Entre Frandres et Italie, princes collectionneurs

exposition du 8 juillet au 7 octobre 2012  au Musée Saint Antoine l’abbaye, Salle voutée du Noviciat  (isère)

Dans le sillage des trésors médiévaux constitués à l’abri des abbayes et des palais, la collection est une fenêtre ouverte sur le monde et ses composantes. A travers les signes tangibles du pouvoir autant que d’un savoir éclairé et curieux, la collection devient, au sein de bibliothèques et de cabinets, un abrégé de la nature toute entière. Usuel, esthétique, thésaurisé, caché ou révélé, l’objet de collection est protéiforme et apparaît avant tout comme le miroir de l’âme de celui qui le possède et le fait vivre. Ce creuset délectable de diffusion artistique qui s’épanouit entre les Flandres et l’Italie, foyers féconds à l’influence pérenne, façonne l’identité de ces princes collectionneurs. L’exposition se proposera ainsi d’explorer ce qui, au fil des siècles et des courants artistiques, a forgé le goût des collectionneurs, amateurs de peintures, de sculptures, d’objets d’art ou de manuscrits.

Orazzio Fortezza (1530 – 1596) Bassin d’apparat aux armes des Loredan Vers 1570 Laiton ajouré Ecouen, musée national de la Renaissance ©RMN, René-Gabriel Ojéda
Orazzio Fortezza (1530 – 1596)
Bassin d’apparat aux armes des Loredan
Vers 1570
Laiton ajouré
Ecouen, musée national de la Renaissance
©RMN, René-Gabriel Ojéda

Partie I : Les princes bibliophiles et l’importance du livre comme trait d’union entre le Trésor et la collection princière à partir du XIVème siècle.Les collections de livres enluminés rassemblées par Jean de Berry ou Marguerite d’Autriche, ou de princes bibliophiles de François Ier, d’Anne de Bretagne, de Marie de Médicis…, les collections italiennes (Este, Médicis…),

Partie II : Le goût avéré pour les oeuvres des maîtres du nord et l’attirance réciproque des Flandres et de l’Italie, élément déterminant dans la circulation des oeuvres et la diffusion des courants, l’art du portrait, les peintures prestigieuses des maîtres nordiques et italiens acquises par Rodolphe II de Habsbourg, celles du duc de Lesdiguières et du duc de Savoie, les artistes attachés à la Cour de Rodolphe II, les anversois Bartholomäus Spranger, Georg Hoefnagel, l’Allemand Hans von Aachen, les Flamands Paul et Hans Vredeman de Vries etc.

Partie III : L’écrin des collections en représentation, le mobilier avec l’évocation des cabinets d’ébène ou de pierres dures recherchés par Mazarin,

Partie IV : La fascination de l’Italie avec les antiques du comte d’Orsay et autres oeuvres provenant des collections princières romaines retenues par le cardinal de Bernis ou fierté des Bonaparte,

Partie V : L’Empire et les collections françaises à travers les grands collectionneurs du cercle de Napoléon Ier et de la princesse Mathilde.
Autant d’éléments permettant d’illustrer quelques aspects de l’ampleur et de la diversité des appétits des amateurs. Entre collection privée et collection publique, le lien fut parfois étroit comme le rappellent les collections de l’Académie Royale de Toulouse et la genèse au XIXème siècle de musées, notamment nationaux, fondés sur une partie des anciennes collections royales et princières.

Collections et collectionneurs à l’aube de la Renaissance

Dès le début du Moyen Age, des ensembles d’objets précieux (reliquaires, objets liturgiques, manuscrits) avaient été réunis dans des lieux qui leur étaient dédiés pour constituer des trésors, essentiellement des trésors d’églises. À partir du XIVème siècle, le trésor laissa peu à peu la place à la collection individuelle, parallèlement à l’émergence de la commande laïque. Les rois et les princes vont alors réunir des ensembles qui contribueront à conforter leur prestige et à forger leur image de grand seigneur.

Ces collections princières se composaient d’objets multiples dont le choix reflétait le goût et les centres d’intérêt de leur propriétaire. Les pierres précieuses, bijoux ou pièces d’orfèvrerie, objets en ivoire, étaient les plus recherchés et constituaient en quelque sorte un fonds obligé. Mais les manuscrits, réunis au sein de la librairie qui contribue à l’image de marque du souverain lettré, sont devenus également des pièces de collection, moins pour leur contenu – religieux ou profane – que pour la somptuosité de leur décor. Peu à peu se sont ajoutés au XVème siècle les peintures sur panneau, notamment dans les cours italiennes. Un grand nombre de tapisseries fabriquées en Flandre faisaient partie intégrante des collections des ducs Philippe le Bon et Charles le Téméraire. Mais les Italiens n’étaient pas en reste, appréciant particulièrement les « arazzi » venus du nord. Enfin cette période voit s’amplifier dès le XIVème siècle la passion de l’antique, qui motiva la possession de camées, d’objets en pierre dure, de monnaies, qui amena les amateurs de manuscrits à faire copier et traduire les auteurs antiques et présida à la création d’oeuvres d’un genre nouveau comme les médailles, imitées des monnaies romaines. Parmi ces princes collectionneurs à l’aube de la Renaissance, le duc de Berry fait figure de pionnier. Il organisa la gestion de ses collections. Il fut surtout le premier à faire passer son plaisir et la valeur esthétique des oeuvres avant leur valeur d’usage, et à entretenir un nouveau rapport à la beauté.

Atelier du Maitre de Francfort (actif à Anvers vers 1490 – vers 1525) Vierge à l’Enfant Fin du XVe siècle début XVIe siècle Huile sur bois Cassel, musée départemental de Flandre © photographie : Jacques Quecq d’Henripret
Atelier du Maitre de Francfort (actif à Anvers vers 1490 – vers 1525)
Vierge à l’Enfant
Fin du XVe siècle début XVIe siècle
Huile sur bois
Cassel, musée départemental de Flandre
© photographie : Jacques Quecq d’Henripret

De la Savoie aux Pays-Bas : la genèse de la bibliothèque de Marguerite d’Autriche, Renaissance à Malines

Fille de l’archiduc Maximilien Ier de Habsbourg et de Marie de Bourgogne, Marguerite d’Autriche (1480-1530) fut une bibliophile avertie qui possédait en son palais de Malines une importante bibliothèque. Forte de près de quatre cents volumes, en majorité des manuscrits augmentés de quelques incunables et livres imprimés, la « Librayrie de Madame » avait une grande réputation et fut admirée par Albrecht Dürer et Erasme de Rotterdam.

Reflet de ses intérêts intellectuels et de ses goûts artistiques, cette bibliothèque s’est enrichie au gré de l’existence de la princesse, au cours de ses séjours en France et en Castille, puis en Savoie où elle résida de 1501 à 1506, en qualité de duchesse (1501-1504) puis de veuve douairière (1504-1506) à la suite de la mort brutale de son époux, le duc Philibert II. Ayant été autorisée à emporter aux Pays- Bas une vingtaine de manuscrits prélevés dans la bibliothèque savoyarde, ces livres qui forment le noyau primitif de sa collection de Malines ont joué un rôle important dans le transfert de nouveaux langages artistiques aux Pays-Bas.

Collectionneurs à Prague, capitale européenne des arts sous le règne de l’empereur Rodolphe II de Habsbourg

Au tournant du XVIème siècle, Prague fait figure de capitale européenne des arts grâce à la présence de l’empereur Rodolphe II de Habsbourg (1552-1612) qui s’y est installé dès les premières années de son règne.

Rodolphe, pourtant jugé taciturne et mélancolique par ses contemporains, n’en est pas moins un infatigable collectionneur : soutien exemplaire des arts, il attire à sa cour non seulement des poètes mais aussi les meilleurs peintres, graveurs, orfèvres et sculpteurs de son temps. C’est aussi lui qui envoie dans toute l’Europe ses agents afin de rechercher des pièces précieuses pour sa brillante collection et notamment pour son étonnant cabinet de curiosités. Cette figure singulière donnera naissance à une véritable « Ecole de Prague ».

Les diguières et Charles-Emmanuel de Savoie ou le gouvernement par les arts dans les Alpes aux XVIe et XVII siècles

L’évolution des pratiques politiques du XVIème siècle imposa au prince, quel qu’il fût, d’utiliser les arts comme une des sources majeures de glorification et de légitimation. Les collections princières, conservées dans des galeries de renommée internationale, prirent une large part dans cette culture de l’image et de la réputation. Ce déploiement, en apparence tourné vers le prince lui-même, sa personne et son rang, était également au service d’un destin collectif lié à une dynastie, une maison. Il put être aussi un signe paradoxal de déférence à l’égard d’un plus grand que soi.

Deux exemples complémentaires suffiront à illustrer cette réalité dans le cadre des Alpes : un prince souverain issu de l’une des plus anciennes maisons régnantes d’Europe, le duc de Savoie Charles-Emmanuel Ier, et son voisin français, le connétable de Lesdiguières, petit gentilhomme dauphinois, parvenu au faîte des honneurs et de la richesse à la force de son épée.

 1662-1663 Bâti en bois rehaussé d’écailles de tortue, bois précieux et cuivre doré Lille, musée de l’Hospice Comtesse © Musée de l’Hospice Comtesse, photographie : Jacques Quecq d’Henripret

1662-1663
Bâti en bois rehaussé d’écailles de tortue, bois précieux et cuivre doré
Lille, musée de l’Hospice Comtesse
© Musée de l’Hospice Comtesse, photographie : Jacques Quecq d’Henripret

Cabinet d’ébène et table de pierres dures : des meubles précieux

A partir du XVIème siècle, deux meubles, la table en pierres dures, puis le cabinet d’ébène, au même titre que la peinture et la sculpture antique, firent l’objet d’un engouement partagé par les cours princières européennes. Objets précieux dignes des princes, uniques et de tailles parfois imposantes, ils contribuaient dans les galeries et cabinets d’art, ainsi que dans les cabinets de curiosités à l’éclat et au caractère exceptionnel d’une collection artistique. Elaborés à partir de matériaux très coûteux et rares, l’ébène, l’écaille de tortue, les pierres fines multicolores, l’ivoire, l’or et l’argent, ils étaient destinés à être montrés.

Relevant le plus souvent de l’apparat, le cabinet d’ébène et la table en pierres dures, dénués de fonction domestique, servaient néanmoins d’écrin à des bijoux et objets de curiosités. Fabriqués à Anvers ou à Florence, à Rome ou à Augsbourg et à Paris, ils retinrent l’attention à l’heure du choix révolutionnaire, malgré leur provenance royale ou princière, des autorités nationales oeuvrant pour le bien public.

Rome au temps des lumières : Capitale de l’Antique et carrefour de l’Europe (1769-1791)

Fastueusement représentés par le cardinal de Bernis, ambassadeur auprès des papes Clément XIV et Pie VI, les français qui résidèrent à Rome entre 1769 et 1791 prirent une part active à la vie politique, religieuse, économique, artistique et savante d’une capitale échappant largement à la vision déliquescente que l’on a longtemps donnée d’elle. Dans une Rome en mouvement où s’éteignent les jésuites, où renaissent les passions pour l’antique et où circulent plus nombreux que jamais des voyageurs venus de toute l’Europe, des espaces culturels s’affirment et dessinent une géographie française particulièrement dynamique à l’intérieur de la ville comme à travers ses prolongements italiens et transalpins.

Le palais de l’ambassadeur, celui de l’Académie de France, le couvent de la Trinité-des-Monts ou la librairie Bouchard & Gravier s’imposent ainsi à Rome, dans les dernières décennies de l’Ancien Régime, comme des relais incontournables d’un échange culturel européen. En favorisant la circulation entre les acteurs et les champs du savoir, ce carrefour romain contribua à accélérer le passage entre les formes anciennes de l’érudition et les sciences de l’homme encore en devenir. Il ouvrit, en effet, la voie à des recherches nouvelles sur le Moyen Age, sur l’Orient, et sur une Antiquité repensée en profondeur sous le prisme de la science, de l’universel et du bien public.

Giovanni Paolo Pannini (1695-1768) La galerie du Cardinal Silvio Valenti Gonzague ou La galerie Colonna à Rome XVIIIe siècle Huile sur toile Marseille, musée des Beaux-Arts, © Marseille, Musée des Beaux-Arts, photographie Jean Bernard
Giovanni Paolo Pannini (1695-1768)
La galerie du Cardinal Silvio Valenti Gonzague ou La galerie Colonna à Rome
XVIIIe siècle
Huile sur toile
Marseille, musée des Beaux-Arts,
© Marseille, Musée des Beaux-Arts, photographie Jean Bernard

Les expositions de l’Académie royale de peinture, sculpture et architecture de Toulouse (1751-1791)

Lannée de sa création, en 1751, l’Académie royale de peinture, sculpture et architecture de Toulouse organisait sa première exposition annuelle publique de peinture et de sculpture dans la Galerie des Peintures de l’Hôtel de Ville. Les Salons se tinrent sans interruption jusqu’en 1791, faisant de l’exemple toulousain un cas unique en province par sa longévité et sa régularité. Cette manifestation s’inspirait des expositions organisées par l’Académie royale de peinture et de sculpture de Paris qui présentait les productions de ses membres dans le Salon carré du Louvre de façon irrégulière à ses débuts, puis tous les deux ans à partir de 1737. Le public parisien avait ainsi gratuitement accès aux oeuvres des peintres du roi, qui faisaient l’objet de débats critiques et esthétiques.

Les connaissances que l’on possède sur les Salons toulousains sont essentiellement apportées par les livrets édités à l’occasion de chaque
exposition. Ces livrets contiennent un Avertissement suivi de la liste des oeuvres exposées avec parfois un nom d’artiste et le nom de leur propriétaire. Un des apports majeurs de ces livrets est qu’il fournit la liste des cabinets des amateurs toulousains. Il s’agit donc ici de s’intéresser aux principaux amateurs, dont les collections étaient connues et appréciées, et tenter ainsi de mieux connaître leurs goûts.

Présences nordiques, le goût flamand et hollandais dans les collections princières du XIXème siècle en France

Les tableaux flamands et hollandais, dont le goût se développe sous l’Ancien Régime, continuent de passionner les collectionneurs princiers au cours du XIXème siècle et dominent progressivement le marché de l’art. De Joséphine aux princes du Second Empire, ils viennent orner les galeries de tableaux et les intérieurs privés. Devant le succès de ces oeuvres et leur nombre limité, un nouveau type de peinture voit le jour dans ces mêmes années, autour des peintres troubadours qui rivalisent avec les flamands dans les contrastes de lumière et la minutie des détails. Les années 1830 sont marquées par un goût des princes et des artistes pour le Moyen Age et les écoles flamandes. Les intérieurs tentent de recréer les ambiances des tableaux collectionnés, comme chez Marie d’Orléans, tandis que la jeune école romantique étudie les sujets et la touche de la peinture du XVIIème siècle. Sous le Second Empire le phénomène perdure autour du couple impérial, entre peinture ancienne et créations contemporaines des peintres néo-flamands. Ces collections princières témoignent du goût d’une époque pour les artistes flamands et hollandais, pour des oeuvres plus intimes, aux jeux de lumière et à la palette raffinée

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