de l’époque, une interprétation de ces décors textiles, au plus près des descriptions mentionnées.
Selon les descriptifs par pièce, le choix des motifs a été très réfléchi et respecte la construction des dessins de l’époque de Louis XIV.

Les différents dessins de damas cramoisis sont issus du fonds d’archives de Tassinari & Chatel, et les trois autres étoffes utilisées sont des soieries de la collection Patrimoine commercialisée par Lelièvre.

première antichambre

L’entrée dans l’exposition se fait par la première antichambre, habillée de « brocatelle de Venise à fleurs et rinceaux sur fond blanc et damas rouge » plus précisément décrite dans l’inventaire, comme étant une « tapisserie composée de douze lés de damas rouge à petit patron et dix-sept montants de brocatelle de Venise fond blanc ». Les mots employés éclairent sur la construction des bandes, on peut ainsi supposer que les lés de damas rouge sont plus larges que les montants de brocatelle de Venise.

Le « damas rouge à petit patron », est représenté par le damas Racines, dessin du fonds d’archives de la manufacture, très représentatif des créations de la Fabrique de Lyon au début du XVIIe siècle. Son dessin botanique est très dense et de petit rapport. La brocatelle de Venise à fleurs et rinceaux est ornée de riches motifs floraux en quinconce sur fond blanc, dans un esprit vénitien du début du XVIIIe .

Deuxième antichambre

Dans la deuxième antichambre, pour représenter la « tapisserie de damas rouge cramoisi, dessin ordinaire, contenant vingt-six lés et ½, garnie par la bas et dix montants de molet d’or » c’est le très beau dessin du début du XVIIIe du damas d’Asnières, issu du fonds d’archives de la manufacture, qui a été retenu. Son décor symétrique en pointe, avec une fleur épanouie d’où s’échappe une gerbe de feuilles entre les ondulations de fleurs et de feuilles d’acanthe est une composition très classique, voire ordinaire pour l’époque.

la chambre

La chambre de Madame de Maintenon était habillée d’une « tapisserie de vingt-cinq lés de damas or et vert et vingt-quatre lés de damas cramoisi, à grand dessin, garni autour de molet d’or et un petit galon or sur les coutures ». Pour cette pièce, la richesse du décor est représentée par le damas or et vert La Coquille (Collection Patrimoine de la manufacture), dont le dessin à pointe avec un décor central de fleurs d’artichaut sur une coquille en forme d’éventail, encadré de grenades et de ramages, apparaît à la fin du règne de Louis XIV.

Le damas à grand dessin est lui interprété par le Damas Orion à décor de feuilles d’acanthe et de grenades, très classique de la première moitié du XVIIIe siècle.

le grand cabinet

Enfin, le Grand Cabinet sur l’arcade est habillé d’une « tapisserie de trente et un lés de brocart fond or filé à fleurs d’or frisé et de trente et un lés de damas rouge cramoisi à petit patron, garnie haut et bas de huit montants de molet d’or ».

Pour le brocart d’or, le damas Mortemer (Collection Patrimoine de la manufacture), avec sa composition d’éléments floraux sur fond de semis de fleurs, répond parfaitement au descriptif dans son coloris or très profond. Il est associé au damas cramoisi Le Bas de Montargis, issu du fonds d’archives, au magnifique décor de dentelle d’époque 1710 à fleurs et feuilles stylisées.

En savoir plus:

Lieu: Château de Versailles
78000 Versailles
Date: jusqu’au 21 juillet 2019
Site: http://www.chateauversailles.fr

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