Charles Le Brun, Le peintre du Roi-Soleil

Comme Delacroix pour le Romantisme ou Monet pour l’Impressionnisme, Charles Le Brun incarne à lui seul l’art d’une époque : le Grand Siècle, ce 17esiècle considéré comme un apogée de l’art français, qui rayonne à travers toute l’Europe.

Prodige repéré vers l’âge de 15 ans, Le Brun figure comme un véritable chef d’orchestre des arts sous Louis XIV, dont il fut le premier peintre pendant près de 30 ans. Également directeur de l’Académie royale de peinture et de sculpture et de la Manufacture royale des Gobelins, il est resté célèbre pour le décor de la galerie des Glaces du château de Versailles.

Charles Le Brun, Portrait équestre du chancelier Séguier, vers 1660, Paris, musée du Louvre © RMN-GP / Franck Raux.
Charles Le Brun, Portrait équestre du chancelier Séguier, vers 1660, Paris, musée du Louvre © RMN-GP / Franck Raux.

Pourtant, sa longue et riche carrière nous a laissé des œuvres d’une extrême diversité, faisant de Le Brun un artiste d’exception. Il se distingue à la fois par la variété de ses dons, la vivacité de son imagination et son talent d’organisateur. À propos de son style, Le Bernin parlait « d’abondance sans confusion », pour qualifier un art généreux et foisonnant, mais structuré de manière parfaitement lisible.
L’exposition au Louvre-Lens rend hommage au talent éclectique de Le Brun, à travers des peintures aux sujets historiques, mythologiques ou religieux, de grandes sculptures issues du parc de Versailles, de vigoureux dessins, d’immenses tapisseries, du mobilier précieux et de très rares éléments de décor provenant de résidences aristocratiques.

Buste Charles Le Brun, par Antoine Coysevox
Buste Charles Le Brun, par Antoine Coysevox

Au total, 235 chefs-d’œuvre sont réunis à Lens, dans une scénographie restituant aussi bien la grandeur du style Louis-Quatorzien que la nature intime des productions tardives de l’artiste. D’autres sont des révélations récentes, comme le Sacrifice de Polyxène découvert à Paris en 2012 dans la suite Coco Chanel, lors de la rénovation de l’hôtel Ritz.

L’exposition propose un parcours en dix séquences chronologiques et thématiques :

1. L’éclat de la gloire

Nul ne saurait incarner mieux que Charles Le Brun le changement de statut que connaît la peinture au cours du 17e siècle. En compagnie de quelques peintres et sculpteurs, Le Brun fonde, en 1648, une Acadé- mie protégée par le roi, qui élève la peinture et la sculpture au rang d’arts libéraux, au même titre que la grammaire ou la musique.

Charles Le Brun, Trois têtes d’homme en relation avec le lion, pierre noire, plume et encre noire, lavis gris et gouache blanche, vers 1668- 1678, Paris, musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre / Mathieu Rabeau)
Charles Le Brun, Trois têtes d’homme en relation avec le lion, pierre noire, plume et encre noire, lavis gris et gouache blanche, vers 1668- 1678, Paris, musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre / Mathieu Rabeau)

Au début des années 1660, le roi anoblit Le Brun et l’associe à sa propre gloire en lui donnant pour armes le soleil et une fleur de lys. Il en fait son premier peintre, le directeur de ses manufactures établies aux Gobelins, le maître d’œuvre de ses grands décors. La Visite du roi aux Gobelins met en scène cette confiance royale et cette fécondité artistique.

Le Brun, qui s’est fait construire une belle demeure à Montmorency, où il reçoit les grands et les artistes, attire les hommages : l’Académie de Saint-Luc à Rome le choisit pour prince ; le Grand-Duc de Toscane lui commande un autoportrait ; son effigie est gravée dans le marbre, l’argent et le bronze ; des livres lui sont dédiés ; des biographies font l’éloge de son art.

Charles Le Brun, Hercule terrassant Diomède,1640-1641 © Nottingham Castle Museum & Art Gallery.
Charles Le Brun, Hercule terrassant Diomède,1640-1641 © Nottingham Castle Museum & Art Gallery.

2. Les années Séguier.

Une formation entre Paris et Rome (1630-1646) Charles Le Brun est le fils d’un modeste sculpteur, dont il peint, adolescent prodige, un portrait flatteur. Il se forme auprès de plusieurs maîtres, tels les peintres François Perrier et Simon Vouet. Ses premières œuvres connues sont des petits tableaux, souvent peints sur bois en camaïeu, destinés à être gravés. Cette production modeste et touchante est en cours de redécouverte. Le Brun lui-même fait quelques essais de gravure à l’eau-forte.

Manufacture des Gobelins, Atelier de Jean De La Croix, Terpsichore, tapisserie de basse lisse, laine, soie et or, Paris, Mobilier national © Philippe Sébert.
Manufacture des Gobelins, Atelier de Jean De La Croix, Terpsichore, tapisserie de basse lisse, laine, soie et or, Paris, Mobilier national © Philippe Sébert.

Le chancelier Séguier, l’un des premiers personnages du royaume, le distingue très tôt et fait de lui sa « créature » au sens du 17e siècle : il lui accorde sa protection, le loge, lui permet de fréquenter des savants et des lettrés qui nourrissent sa conception de l’art. Autour de 1640, à 21 ans à peine, Le Brun connaît une première consécration : il exécute un magistral Hercule et Diomède pour le cardinal de Richelieu, alors principal ministre, et Le Martyre de saint Jean à la porte latine pour la chapelle de la confrérie des maîtres peintres et sculpteurs. Ce début de carrière fulgurant est brusquement interrompu par le départ pour Rome en 1642.

Charles Le Brun, L’Adoration des bergers, huile sur toile, 1689, Paris, musée du Louvre © RMN-GP (musée du Louvre / Franck Raux.
Charles Le Brun, L’Adoration des bergers, huile sur toile, 1689, Paris, musée du Louvre © RMN-GP (musée du Louvre / Franck Raux.

Lorsqu’il quitte Paris en 1642 pour gagner Rome en compagnie de Nicolas Poussin, Le Brun obéit manifestement à un ordre du chancelier Séguier. Pour ce dernier, il dessine les antiquités, copie les grands maîtres comme Raphaël (1483-1520) et Annibal Carrache (1560-1609). Ses tableaux d’invention le montrent également sensible à la leçon antiquisante de Poussin et à celle luministe de Guerchin. Très vite, Le Brun juge en avoir assez vu et souhaite quitter cette Rome qu’il dépeint somnolente dans son Allégorie du Tibre.

Manufacture des Gobelins, Plateau en mosaïque de marbres et pierres dures, dernier quart du 17e siècle, Paris, musée du Louvre © RMN-GP (musée du Louvre) / Droits réservés
Manufacture des Gobelins, Plateau en mosaïque de marbres et pierres dures, dernier quart du 17e siècle, Paris, musée du Louvre © RMN-GP (musée du Louvre) / Droits réservés

3. Les grandes commandes parisiennes (1646-1661)

De retour à Paris en 1646, Le Brun multiplie les commandes. Il exécute aussi bien des tableaux de chevalet, comme Le Frappement du rocher ou Le Serpent d’airain, marqués par l’art de Poussin, que de grandes toiles pour les églises parisiennes. C’est le cas du Martyre de saint André, peint pour la cathédrale Notre-Dame, ou de La Pentecôte qui ornait l’autel du Séminaire Saint-Sulpice, sous le premier grand plafond unifié de Le Brun (détruit).

De l’hôtel Lambert au palais du Louvre, Le Brun se consacre également à la décoration des intérieurs civils, souvent détruits aujourd’hui. Pour l’hôtel de l’abbé de La Rivière, il orne ainsi deux pièces, dont les décors sont remontés au musée Carnavalet à Paris. L’Apothéose de Psyché, exceptionnellement prêtée pour l’exposition, illustre parfaitement le refus de Le Brun d’un point de fuite unique dans la composition des plafonds.

Partout Le Brun se montre sensible à l’espace, au dialogue entre les arts, comme dans la chapelle de la Madeleine au couvent des Carmé- lites du faubourg Saint-Jacques où le cardinal de Bérulle, sculpté, prie devant la Pénitente qui renonce aux Vanités du monde.

4. L’expérience Fouquet.

Vaux-le-Vicomte et Maincy (1657-1661) Alors qu’il ne reçoit pour le roi au palais du Louvre que des commandes ponctuelles, Le Brun se voit confier par le surintendant des finances Nicolas Fouquet, dès la fin de l’année 1657, un chantier à la hauteur de ses ambitions. Au château de Vaux-le-Vicomte, que vient de construire Louis Le Vau à une soixantaine de kilomètres de Paris, Le Brun conçoit et dirige de grands travaux de décoration, rassemblant de nombreux artistes et mêlant tous les arts. Lorsque Fouquet est brusquement arrêté, sur ordre du roi, le 5 septembre 1661, l’ensemble est inachevé mais la preuve du talent et de la capacité de Le Brun est faite.

À Vaux, Le Brun se charge de la décoration des appartements d’apparat du rez-de-chaussée, dont le cœur devait être la voûte du grand salon ovale, jamais exécutée, mais connue par des dessins et une estampe. Il invente également les décors des fêtes somptueuses que donne Fouquet. Il conçoit encore les modèles des tapisseries tissées dans la manufacture que le surintendant a créée à Maincy, en bordure du château, mais, contrairement à une légende, n’en assure pas la direction. L’activité des ateliers s’y poursuit même après la chute de Fouquet, puis est transférée à Paris aux Gobelins au printemps 1662. Les mêmes modèles y sont tissés, au prix d’un changement d’armoiries.

5. La confiance de Colbert

Si Le Brun passe sans trop de dommage du service de Fouquet à celui de Louis XIV, il le doit au soutien inconditionnel du chancelier Séguier, à l’estime et à la perspicacité de Jean-Baptiste Colbert. Avant même d’être nommé surintendant des Bâtiments du roi en 1664 et jusqu’à sa mort en 1683, Colbert lui accorde une confiance sans faille pour orner les maisons royales et diriger les institutions artistiques. Il le sollicite aussi à titre personnel pour décorer son château de Sceaux, près de Paris. Outre la coupole du Pavillon de l’Aurore, Le Brun conçoit le décor de la chapelle du château, dédiée à saint Jean-Baptiste. Les différents arts et la lumière y formaient une œuvre commune. Au maître-autel, saint Jean baptise le Christ, tandis que le saint Esprit, resplendissant dans le vitrail, descend du ciel, et que, à la voûte, Dieu le Père bénit l’action et marque le triomphe du Nouveau Testament sur l’Ancien. La sculpture de Jean-Baptiste Tuby et les cartons ayant servi à la peinture de la voûte constituent aujourd’hui les vestiges épars de cette œuvre détruite.

6. Le Brun théoricien : l’expression des passions et la physionomie

Comme Poussin ou Rubens, Le Brun est un peintre savant. Sa principale contribution à la théorie artistique est sa conférence sur l’expression des passions, c’est-à-dire des émotions, prononcée à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1668. En s’inspirant de diverses sources, dont le traité des Passions de l’âme de Descartes (1649), Le Brun codifie la manière dont les diverses passions affectent les traits du visage. L’artiste consacre également une étude à la physionomie, c’est-à-dire à la manière dont la forme du visage révèle le tempérament. Cette recherche se fonde notamment sur la comparaison des physionomies humaines et animales à laquelle Le Brun a consacré un ensemble de merveilleux dessins. On pensait en effet que la similitude des traits correspondait à une similitude des caractères : ainsi l’homme-lion est courageux et magnanime, l’homme-cochon, lubrique et paresseux…

7. Le Brun, directeur des Gobelins

Directeur de la manufacture royale des Gobelins entre 1663 et 1690, Le Brun a profondément marqué les arts décoratifs. Il dirige l’exécution des plus célèbres tentures de tapisserie (les Saisons, les Éléments, les Maisons royales, l’Histoire du roi…), mais aussi celle de meubles d’un raffinement et d’une richesse exceptionnels : tables et grands cabinets souvent décorés de marqueteries de pierres dures, c’est-à-dire de panneaux décoratifs composés de pierres semi-précieuses de couleurs variées. L’artiste donne également les modèles du fameux « mobilier d’argent » constitué de pièces monumentales en argent : vases, miroirs, tables, torchères… Le Brun esquisse la forme générale des meubles dans des croquis très libres. Il donne aussi les dessins d’ensemble qui servent de point de départ aux artisans, ce qui lui permet d’assurer l’unité décorative des meubles et tapisseries. Il répartit les tâches entre artistes et artisans et contrôle toutes les étapes de la fabrication.

8. À la tête des chantiers royaux

En tant que premier peintre du roi, Le Brun a la direction de tous les chantiers décoratifs royaux. À Versailles, il est le maître d’œuvre des grands décors peints : Grands Appartements (1671-1680) ; escalier des Ambassadeurs (1674-1679 , décor détruit), chapelle royale (1675-1679 , décor non exécuté); galerie des Glaces (1678-1684) ; salons de la Guerre et de la Paix (1685-1687). Il est aussi chargé de diriger les sculpteurs qui travaillent aux décors des façades du château et qui exécutent les statues disposées dans les jardins. Peintre savant, Le Brun a aussi un rôle de concepteur des programmes iconographiques, c’est-à- dire qu’il contribue à élaborer le discours politique à la gloire de Louis XIV. Ce discours est codé par les innombrables allégories et symboles que l’on peut déchiffrer dans les décors peints et sculptés de Versailles.

9. Le Brun et l’estampe : les grands décors en noir et blanc

Le Brun veille personnellement à la diffusion de son œuvre par la gravure, comme l’avaient fait avant lui Raphaël (1483-1520) et Rubens (1577-1640). Grâce à un Privilège obtenu en 1656, il fait reproduire la plupart de ses grands tableaux et décors peints. Il fait appel à de jeunes graveurs qui, tels Girard Audran, sont capables de transcrire dans un format restreint les grandes compositions qu’il a conçues soit pour la tapisserie, soit pour orner les plafonds et les coupoles des demeures royales. Ces gravures, souvent spectaculaires parce que réalisées à partir de plusieurs plaques, contribuent à la gloire du peintre. La publication tardive de gravures de plusieurs ensembles décoratifs, tel le plafond de la galerie de l’hôtel Lambert, l’escalier des Ambassadeurs et la galerie des Glaces de Versailles, témoignent de la postérité qu’a Le Brun jusqu’à la fin du siècle des Lumières.

10. Le crépuscule d’un génie

Les dernières années de Charles Le Brun sont assombries par sa rivalité avec le peintre Pierre Mignard (1612-1695), et surtout par l’hostilité que lui témoigne le puissant marquis de Louvois, devenu surintendant des Bâtiments après la mort de Colbert en septembre 1683. S’il conserve ses titres de premier peintre du roi et de directeur de la manufacture royale des Gobelins, Le Brun est tenu à l’écart des principaux chantiers décoratifs, aussi bien aux Gobelins qu’à Versailles. Ses dernières années sont consacrées à la réalisation d’un petit nombre de tableaux de chevalet destinés à un spectateur unique : Louis XIV. Ces œuvres touchantes, pleines d’émotion, longuement mûries et mé- ditées, découvrent la part la plus intime et la plus personnelle de son talent. À propos de L’Adoration des bergers peinte par Le Brun en 1689, Jacques Thuillier écrira en 1968 : « […] par une sorte de paradoxe l’œuvre du Premier Peintre de Louis XIV se conclut ainsi sur l’accent le plus dépouillé et le plus tendre. »

En savoir plus:

CHARLES LE BRUN:Le peintre du Roi-Soleil

Jusqu’au 29 août 2016

Galerie d’exposition temporaire

http://www.louvrelens.fr/

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