Le service de toilette en vermeil de la duchesse de Modène

Le musée du Louvre annonce l’acquisition, pour le département des Objets d’art, d’un ensemble de pièces de la toilette en vermeil créée par l’orfèvre Nicolas Besnier (1684-1754) pour le mariage de Charlotte-Aglaé d’Orléans (1700-1761), petite fille de Louis XIV et fille de Philippe II d’Orléans, dit le Régent, avec François Marie III d’Este, duc de Modène.

Parmi les douze toilettes recensées pour les membres de la famille d’Orléans, celui de Charlotte-Aglaé d’Orléans (1700-1761) est de loin le plus complet et le plus lourd (plus de 37 kg) jamais offert à une fille de France. À titre de comparaison, le service de toilette de la reine Marie-Antoinette, livré en 1789, ne compte que 37 pièces, et celui de la duchesse de Cadaval fait entre 1738 et 1739 ne pèse que 26,250 kg.

Le service de toilette en vermeil de la duchesse de Modène.
Aiguière et son bassin en vermeil © Christie’s

Sur les quarante et une pièces que comportait à l’origine ce service de toilette, le plus complet et le plus important de ceux recensés pour la famille d’Orléans, et le seul ayant échappé aux fontes royales et révolutionnaires, onze pièces sur les quinze aujourd’hui répertoriées étaient proposées à la vente.

Un ensemble de huit objets répartis en cinq lots a pu être acquis par exercice du droit de préemption de l’Etat, à l’occasion de la vente organisée par Christie’s France à Paris, mercredi 27 novembre 2019.Les grands services de toilette français des 17ème et 18ème  siècles étaient jusqu’ici absents des collections nationales et restent très rares, même à l’étranger.

Flacon à parfum en vermeil © Christie’s

L’argenterie de table et de toilette de la monarchie française, à l’instar du mobilier d’argent, a fait l’objet de fontes massives du règne de Louis XIV à la Révolution. Seuls furent conservés les ensembles qui avaient quitté le royaume dès leur création. Le Louvre ne possédait jusqu’ici que deux objets de toilette de l’Ancien Régime : le miroir de toilette de la duchesse d’York (1660) et le bassin de toilette de la duchesse d’Orléans, la propre mère de Charlotte-Aglaé (1720).

Gantière et vergette en vermeil © Christie’s

Le service de toilette de la duchesse de Modène viendra s’ajouter à deux autres oeuvres maîtresses de Nicolas Besnier acquises en 2014, les pots à oille du service d’Horatio Walpole, ambassadeur d’Angleterre à la cour de France en 1727. L’acquisition des huit pièces du service de toilette de la petite-fille de Louis XIV constitue donc un extraordinaire événement.

Paire de pots et leur couvercle en vermeil © Christie’s

Quintessence de l’orfèvrerie de cour, les services de toilette princiers étaient souvent admirés et commentés par les contemporains : la cérémonie de la « toilette » (maquillage, coiffure et parure) était publique et se tenait chaque matin dans la chambre en présence d’une nombreuse assistance. En conséquence, les services de toilette étaient particulièrement luxueux. Tout au long de son règne, Louis XIV prit soin d’en offrir à chacune de ses filles et petites-filles au moment de leur mariage. Respectant cette tradition, le Régent commanda celle de sa fille Charlotte-Aglaé d’Orléans et c’est tout naturellement l’orfèvre du roi Nicolas Besnier qui fut chargé de l’exécuter.

Crachoir en vermeil © Christie’s

Neveu du grand orfèvre Nicolas Delaunay, Besnier travaillait dans l’atelier de celui-ci, à la Galerie du Louvre et, pour cette commande, il reprit probablement des dessins de son oncle. Il revenait alors d’un séjour à l’Académie de France à Rome où il avait été formé à l’Architecture. Son art est emblématique de cette période de l’orfèvrerie dite du « deuxième style Louis XIV » ou « Régence », qui conduisit les artistes à rechercher la virtuosité du décor et l’allègement des formes, rompant ainsi avec la monumentalité et la symbolique du Grand Siècle. Besnier conjugue ainsi une infinie variété d’ornements disposés en frises, en entrelacs, en lambrequins et en « tapis », combinés à une grande finesse de ciselure dont les effets jouent merveilleusement avec la lumière.

En plus d’être un ensemble exceptionnel par son style, ce service de toilette témoigne également de la réalité économique et politique de son époque. En décembre 1689, Louis XIV avait émis un décret limitant le poids de certaines pièces de services de toilette afin de contrôler les dépenses. Dès la fin de règne du Roi Soleil en 1715, le Régent réintroduit à Versailles richesse et luxe. Entre 1716 et 1720, le système de Law, qui développe l’utilisation du papier-monnaie, provoque une euphorie économique qui profite à Philippe d’Orléans, lui permettant de commander ces pièces d’orfèvrerie exceptionnelles pour le mariage de sa fille.

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