Trésors de Sable et de Feu

Présentée dans les galeries Rivoli du musée des Arts Décoratifs, l’exposition réunit un ensemble exceptionnel de plus de 600 pièces de verre issues des réserves de l’institution. À travers un parcours chronologique allant de la Renaissance à nos jours, l’événement retrace les différents savoir-faire et métiers d’art, en révélant une collection riche et variée.

Lampe de Mosquée au nom du Sultan Baybars II, Egypte ou Syrie, 1309-1310, verre soufflé Achat à la vente Albert Goupil en 1888 © Jean Tholance
Lampe de Mosquée au nom du Sultan Baybars II,
Egypte ou Syrie, 1309-1310, verre soufflé
Achat à la vente Albert Goupil en 1888
© Jean Tholance

 

Cet ensemble offre un regard étendu sur les styles, les techniques et les goûts propres à chaque époque, tout en rendant hommage aux écoles et foyers créatifs européens, orientaux et américains. La chronologie des douze salles évoque aussi l’histoire de la construction de ce patrimoine au travers des achats et surtout des dons et legs de collectionneurs éclairés. En unissant le beau à l’utile, Trésors de Sable et de Feu, Verre et Cristal aux Arts Décoratifs, XIVeXXIe siècle est une histoire du verre racontée à travers cette collection, considérée aujourd’hui comme l’une des plus importantes en Europe.

Scène de repas, Emaux polychromes, papier, coquillage et corail Nevers, France, 1740 Legs Henriette Caillaux, 1944 © Jean Tholance
Scène de repas, Emaux polychromes, papier, coquillage et corail
Nevers, France, 1740
Legs Henriette Caillaux, 1944
© Jean Tholance

L’exposition est la première grande rétrospective dédiée à une histoire du verre depuis « L’Art du Verre » organisée aux Arts Décoratifs en 1951. Le caractère international de ce projet va de pair avec une attention particulière accordée aux verriers français, en offrant certains regards croisés sur les productions anciennes et contemporaines. Les objets, ornementaux ou utilitaires, et les œuvres d’art sont inscrits dans une trame chronologique qui rythme le parcours du visiteur sur les deux étages. Les pièces exposées illustrent les goûts des collectionneurs qui ont activement enrichi le fonds de l’institution, ainsi que les acquisitions importantes de verres faites depuis le XIXe siècle.

Gobelet à double paroi, Bohême, 18ème siècle © Jean Tholance
Gobelet à double paroi, Bohême, 18ème siècle
© Jean Tholance

Des originaux arabo-musulmans, comme les verres émaillés mamelouks sont confrontés aux créations de Philippe J. Brocard à Paris ou de la firme Lobmeyr à Vienne et côtoient des verres chinois de la dynastie Qing qui fascinèrent Émile Gallé. Le visiteur découvre l’histoire du verre européen du XVIe au XVIIIe grâce aux dons et legs de collectionneurs passionnés comme Patrice Salin, Madeleine Bougenaux, François Carnot et Madame Fernand Bernard. La création de manufactures modernes au début du XIXe siècle, participe à l’émergence d’une véritable verrerie et cristallerie de luxe en France, comme celle de Baccarat. Les « cristaux opales » ou « opalines », sont l’originalité la plus grande de cette production française et un point fort de la collection.

Vase Hu à décor archaïsant Chine, Règne de Qianlong (1736/1796) achat, Héliot 1893 © Jean Tholance
Vase Hu à décor archaïsant
Chine, Règne de Qianlong (1736/1796)
achat, Héliot 1893
© Jean Tholance

Les Arts Décoratifs contribuent à l’éclosion et à la diffusion d’un art nouveau et, jusqu’en 1914, rassemblent un splendide ensemble d’œuvres, dont celles d’Émile Gallé, de René Lalique et de François-Eugène Rousseau. 
Cette politique active d’enrichissements est cependant très ralentie après la Première Guerre mondiale mais des acquisitions spectaculaires viennent enrichir le musée, comme le legs de Monsieur et Madame Barthou, grands amateurs des verriers Maurice Marinot et François Décorchemont.

 J. & L. Lobmeyr Pichet, Verre soufflé décoré d’émaux bleu, blanc et or Vienne, Autriche, 1878 Achat J. & L. Lobmeyr, 1879 © Jean Tholance
J. & L. Lobmeyr
Pichet, Verre soufflé décoré d’émaux bleu, blanc et or
Vienne, Autriche, 1878
Achat J. & L. Lobmeyr, 1879
© Jean Tholance

Une des salles du niveau supérieur est dédiée à l’histoire du verre à boire de 1900 à nos jours. Les autres espaces de l’étage sont consacrés aux oeuvres françaises et internationales des quarante dernières années. Cette période correspond aussi à l’émergence de nouveaux organismes spécialisés. La fondation du centre du verre aux Arts Décoratifs en 1982, et les rencontres internationales du musée du verre de Sars Poterie, sont révélateurs de cette nouvelle dynamique.

Coupe Deux sirènes, René Lalique (1860-1945) France, Salon des Artistes Français de 1909, verre moulé gravé à la roue, patiné, intérieur dépoli Achat R. Lalique, 1909 © Jean Tholance
Coupe Deux sirènes, René Lalique (1860-1945) France,
Salon des Artistes Français de 1909, verre moulé gravé
à la roue, patiné, intérieur dépoli
Achat R. Lalique, 1909
© Jean Tholance

L’exposition met ainsi en lumière les générations d’artistes ayant transformé l’approche du verre depuis les années 1960 mais aussi une génération récente d’artistes talentueux. Le visiteur découvre ou revoit alors des œuvres de Stanislav Libensky, Jaroslava Brychtova, Bertil Valien, Richard Meitner, Bernard Dejonghe, Toots Zynsky, Alessandro Diaz et Laura de Santillana, Gaetano Pesce, Ettore Sottsass et de plus jeunes comme Damien François, Vanessa Mitrani et Martin Hlubucek.

 Pannier frères, Paris, 1892. Georges Despret , France, 1902.  Daum, Nancy, France, 1898/1899
Pannier frères, Paris, 1892.
Georges Despret , France, 1902.
Daum, Nancy, France, 1898/1899

 

Le Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts Plastiques de Marseille, et le Centre International d’Art Verrier de Meisenthal, deux institutions impliquées dans la création contemporaine, sont les invités du musée. Représentés par des réalisations récentes de Philippe Parreno (CIRVA), Michel Paysant (CIAV), ou encore David Dubois (CIAV et CIRVA). Histoire et actualité du verre, histoire du goût, histoire d’une collection, l’exposition éclaire toutes les facettes de ce matériau étonnant qui prend toutes les formes et toutes les couleurs.

Maurice Marinot, Flacon, Le Perroquet doré, 1928 Legs de Mr et Mme Louis Barthou, 1934 © Jean Tholance
Maurice Marinot, Flacon, Le Perroquet doré, 1928
Legs de Mr et Mme Louis Barthou, 1934
© Jean Tholance

Historicisme, orientalisme et éducation

La volonté de former une collection de modèles historiques, source d’inspirations et de réflexions pour les créateurs, et de les confronter aux meilleures créations contemporaines est au cœur du projet de collection du musée des Arts décoratifs dès l’Exposition universelle de 1878.

Des originaux arabo-musulmans, comme les verres émaillés mamelouks qui influencent directement Philippe J. Brocard à Paris et la firme Lobmeyr à Vienne, côtoient les verres chinois de la dynastie Qing qui fascinent Emile Gallé.

Richard Meitner, Pays-Bas, 1984.  Gio Colucc, France, 1965.  Hisatoshi Iwata, Japon, 1991
Richard Meitner, Pays-Bas, 1984.
Gio Colucc, France, 1965.
Hisatoshi Iwata, Japon, 1991

Le musée n’achète pas de verres antiques mais s’enrichit des extraordinaires copies de techniques romaines sophistiquées comme les verres mosaïqués et marbrés de la compagnie de Venise-Murano (A. Salviati), chefs d’œuvre de l’historicisme qui règne alors dans l’Europe entière. En 1892, un important groupe acquis auprès de la verrerie Ehrenfeld de Cologne constitue comme une histoire résumée du verre soufflé de l’Antiquité à la Renaissance et montre le rôle de cette pédagogie formelle et technique que l’on attribue aux collections. Par ailleurs, l’acquisition des verres de la collection de l’érudit Victor Gay, en 1909, marque la volonté de conserver et transmettre les connaissances comme les siennes, lui-même étant le fameux auteur d’un Dictionnaire archéologique du Moyen Age et de la Renaissance.

De l’Orient musulman au XVIIIe siècle européen

Peu d’achats majeurs de verreries anciennes sont réalisés entre 1878 et 1900, mais dès le début du XXe siècle plusieurs dons et legs de collections enrichissent le musée. Elles rendent compte du goût d’amateurs éclectiques qui s’intéressent à l’ensemble de la verrerie préindustrielle.

En 1902, la veuve de Patrice Salin, membre fondateur de l’Union centrale, donne 73 objets en verre, dont certains déjà présentés par l’amateur dans les expositions du musée, et d’autres reproduits dès 1870 par des planches lithographiées d’Edouard Lièvre. Les pièces vénitiennes et façon de Venise de la Renaissance au XVIIIe siècle y dominent mais le Moyen-Orient côtoie aussi les verres germaniques et français des XVIIe et XVIIIe siècles.

En 1917, le legs de Mme Piet-Lataudrie permet l’entrée de 52 verreries, orientales, françaises et allemandes, mais l’apport principal est formé par de très belles verreries façon de Venise d’origine catalane comme ces verres à haute tiges, aux profils et aux proportions inhabituelles.

Le legs de Mme Mimaut en 1911, au côté de belles faïences et porcelaines, correspond au premier fonds important de verres de Bohême et d’Allemagne, magnifiquement complété en 1979 par le don de Mme Bernard qui constitue, lui, le plus bel ensemble de verres gravés allemands du XVIIIe siècle dans les collections publiques françaises.

Verres français des XVIIe et XVIIIe siècles

La majorité des collectionneurs ayant développé et enrichi le fonds du musée s’est naturellement intéressée à l’histoire de la verrerie française. Si le musée n’a pu acquérir dans sa totalité l’extraordinaire collection de Mme Livon-Daime, exposée en 1922, un grand nombre d’achats et de dons, représentant surtout la production nationale, a été réalisé. il s’agit tout d’abord d’un groupe de verres à boire français du XVIIIe siècle puis, de nombreuses pièces décorées typiquement françaises. Enfin le don de Mme Koenigwerther–King d’un ensemble de flacons qu’elle achète à la vente Livon-Daime.

En 1997, le legs de Roger-Armand Weigert, conservateur à la Bibliothèque Nationale, vient compléter cet ensemble de verres à boire mais aussi, avec des verres filés dits de Nevers, le legs exceptionnel de Mme Bougenaux entré en 1961. Elle fut la grande collectionneuse, au milieu du XXe siècle, de cette originalité française des XVIIe et XVIIIe siècles : les figurines en verre modelées à la flamme d’une lampe à huile sur un support métallique.

Enfin, François Carnot, qui fut président de l’Union centrale de 1910 à sa mort en 1960, donne tout au long de sa vie de nombreux verres, principalement français mais aussi espagnols et chinois. Rappelons aussi que la seule grande rétrospective de l’histoire du verre français, l’exposition « L’Art du verre », eut lieu sous sa présidence en 1951.

Néoclassicisme, romantisme et éclectisme

Au XIXe siècle Avec la création de manufactures modernes au début du XIXe siècle, émerge en France une véritable verrerie de luxe, en concurrence avec les autres foyers européens. Le cristal au plomb est la matière à la mode, qu’elle soit pressée en série dans des moules, taillée pour magnifier ses qualités optiques ou colorée, et rivalisant avec les porcelaines ou l’orfèvrerie.

Les « cristaux opales », ou opalines, sont l’originalité la plus grande de cette production française et le point fort de la collection, rassemblées par dons et par legs, autour de la personnalité de Yolande Amic, grande spécialiste et conservateur au musée. Ce sont à Mathilde Sée, William Odom, Mme Albert Koenigwerther-King, Ruth Paumier-Montagu et Edmée IndigGuérin que le musée doit cet ensemble exceptionnel.

A Paris, autour du pôle de commerce de luxe du Palais-Royal, naît également la première école française de verre gravé, relayée par l’arrivée de graveurs de Bohême. Le musée n’est pas aussi riche en cristaux transparents qu’en cristaux de couleur, mais les cristaux incrustés de céramique ou d’or émaillés sont entrés dès 1925 avec les dons et legs de David David-Weill et Georges Contenau.

Lors des premières acquisitions contemporaines, de 1878 à 1889, le musée s’enrichit de tours de force vénitiens et autrichiens, mêlant les styles historiques et réinterprétant les canons classiques, souvent en sur-dimensionnant et en sur décorant les modèles originaux. Les références Renaissance, orientales et japonaises, avec lesquelles joue alors le cristal transparent de Baccarat entrent aussi à cette époque au musée, alors que les relectures de la tradition polychrome par la cristallerie Saint-Louis sont des enrichissements plus récents.

L’Union centrale des Arts Décoratifs et l’éclosion d’un art nouveau, 1884-1914

Les membres de l’Union centrale des Arts décoratifs sont des acteurs et de fervents soutiens de l’éclosion d’un Art nouveau et, de 1878 à 1914, le musée constitue un splendide ensemble de verres contemporains, devenu le noyau de la collection. Y brillent les œuvres d’Émile Gallé, de François Eugène Rousseau et de ses collaborateurs, Léveillé, Michel et Reyen, mais aussi du sculpteur et verrier Henry Cros ou du céramiste et verrier Albert Dammouse, pour ne citer que les principaux.

Les Expositions universelles, les expositions spécialisées comme celle, historique, que le musée consacre en 1884 à la Terre, au Verre et à la Pierre, puis les sections Objets d’art des Salons annuels, à partir de 1891, sont autant d’occasions d’acquisitions majeures.

Louis Comfort Tiffany est l’artiste étranger le mieux représenté grâce à ses nombreuses expositions en France et en Europe et au soutien de son agent, Siegfried Bing, fondateur de la galerie « L’Art nouveau », qui donne son nom à ce mouvement en France.

La présence des frères Daum au musée, en majorité grâce à des dons de la famille Daum, est en revanche plus tardive et liée à la redécouverte de l’Art nouveau et de l’école de Nancy après les années 1960 et aux expositions pionnières organisées au musée par Yvonne Brunhammer alors en charge de ces collections.

Paris 1925-1937

Après la Première Guerre mondiale, le musée n’est plus en mesure financièrement de continuer la politique active d’enrichissement menée depuis sa création. Heureusement, des dons postérieurs et des legs importants ont compensé ce manque de moyens en constituant un fonds remarquable d’époque Art Déco.

Le legs de la collection de M. et Mme Louis Barthou, le plus important ensemble de Maurice Marinot, complète en 1934 les dons réalisés par Jacques Zoubaloff à partir de 1919. Les Barthou possédaient aussi de très beaux verres de Décorchemont qui rejoignent les premiers achats directs à l’artiste réalisés entre 1905 et 1912. Ce fonds important du maître de la pâte de verre est enrichi par lui-même après la guerre, par sa famille après sa mort, et enfin par les achats et dons.

Les achats à René Lalique, nombreux entre 1909 et 1913, ne sont plus réalisés après la guerre. Heureusement, l’artiste, sa famille et ses amis comblent cette lacune dès les années 1930. Les achats aux Sala, souffleurs de verre installés à Montparnasse, font exception dans ces années 1920. On regrette la rareté des entrées lors de l’Exposition de 1925, même si les œuvres des manufactures d’Orrefors en Suède et de Lobmeyr en Autriche et Tchécoslovaquie, alors à la pointe de la modernité, sont heureusement achetées et données. En 1937, le musée manque aussi l’opportunité de s’enrichir, mais les attributions de certains achats de l’état et des dépôts du Mobilier national permettent de représenter ce nouveau classicisme ambiant avec, par exemple, le spectaculaire vase dessiné par Jean Sala pour Saint-Louis, et celui, unique, de l’émailleur Auguste Heiligenstein.

Les années 1980 ou le retour des artistes artisans

Les réseaux des artisans créateurs verriers, démantelés après la crise de 1929, ne se reconstituent pas après-guerre, avant tout à cause de l’absence de formations et de diffusions organisées.

Il faut attendre les années 1980 et des initiatives privées, venues par exemple du Sud autour de la verrerie de Biot, ou du Nord, avec le musée-atelier de Sars- Poterie, et l’arrivée de créateurs formés à l’étranger, pour voir l’émergence de nouveaux réseaux. Ceux-ci se manifestent lors de l’exposition New Glass, verriers français contemporains au musée des Arts décoratifs en 1981, et bénéficient alors des échanges avec la dynamique du studio glass américain. C’est aussi à cette occasion que l’Etat reprend une politique d’achat de verres contemporains, en sommeil depuis 1937, et que le musée bénéficie de nombreux dépôts du Fonds national d’art contemporain.

Techniques traditionnelles réinvesties, comme le soufflage et la pâte de verre, et nouvelles recherches, avec le sablage du verre ou le thermoformage du verre à vitre, sont caractéristiques de cette époque.

La création du centre du Verre au musée des Arts décoratifs en 1982 ainsi que des rencontres internationales au musée du verre de Sars Poterie, soutiennent ce nouveau souffle. La création du CIRVA en 1983 à Marseille puis de la plateforme verrière de Vanne-le-Châtel, et enfin du CIAV de Meisenthal prennent le relais de la formation et de la recherche cassant les frontières d’une pratique, solitaire ou protégée, souvent secrète, à laquelle le verre était lié depuis des millénaires.

En savoir plus:

Au musée des Arts décoratifs jusqu’au 15 novembre 2015

http://www.lesartsdecoratifs.fr/

 

 

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