Florence, portraits à la cour des medicis

Au XVIe siècle, l’art du portrait devient de plus en plus répandu parmi les élites florentines qui trouvent là un moyen de porter les traits de leur visage et leur statut social à la postérité. Ils recourent pour cela à des figures littéraires telles que Pétrarque, à des références musicales ou à une mise en scène riche en symboles pour décrire la vie du modèle, sous ses multiples facettes.

Le Musée Jacquemart-André consacre une exposition inédite aux grands portraitistes florentins du XVIe siècle autour d’une quarantaine d’œuvres. Outre la présentation des chefs-d’œuvre de Pontormo, élève d’Andrea del Sarto et maître du maniérisme, ce sera l’occasion d’apprécier les traits raffinés et gracieux, typiques des portraits de Bronzino ou ceux de Salviati témoignant d’un sens achevé de la sophistication.

Portrait de Lucrezia (Emilia), fille de Niccolò di Sinibaldo Gaddi Santi di Tito © Collection particulière, Pays-Bas
Portrait de Lucrezia (Emilia), fille de Niccolò di Sinibaldo Gaddi
Santi di Tito
© Collection particulière, Pays-Bas

Cette exposition va offrir un panorama de l’art du portrait florentin au XVIe siècle, avec ses principaux thèmes et mutations stylistiques. À travers le regard des peintres expérimentant de nouvelles manières de représenter leurs contemporains, elle permettra d’apprécier les évolutions de style du Cinquecento, un siècle particulièrement mouvementé sur les plans culturel et religieux.

Aux portraits de la période républicaine du début du XVIe siècle empreints de gravité succèdent les représentations héroïques d’hommes de guerre, symboles des conflits militaires et politiques amenant les Médicis à prendre le pouvoir sur Florence en 1530. Viennent ensuite les portraits de cour, qui se distinguent par leur richesse et leur élégance, et les portraits d’artistes, témoins du rôle nouveau que s’attribuent les peintres de cour, s’ouvrant à d’autres formes d’art comme la poésie et la musique.

Le parcour de l’exposition

  • De l’austérité à l’âge d’or du portrait

Avec la mort prématurée de Laurent le Magnifique, le 4 avril 1492, une page de l’histoire de Florence et des Médicis se tourne 

Pour ces marchands à qui la chance a apporté argent et pouvoir pendant plus d’un siècle, les décennies 1490-1510 seront noires. Pierre, fils du Magnifique fuit la ville en 1494 et Savonarole s’empare du pouvoir. Les Médicis ne seront autorisés à revenir qu’en 1512.

Florence est en pleine mutation politique et culturelle. À cette époque, les jeunes artistes représentent leurs modèles sur un fond uni ou devant un paysage, telle la Dame au voile de Ridolfo del Ghirlandaio. Qu’ils soient figurés de trois-quarts ou de profil, à l’image des Portraits d’homme de Franciabigio et de Rosso Fiorentino, les modèles sont graves, affichant une simplicité, voire une certaine sévérité, tant dans leur attitude que dans leur costume.

La rigueur et la sobriété alors de mise expriment le retour à des valeurs morales en lien avec les vertus antiques républicaines.

Dame au voile. Ridolfo del Ghirlandaio (c) museal della città di Firenze.
Dame au voile.
Ridolfo del Ghirlandaio
(c) museal della città di Firenze.
  • Les Medicis

En épousant Eléonore de Tolède en 1539, Cosme Ier achève de sceller son alliance avec Charles Quint. En mai 1540, la famille s’installe au Palazzo Vecchio, et les premiers travaux sont effectués dans l’appartement de la duchesse. Concepteur du nouveau langage pictural du duché, Bronzino est l’artiste phare de la cour ; il est partie prenante de l’évolution des codes de représentation à l’oeuvre dans les effigies du duc, totalement démilitarisées à partir des années 1560, à l’image de son Cosme de Médicis à 40 ans (Newark, Delaware, The Alana Collection) récemment redécouvert. Une telle évolution fait écho à la consolidation du régime médicéen promu au rang de grandduché de Toscane en 1569.

Collectionneur avisé, Cosme Ier se passionne surtout pour les projets monumentaux. Baccio Bandinelli est son artiste de prédilection. Avec d’autres sculpteurs et architectes, iltransforme la cité florentine en véritable théâtre du pouvoir.Après s’être symboliquement installé au Palazzo Vecchio, où Vasari conçoit un décor grandiose à la gloire des Médicis dans le salon dit « dei Cinquecento », Cosme fait élever à proximité un grand bâtiment administratif, le palais des Offices.

Portrait d’Eléonore de Tolède Bronzino (Agnolo di Cosimo, dit) (1503-1572) © National Gallery of Prague
Portrait d’Eléonore de Tolède Bronzino (Agnolo di Cosimo, dit)
(1503-1572)
© National Gallery of Prague
  • Les courtisans

Tout autant que les effigies médicéennes, celles de leurs courtisans sont savamment composées. Rien n’est laissé au hasard, ni la composition, la disposition et le cadrage du modèle, ni sa posture, son expression – ou plutôt son absence d’expression –, ni encore ses costumes et accessoires.

Chaque détail rivalise de luxe et de raffinement sans cependant outrepasser les privilèges princiers. La finalité de tels portraits d’apparat à la facture naturaliste est autant de retranscrire la physionomie et le caractère des modèles que d’afficher leur statut social, parfois jusqu’en précisant leur rang au sein d’une société de cour strictement hiérarchisée. Ce qui se joue dans ces portraits, c’est l’essor de la société de cour grand-ducale et l’affirmation de la noblesse de ceux qui la composent. Les images traduisent cette transmutation des codes bourgeois en précis aristocratiques, indispensable au rayonnement de la grandeur princière de la cour des Médicis.

Portrait d un jeune homme accompagné d une biche Francesco Salviati (Francesco de’ Rossi, dit) , Liechtenstein, Les collections princières
Portrait d un jeune homme accompagné d une biche
Francesco Salviati (Francesco de’ Rossi, dit) ,
Liechtenstein, Les collections princières
  • La noblesse du grand portrait

Prompt à saisir l’air du temps, l’art du portrait s’est plié aux principes de convenance et aux exigences de dignité, de magnificence et de luxe toujours croissants à la cour de Florence. En particulier après l’arrivée d’Eléonore de Tolède en 1539, qui a durablement imposé la mode espagnole. Le portrait d’État est strictement codifié en termes rituels et répétitifs, insistant surtout sur les insignes du rang. Costumes, coiffures, et accessoires sont autant d’armures nécessaires pour endurer les batailles feutrées mais néanmoins cruelles de la diplomatie internationale. Les portraitistes actifs à la cour dans la seconde moitié du siècle étaient priés d’apporter un soin méticuleux à la figuration des détails somptuaires, comme l’atteste l’importante production de l’atelier de Santi di Tito.

Santi di Tito (et atelier) , Portrait de Marie de Médicis
Santi di Tito (et atelier) , Portrait de Marie de Médicis

Dépourvus des codes de la représentation visuelle aulique et officielle qui s’imposent aux détenteurs du pouvoir, les portraits de courtisans se révèlent moins figés et dotés de références à leur personnalité, voire à leurs goûts et à leurs sentiments. Par ailleurs, deux tendances se dessinent dans les effigies des dernières décades. D’une part l’affirmation du langage allégorique, et d’autre part le retour à une certaine simplicité dans la représentation des modèles et de leurs sentiments, à la faveur d’un certainnaturalisme. C’est particulièrement vrai dans les portraits d’enfants, dont les Tito père et fils se font une spécialité. Enfin, l’art du portrait continue à se diffuser, y compris auprès de la bourgeoisie et de familles plus modestes.

  • Les hommes en armes

Au terme d’une terrible année de siège, Alexandre de Médicis récupère l’administration de Florence, qui capitule à contrecoeur, en août 1530. Mais il sera sauvagement assassiné sept ans plus tard. La dynastie parvient toutefois à se maintenir.

Portrait d Alexandre de Médicis devant la ville de Florence Giorgio Vasari Museale della Città di Firenze - Gabinetto Fotografico
Portrait d Alexandre de Médicis devant la ville de Florence
Giorgio Vasari
Museale della Città di Firenze – Gabinetto Fotografico

Ayant conscience de la nécessité de créer un nouveau mode de représentation, de sa personne mais également de son statut et de son pouvoir, Alexandre engage plusieurs artistes pour mener à bien une campagne de réhabilitation par l’image. En découle une série de portraits héroïques, en armure, véritables instruments politiques de propagande qui affichent sa récente prise de pouvoir, à l’image du Portrait d’Alexandre de Médicis devant la ville de Florence de Vasari (Florence, Galleria degli Uffizi). Cosme Ier conçoit lui aussi une habile politique de légitimation dans laquelle il cultive non seulement sa propre image, mais également celle de son père, Jean dit des Bandes Noires. Célèbre chef de guerre dont il fait un second pater patriae après Cosme l’Ancien et dont il commande toute une série de portraits, notamment à Francesco Salviati (Florence, Galleria Palatina). Les Médicis ne reculent devant rien et n’hésitent jamais à s’imposer par la force !

  • Les héritiers

Contrairement à son père Cosme Ier qui a le goût du monumental, François Ier préfère les oeuvres raffinées et les arts décoratifs, peut-être du fait de son éducation soignée, mêlant sciences, arts et lettres. Entre 1570 et 1572, il confie à Vasari et Borghini le soin d’aménager son cabinet (studiolo) à l’intérieur du Palazzo Vecchio. À partir de 1580, François installe également au sein des Offices un espace, appelé Tribune, dédié à sa collection – de sculptures antiques, petits bronzes, pierres dures, orfèvreries et autres joyaux – dans un décor faisant dialoguer trésors de la nature et merveilles de l’art.

Bronzino (Agnolo di Cosimo, dit), Portrait de Côme Ier de Médicis en armes
Bronzino (Agnolo di Cosimo, dit), Portrait de Côme Ier de Médicis en armes

Dans la Florence de la seconde moitié du Cinquecento, l’art du portrait atteint son apogée. Bronzino tient toujours le haut du pavé comme l’atteste l’étonnante série de vingt-neuf petites effigies familiales qu’il peint sur étain dans les années 1550 pour orner le bureau de Cosme Ier. Plus précieux que jamais, les portraits se déclinent dans des matériaux coûteux : or, argent, lapis-lazuli et autres pierres précieuses, affichant une dimension somptuaire grandissante, doublée d’un soin attentif aux détails et au rendu des textures. Un tel raffinement est aussi souvent synonyme de miniaturisation, induisant parfois des performances techniques. Rien n’est trop beau pour célébrer le prince.

  • Poésie et musique

Mécène avisé, Cosme Ier de Médicis n’a pas manqué de soutenir la toute jeune Académie florentine des belles lettres, dédiée à la langue toscane. De même, il contribue à fonder avec Vasari l’Académie des arts du dessin. Au-delà du cadre strict de ces académies, les artistes se retrouvent au sein de compagnies laïques dites « de plaisir » dévolues au divertissement et aux joutes artistiques. Une saine émulation naît de cette confrontation des arts, où la plupart des artistes sont polyvalents.

Francesco Salviati, (Francesco de’ Rossi, dit), Portrait d’un joueur de luth. (c) Musée Jacquemart André
Francesco Salviati, (Francesco de’ Rossi, dit), Portrait d’un joueur de luth.
(c) Musée Jacquemart André

Instrument ou partition, les références musicales sont récurrentes, et les effigies de musiciens pléthore, reflets de la place centrale qui est celle de la musique dans la culture florentine. Emblématique de la musique de cour, introduit à Florence par le père de Galilée, le luth est l’instrument privilégié des musiciens professionnels ainsi que l’évoquent les effigies de Pontormo et de Salviati.

En savoir plus:

Musée Jacquemart-André, jusqu’au 25 janvier 2016

http://www.musee-jacquemart-andre.com/

 

Vous aimez aussi