« La Fuite en Égypte – La vie sauve »

Parmi les épisodes de l’enfance du Christ, celui probablement imaginaire de la Fuite en Égypte est l’un des plus dramatiques : pour échapper  au Massacre des Innocents, Marie, Jésus et Joseph se réfugient en Égypte, puis reviennent en Galilée quelques années plus tard. Les nombreuses images populaires représentant ce périple dangereux, les repos pendant le voyage et le retour parlent du père et de la mère protecteurs, de l’enfant sage et vertueux. Quant aux œuvres contemporaines, présentées dans l’exposition en connivence, elles évoquent le voyage, l’errance…
La fuite pour avoir la vie sauve.

Le Musée de l’Image propose grâce à ses images et de nombreux prêts, un voyage dans l’iconographie de ce thème qui, malheureusement, résonne toujours dans notre vie contemporaine.

LA SAINTE FAMILLE
Attribué à François-Marc Canivet, graveur
Pellerin, Épinal
Entre 1809 et 1814
D’après le tableau La Sainte Famille
avec un palmierpar Raphaël
Gravure sur bois coloriée au pochoir
Coll. Musée de l’image, Épinal, dépôt MDAAC

Le parcours de l’exposition

DES IMAGES ANCIENNES DES COLLECTIONS, DU 18EAU 19ESIÈCLE

Dans la France catholique, les premières images populaires sont religieuses. On accroche aux murs des maisons les saints familiers, les crucifix de papier, les scènes tirées des Évangiles, celles que l’on voit dans les églises et que tous connaissent… S’inspirant souvent de peintures savantes, de Raphaël, Cigoli, Rubens, Seghers ou Le Brun, les images sur le thème de la Fuite en Égypte des multiples centres imagiers de la collection, Augsbourg, Paris, Caen, Strasbourg ou Épinal… montrent l’étonnante porosité entre les iconographies savantes et populaires.

LA FUITE EN ÉGYPTE
Jean-François Picard-Guérin, Caen
Entre 1809 et 1831
Gravure sur bois coloriée au pochoir
Coll. Musée de l’image, Épinal, dépôt MDAAC

UNE BELLE HISTOIRE

La fuite en Égypte de la Sainte Famille est peutêtre une jolie légende. Seul l’Évangile de Matthieu, écrit environ 90 ans après J.-C. la cite en quelques
lignes. Mais il ne dit rien sur son périple et son séjour, ce qui conduit les croyants à combler ces zones d’ombre. Peu à peu, des écrits étoffent le récit. L’épisode est raconté comme un fait authentique. Il nourrit l’imaginaire d’un grand nombre d’auteurs, de peintres, de sculpteurs, d’imagiers
et de cinéastes, jusqu’à aujourd’hui. L’histoire de ce long et pénible voyage, aller et retour, s’est peu à peu agrémentée d’épisodes divers, de moments de repos, de miracles, qui ont nourri l’iconographie du thème, l’amenant vers le merveilleux.

Atelier de Francisco Zurbarán
La Fuite en Égypte
Vers 1638-1640
Coll. Musée des Beaux-arts et
d’Archéologie, Besançon
© Charles Choffet

QUATRE OU CINQ PERSONNAGES

L’iconographie de la Fuite est basée sur quatre personnages principaux : Marie, l’enfant Jésus dans ses bras, l’âne, et Joseph qui les escorte. Même si, dans les textes, ils sont accompagnés d’autres membres de leur famille, seul ce groupe de quatre personnages, augmenté parfois d’un ange protecteur ouvrant la route ou d’un bœuf, est représenté dans l’imagerie du 19e siècle.
La Sainte Famille marche : des miracles, racontés par les Apocryphes ou inspirés de légendes païennes qui viennent augmenter le récit, ponctuent le voyage. Le miracle des blés, celui du palmier-dattier ou la destruction des idoles seront particulièrement affectionnés par les imagiers.

Jean-Léon Gérôme
La Fuite en Égypte
Étude préparatoire pour le tableau de 1897
Coll. Musée Georges-Garret, Vesoul
© studio Claude-Henri Bernardot

JOSEPH, UN PÈRE IDÉAL

Époux de Marie, Joseph est longtemps considéré comme un simple accompagnateur de sa femme et de son fils, le porteur des bagages et le garant de leur sécurité.
Il faut attendre le début du 17e siècle pour que, dans l’iconographie, il apparaisse comme un père attentif et aimant, un modèle de fidélité et de courage. Les images montrent désormais une complicité affectueuse entre le père et le fils qu’il porte dans ses bras. Patron de la bonne mort, des charpentiers, c’est au 19esiècle le saint préféré de la dévotion populaire, donné comme modèle du père idéal et protecteur, intermédiaire entre son fils, au ciel, et les hommes.

ET ERAT SUBDITUS ILLIS
Johann Peter Wolff, Nüremberg 18e siècle
D’après le tableau Le Retour
d’Égyptepar Pierre Paul Rubens
Taille-douce coloriée au pochoir
Coll. Musée de l’image, dépôt MDAAC
© Musée de l’image, cliché H. Rouyer.

LES REPOS PENDANT LA FUITE

Malgré le danger et les soldats qui sont à leur recherche, la famille, épuisée, s’accorde quelque répit afin de se restaurer. Racontés par les évangiles
apocryphes, ces repospeints par Raphaël ou Maratta dévoilent l’épuisement des voyageurs mais aussi l’affection qu’ils éprouvent les uns pour les autres. Dans ces moments de paix, hors du temps et sans angoisse, Marie, Jésus et Joseph deviennent des humains comme les autres : les parents jouent avec l’enfant et le regardent avec tendresse. De son côté et grâce à ses miracles, Jésus les réconforte en les nourrissant et les abreuvant. Ces scènes de Repos pendant la Fuite en Égypte, tendres et intimes, deviendront toutes dans les images populaires au 19e siècle, des représentations
de la Sainte famille. Modèle de vertus, elle est aussi une famille restreinte aux parents et enfants, sans leur parentèle, ce qui est révélateur de l’évolution de la société du temps.

Atelier de Lodovico Cardi, dit
Il Cigoli (1559-1613)
La Fuite en Égypte
Vers 1613 ?
Huile sur toile
Inv. 10192
Coll. Musée des Beaux-arts, Chartres.
Dépôt du Musée du Louvre
© Cliché musée des Beaux-arts de Chartres.

LE RETOUR D’ÉGYPTE
Ni les écrits de Matthieu, ni ceux du Pseudo-Matthieu ne précisent combien de temps la famille reste en Égypte. Selon la Légende dorée, parue vers 1264, Jésus, Marie et Joseph y restent sept ans puis, Hérode étant mort et le danger éloigné, s’en reviennent à Nazareth en Galilée. Dans les représentations des peintres, que ce soient celle de Rubens, de Gérard Seghers qui s’en inspire ou de Charles Le Brun, Marie et Joseph encadrent l’enfant de sept ans, désormais capable de faire la route seul. Les trois marcheurs, debout, s’avancent. La scène, comme celle du Repos, est une ode à l’affection familiale, et les imagiers  qui représentent ce retour l’intituleront de nouveau La Sainte Famille. La même iconographie servira aussi à illustrer un épisode plus tardif de l’évangile de Luc : Jésus a douze ans. Il s’attarde au Temple de Jérusalem pour parler avec les Sages à l’insu de sesparents affolés de son absence. Retrouvé et de retour à Nazareth, Erat subditus illis, « l’enfant leur était soumis » : ces images vantent alors la piété filiale et le respect dû aux parents, message adressé aux enfants trop intrépides !

LA FUITE EN ÉGYPTE
Charles-Eugène Glémarec, Paris
1858
Gravure sur bois coloriée au pochoir
Coll. Musée de l’image,
Épinal, dépôt MDAAC
© Musée de l’image, cliché H. Rouyer.

LES SEPT DOULEURS DE MARIE
Les Évangiles ne disent presque rien de Marie, la mère de Jésus, mais, encore une fois, les Apocryphes s’emploient à imaginer sa vie. À partir du 11e siècle, elle devient l’objet d’un culte tellement puissant qu’il éclipse presque celui du Christ.
Les fidèles compatissent aux sept angoisses que lui donne son fils, symbolisées par sept épées dans son cœur, peu à peu remplacées par sept médaillons qui illustrent ses douleurs. Parmi elles, la Fuite en Égypte raconte la peur de la jeune mère pour son enfant, sa douleur de devoir abandonner son pays, appelant la compassion des croyants touchés par sa détresse et pouvant ainsi s’identifier à elle.

LA SAINTE FAMILLE
André Basset, dit le Jeune
Entre 1750 et 1785
Eau-forte coloriée au pinceau
Coll. Musée de l’image,
Épinal, dépôt MDAAC
© Musée de l’image, cliché H. Rouyer.

CLAIRE CHEVRIER, LE PASSAGE
Dans ce paysage d’Ossétie du Nord, sous un ciel de nuages et une luminosité grise, une route se faufile entre les maisons pour se diriger au fond de la vallée, vers la Géorgie. Deux mondes étrangers. Entre deux falaises, une trouée se dessine, éclairée d’une lumière blanche. Percée entre les nuages, elle semble nous appeler, nous conduire vers un ailleurs, plus lumineux, plus doux. Un ailleurs qui, comme tous les ailleurs, fascine, au-delà des désillusions et des désespoirs.

[Le Retour d’Égypte]
Johann Christian Leopold le Jeune,
Augsbourg
Entre 1756 et 1776
Eau-forte (coloriée au pinceau ?)
Coll. Musée de l’image, Épinal, avec l’aide
du FRAM et du Fonds du patrimoine
© Musée de l’image, cliché H. Rouyer.
UNE ÉGYPTE IMAGINÉE
L’Égypte, irriguée par le Nil, a toujours été pour les Hébreux un pays d’asile lors des grands épisodes de disette. Dans la Bible, Joseph, fils de Jacob, devient ministre du Pharaon et fait venir les Enfants d’Israël en Égypte. L’ange conseille à Marie et Joseph de s’y réfugier. Pour les peintres ou les imagiers, le paysage du Moyen-Orient, cet « ailleurs » lointain, se confond étonnamment avec celui qui leur est familier ou qui les environne. Ainsi Pierre Bertrand, au milieu du 17esiècle, transforme le triomphe égyptien de Joseph en triomphe romain, dans un paysage de la Renaissance.
Comme leurs modèles, les paysages des images populaires sont plus européens qu’exotiques.

Claire Chevrier (née en 1963)
P. 01 Ossétie du nord
2009
Photographie. Tirage couleur sur aluminium
Coll. Musée de l’image, Épinal
© Musée de l’image, cliché H. Rouyer
© ADAGP, Paris, 2017

Cependant, après l’Expédition d’Égypte menée entre 1798 et 1801 par les armées révolutionnaires et les publications des savants qui les accompagnent, l’Égypte devient un territoire plus familier. Ce qui n’empêche pas François Georgin, graveur chez Pellerin en 1830, de donner au village d’Embabeh une apparence très vosgienne. Même s’il essaye de l’orientaliser avec le croissant ottoman sur le clocher du village !

ENFIN
Bien sûr, La Fuite en Égypte est un sujet religieux mais notre indispensable laïcité ne peut être complète et comprise sans une connaissance des faits religieux qui ont participé à la construction de notre société. Et qui l’influencent encore.
Au-delà des croyances, et même si le récit de la Fuite en Égypte est probablement une jolie légende, le thème met en scène des personnages humains et sensibles auxquels on peut s’identifier ; il parle de peur, du déchirement de devoir tout quitter pour avoir la vie sauve, de voyage éperdu.
Mais aussi, de chaleur familiale, de bienveillance ; il touche et émeut. Regarder comment la société a considéré et aimé ce thème nous fait leportrait de cette même société. Et il a été largement représenté et aimé tant dans la peinture savante que dans l‘imagerie.

En savoir plus:

Exposition jusqu’au 16 septembre 2018

http://www.museedelimage.fr/

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