Le Grand Tour: le voyage de la noblesses européennes

Le Grand Tour, écrit de la même façon en anglais, est à l’origine un long voyage en Europe effectué par les jeunes gens, et très rarement les jeunes filles, des plus hautes classes de la société européenne, britannique, allemande, mais aussi française, néerlandaise, polonaise, scandinave, plus tardivement russe à partir des années 1760. La pratique, qui émerge vers le milieu du XVIème siècle, s’affirme tout au long du XVIème siècle, pour culminer au XVIII ème siècle. Ce voyage d’éducation aristocratique est destiné à parfaire leur éducation et élever leurs centres d’intérêt, juste après, ou pendant leurs études, qui étaient alors essentiellement fondées sur les humanités grecques et latines.

Grand Tour, Vue des « fori Imperiali », Gravure de François Morel 1796.
(c) Antiquités Ghilli, Proantic.

Les destinations principales sont avant tout l’Italie, mais aussi la France, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Suisse que le jeune homme parcourt en partant et en revenant dans son pays. Plus tard, à partir du milieu du xviiie siècle, certains se hasardent jusqu’en Grèce et au Proche-Orient, parfois en Perse. Ces voyages duraient en général plusieurs années, jusqu’à cinq ou six pour les familles les plus fortunées, ou les jeunes gens les plus ambitieux ; ils étaient le plus souvent effectués en compagnie d’un tuteur. Ils devinrent une pratique normale, voire nécessaire à toute bonne éducation pour des jeunes gens destinés à de hautes carrières ou simplement issus de l’aristocratie cultivée.

boîte (à pilule) en laiton doré filigrané et micro mosaïque, représentant une vue de la Place Saint-Pierre à Rome sur le dessus, d’époque XIXème siècle.
(c) Luc de Laval, proantic

Aux XVIIIème e et XIXème siècles, le Grand Tour était l’apanage des amateurs d’art, des collectionneurs et des écrivains, dont Goethe et Alexandre Dumas. Le Grand Tour eut entre autres pour effet de mettre en contact la haute société de l’Europe du Nord avec l’art antique et aida à la diffusion du palladianisme et du néoclassicisme.

HISTOIRE DU GRAND TOUR

L’histoire de l’expression « Grand Tour » est complexe : si le terme d’origine anglo-saxonne apparait dans la seconde moitié du XVIIème siècle, il est rarement utilisé par les contemporains. Il a en revanche connu une grande fortune chez les historiens à partir des années 1960, avant de faire l’objet d’études en nombre croissant par la suite. Il est aussi devenu une extraordinaire façon de promotion commerciale, en particulier dans l’univers du tourisme. Quelques grandes expositions, à partir des années 1990, ont achevé d’en faire un objet étonnant de fascination, de la part d’un large public.

Boite à timbres en agathe , Souvenir Du Grand Tour , XIXe Siecle.
(c) Le Bûcher des Vanités, Proantic

Dès le Moyen Âge, les étudiants de familles nobles pratiquaient la peregrinatio academica, pérégrination académique consistant à se « déplacer » d’une université à l’autre. Cette pratique médiévale perdit progressivement son sens avec la coupure de l’Europe universitaire, à partir du XVI ème siècle, en fonction des barrières confessionnelles et étatiques, puis avec la disparition du latin comme langue internationale d’enseignement universitaire.

Camée, travail Italien du début du XIXème époque du Grand tour.
(c) Antoine Claeys – Maison du XVème, Proantic

La pratique renaquit au milieu du XVIème siècle sous le nom de Grand Tour, appelé aussi, dans les pays du Saint-Empire romain germanique, Junkerfahrt ou Cavaliertour, qui avait d’abord pour but de parfaire les humanités et la pratique des arts de la cour (art équestre, escrime, musique, danse) des jeunes gens de l’aristocratie. Le voyage leur permettait de devenir un « compleat gentleman » (Peacham, 1623). Il servait à la formation politique des jeunes gens, leur permettant de comparer les systèmes politiques de Grande-Bretagne (puis du Royaume-Uni) et des États continentaux. Il leur permettait aussi de nouer des liens amicaux avec des individus du même milieu social, promis au même type d’avenir diplomatique, militaire, politique ou commercial dans les autres pays.

Gravure en couleur XIXe , Fresque Antique. Souvenir Du Grand Tour. Pompei.
(c) Le Bûcher des Vanités, Proantic

La découverte de la superstition des populations rencontrées était aussi censée renforcer l’anglicanisme des voyageurs. C’était au cours du Grand Tour enfin que les jeunes gens se frottaient aux langues vivantes. Le Grand Tour avait parfois une dernière fonction éducatrice : l’éducation sexuelle. L’étape à Venise avait longtemps servi ce but, servant à traiter des chagrins d’amour ou offrant un programme érotique inavoué.

Cependant d’autres familles, notamment allemandes et hollandaises, chaperonnaient leur fils avec un tuteur strict pour les surveiller et leur empêcher ce genre de relations, de peur que leur fils ne soit victime de maladies vénériennes. C’était notamment le cas des riches familles de négociants qui ensuite plaçaient leur fils dans différents bureaux ou comptoirs de leur réseau et ne voulaient pas courir de risque mortel.

Collection de moulages en plâtre du grand tour.
(c) Galleria dei Coronari, Proantic

Au retour, le voyage avait une fonction sociale. Il constituait un élément de reconnaissance ou d’ascension sociale. Il affirmait les moyens financiers, et la culture du voyageur, avant son départ, et à son retour. Le but du voyage n’était pas d’aller voir autre chose, d’aller se forger une culture propre, mais d’aller voir ce qui devait être vu, de se forger une culture commune. L’important était de pouvoir au retour partager des anecdotes et des souvenirs. C’était pour cette raison que l’on visitait toujours les mêmes hauts lieux culturels. Le récit de voyage avait alors une fonction importante, celle de faire reconnaître cette expérience acquise et cette culture commune qui renforceraient les liens sociaux.

Bougeoir inspiré des formes de lampe à huile sous l’antiquité.. Objet du Grand Tour XIXème.
(c) Haga Baltique, Proantic.

Au cours de ces voyages, les jeunes gens achetaient, suivant leurs moyens, des pièces d’art et d’antiquités et visitaient les ruines antiques romaines, ainsi que Pompéi et Herculanum qui avaient été récemment découverts. Au retour, les jeunes gens pouvaient alors adhérer à la Société des Dilettanti, puisque la principale condition pour y entrer était d’avoir voyagé en Italie et d’avoir un intérêt pour l’art et les antiquités.

Coupe en bronze , décor à l’Antique , souvenir du Grand Tour.
(c) Le Bûcher des Vanités, Proantic

Une étape importante du voyage était la réalisation pendant leur séjour prolongé à Rome d’un portrait par l’un des peintres en vue du moment. Parmi les peintres italiens qui bénéficiaient de cette clientèle, citons Pompeo Batoni, Canaletto, et Piranèse. De nombreux peintres, graveurs et sculpteurs étrangers vivant à Rome, notamment les élèves de l’Académie de France à Rome, bénéficiaient aussi de cette pratique. Ils vendaient leurs œuvres et parfois louaient leur service en tant que guide. Il en est ainsi pour les Allemands Mengs et Maron par exemple.

Ensemble de 16 gouaches représentants des vues de Naples, Grand Tour, 19ème siècle. (c) Borrelli Antichità, Proantic

Les voyageurs les plus fortunés se faisaient peindre à côté d’un monument célèbre, d’autres achetaient des vues peintes ou gravées des monuments visités (voir Abraham-Louis-Rodolphe Ducros à Rome et à Naples). Ces souvenirs, disposés dans leurs demeures, rappelaient aux visiteurs qu’ils avaient eu le privilège de voyager aux sources du monde civilisé.

Grand Tour – Rome –
Boite ronde en écaille, dessus incrusté d’une plaque en thuya sculpté
Epoque début XIX.
(c) Galerie Jean Rey, Proantic.

La pratique du Grand Tour devint moins fréquente pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire. Le continent proche étant interdit, les jeunes gens partirent donc plus loin, vers la Grèce et le Levant. Le Grand Tour reprit à la Restauration sans connaître toutefois la popularité du siècle précèdent.

Le Grand Tour occasionnait la publication de nombreux livres de voyage et guides dont un des premiers utilisé fut An Account of Some of the Statues, Bas-Reliefs, Drawings, and Pictures in Italy (1722), écrit par les peintres britanniques Jonathan Richardson (1665-1745) et son fils Jonathan Richardson le Jeune (1694-1771).

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