Dessins italiens de la collection Mariette

Pierre Jean Mariette (1694-1774) a réuni l’une des collections les plus fascinantes de tout le XVIIIe siècle, dans laquelle le dessin tenait le premier rang, avec environ neuf mille six cents feuilles. Les chefs-d’œuvre des grands artistes y côtoyaient les morceaux de bravoure des petits maîtres, suivant une volonté encyclopédique assumée par ce « touche-à-tout de génie », afin d’offrir un résumé aussi parfait que possible de l’histoire du dessin, des origines aux artistes contemporains.

Michelangelo Buonarroti dit Michel-Ange (1475- 1564), Tête de satyre, Sanguine et
plume, Paris, musée du Louvre © Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais /
Suzanne Nagy

Faisant suite à la publication en 2011 par Pierre Rosenberg des deux premiers volumes consacrés aux dessins français de la collection Mariette, la parution du catalogue raisonné des dessins italiens s’accompagne de même de l’exposition d’une centaine des plus belles feuilles Mariette de cette école, dues aux plus grands artistes italiens : Raphaël, Michel-Ange, Titien, Véronèse, les Carrache, Guido Reni, Guerchin…, et issues des fonds de plusieurs collections parisiennes, au premier rang desquelles celle du musée du Louvre.

Dernier représentant d’une illustre dynastie de marchands d’estampes, admis comme «associé libre » à l’Académie royale de peinture et de sculpture, Pierre Jean Mariette est graveur et dessinateur, traducteur et critique d’art, épistolier infatigable et surtout l’un des plus formidables collectionneurs de dessins qui fut.

 

Lorenzo Sciarpelloni dit Lorenzo di Credi (1458-1537),
Tête de jeune homme coiffé d’une calotte, Pointe d’argent et
rehauts de blanc sur papier préparé de rose, Paris, musée
du Louvre © Musée du Louvre, dist. RMN / Grand
Palais Suzanne Nagy

Si Mariette veut bâtir une collection universelle, l’Italie a bien sa prédilection, tel qu’en témoigne une lettre du 12 décembre 1769 à l’architecte Tommaso Temanza : « On compte les curieux qui, comme moi, donnent la préférence aux ouvrages des maîtres italiens, sur ceux des peintres qu’ont produits les Pays-Bas (…). Cela ne m’empêche pas de suivre mon goût, aussi n’est-ce point une exagération de vous dire que ma collection, formée dans cet esprit-là, est peut-être la plus complète et la mieux choisie qui soit en Europe. »

Giuseppe Cesari dit le Cavalier d’Arpin (1568 – 1640),
Homme drapé, vu de dos, s’appuyant sur son bras droit,
Sanguine, Paris, musée du Louvre © Musée du Louvre, dist.
RMN – Grand Palais / Suzanne Nagy

C’est donc la partie de la collection Mariette qui participait le plus du plaisir et de la fierté de son auteur, que le Louvre réunit dans cette exposition. Après avoir brossé le portrait de Pierre Jean Mariette et rappelé le caractère mythique de sa collection, le parcours entraîne le visiteur sur les pas du voyage qu’il fit à 23 ans en Italie et qui fut pour lui une formidable « école de l’œil ». La collection Mariette est en effet pareille à un voyage dans l’espace (par la distinction des foyers) et dans le temps (des origines du dessin aux artistes contemporains) : de Venise à la Toscane en passant par Bologne, Rome et Naples.

Raffaello Santi dit Raphaël (1483 – 1520), Vierge assise
avec l’Enfant et le petit saint Jean, dans un paysage : étude
pour La Belle Jardinière, Plume et encre brune, traces de
stylet, mise au carreau à la sanguine et à la pierre noire,
Paris, Musée du Louvre © Musée du Louvre, dist.
RMN-Grand PalaiS / Suzanne Nagy

La dernière section évoque l’un des éléments distinctifs de la collection, le montage spécifique de ses dessins (une bande le plus souvent blanche, une bande dorée et ce célèbre papier bleu orné de filets noirs ombrés et agrémenté de cartouches toujours différents portant le nom de l’artiste), avant de conclure sur l’histoire de la dispersion puis de la reconstitution de la collection, qui se poursuit encore aujourd’hui.

PARCOURS DE L’EXPOSITION

1 HAEC META LABORUM : UNE RÉUNION DE CHEFS-D’ŒUVRE

Pierre Jean Mariette prend place dans la longue lignée des érudits collectionneurs de dessins. En 1731, il est admis à l’Accademia del Disegno de Florence, en 1750 à l’Académie royale de Peinture et de Sculpture de Paris, d’abord comme « associé libre » puis en 1767 en tant qu’« honoraire amateur », un honneur dont étaient jusque-là exclus les marchands.

Ses écrits furent nombreux, catalogues de vente, tels ceux des ventes après décès de Pierre Crozat (1665-1740) et de Charles Coypel (1694-1752), textes sur Léonard de Vinci (1730), sur Michel-Ange (1746), sur les pierres gravées (1750), première partie d’une vaste histoire de la gravure qui ne vit pas le jour.

Francesco Mazzuola dit le Parmesan (1503 – 1540), La
Circoncision, Plume et encre brune, lavis brun, pierre noire et
rehauts de blanc sur papier lavé de gris-beige, Paris, Musée
du Louvre © Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais /
Suzanne Nagy

Collectionneur, il donne une place essentielle à la recherche tout en privilégiant son goût. « Un dessin d’Italie n’est regardé qu’avec une sorte d’indifférence. Cela ne m’empêche pas de suivre mon goût » écrit-il. Sélection patiente, éclairée, sa collection a pour ambition de constituer une histoire du dessin chronologique et encyclopédique. Haec meta laborum, tel est le but de mon labeur, disait la devise familiale des Mariette. Jalousement gardée, la collection Mariette, du vivant de l’amateur, passait déjà pour exemplaire. Dispersée, elle est devenue mythique.

Francesco Mazzuola dit le Parmesan (1503 – 1540), La
Vierge et l’Enfant avec le petit saint Jean et saint Jérôme,
Sanguine, Paris, Musée du Louvre © RMN

2 UN MEMBRE DE LA REPUBLIQUE DE L’OEIL

En 1741, Mariette dresse le catalogue de la vente de la collection de Pierre Crozat (1665-1740). Riche de plus de 19 000 dessins, ce catalogue est exemplaire. Rédigé d’une manière nouvelle, il est ponctué de développements sur les artistes classés par écoles, il commente et donne des informations sur la provenance des dessins.

Paolo Caliari dit Véronèse (1528 – 1588), Tête de jeune
noir tournée vers la droite, Pierre noire, sanguine et craie
blanche, Paris, Musée du Louvre © Musée du Louvre,
dist. RMN – Grand Palais / Suzanne Nagy

Dans la préface de ce catalogue, Mariette écrit à propos de son illustre prédécesseur : « On tenait assez régulièrement toutes les semaines des assemblées chez lui, où j’ai eu pendant longtemps le bonheur de me trouver ; et c’est autant aux ouvrages des grands Maîtres qu’on y considérait qu’aux entretiens des habiles gens qui s’y réunissaient que je dois le peu de connaissances que j’ai acquises ».

Raffaello Santi dit Raphaël (1483 – 1520), Tête d’Ange
vue de profil et tournée vers la droite, Pierre noire et
rehauts de fusain, sur papier gris-beige ; piqué pour
transfert, Paris, musée du Louvre 3 © Musée du Louvre,
dist. RMN – Grand Palais / Suzanne Nagy

La fréquentation d’amateurs et d’érudits fut essentielle pour Mariette dans la constitution de sa collection. Le choix du collectionneur, guidé par son œil exceptionnel et par de solides connaissances, se porte sur des feuilles à l’attribution soigneusement discutée, vérifiée, au rythme des lettres que Mariette échangeait avec les savants de l’Europe entière.

Bartolomeo Passarotti (1529 – 1592), anciennement
attribué à Michelangelo Buonarroti dit Michel-Ange,
Etude d’une main en dessinant une autre, Plume et encre
brune, Paris, Musée du Louvre © Musée du Louvre, dist.
RMN – Grand Palais / Suzanne Nagy

3 LE VOYAGE D’ITALIE D’UN JEUNE MARCHAND

En 1717, Pierre Jean Mariette alors âgé de 23 ans entreprend son unique voyage. Il passe plus d’un an à Vienne à classer la collection d’estampes du prince Eugène de Savoie (1663-1736), puis, à partir du 14 décembre 1718, gagne l’Italie. Des lettres d’introduction lui donnent accès aux principales collections de la péninsule. Ce voyage que son père, soucieux de le voir prendre sa part au négoce familial, souhaitait court se poursuivra jusqu’en juin 1719.

Annibal Carrache (1560 – 1609), Ignudo à demi
agenouillé, Pierre noire et rehauts de blanc sur
papier bleu, Paris, musée du Louvre © Musée du
Louvre, dist. RMN-Grand Palais / Suzanne Nagy

Une abondante correspondance échangée entre le père et le fils est conservée au Louvre. Le jeune marchand cherche à nouer des relations d’affaires avec ses confrères mais surtout découvre les grandes œuvres du passé conservées dans les églises et les palais italiens. C’est un parfait voyage de formation.

Pratique éminemment aristocratique, le Grand Tour lui ouvre à son retour à Paris des portes normalement fermées au fils d’un marchand d’estampes : celles du cénacle de Pierre Crozat, où il rencontrera, parmi bien d’autres, le comte de Caylus (1692-1765), éminent archéologue avec qui s’engagera un fidèle compagnonnage intellectuel et amical.

4 VENISE

Au cours de cette première étape, Mariette s’engage dans une frénésie de visites, il écrit : « De Venise ce 11 janvier 1719 (…) Que vous dirais-je mon cher Père, de tous les plaisirs que j’ai eu ici, le plus solide est celui que m’a donné la vue des belles peintures qui y sont, car en vérité c’est à Venise qu’il faut venir pour trouver de véritables Peintures, dont les tableaux ne se voient point ailleurs, c’est dans ce seul endroit où le Tintoret a donné des preuves de son grand génie, si vous aviez vu comme moi ce qu’il a fait, vous avoueriez avec moi que c’est un génie surnaturel ». Il multiplie par ailleurs les rencontres d’érudits et d’artistes : « J’ose même dire que les connaissances que j’avais commencé à lier à Venise (…) pourraient m’en faire regretter la perte. Parmi ces connaissances celle de M. Zanetti jeune homme plein de mérite et de vertu et ami intime de M. Crozat, est certainement celle que je cultiverai avec le plus de soin (…). J’ai vu la Signora Rosalba et j’ai conçu pour elle toute l’estime possible ».

Pierre-Jean Mariette, Lettres à son père. Lettre 43. Inv. A1644. Musée du Louvre, Département des Arts graphiques.

5 BOLOGNE ET LA LOMBARDIE

De Bologne, où il entre en contact avec le chanoine et critique d’art Luigi Crespi (1708-1779), Mariette relate : « A Bologne, ce 2 février 1719, Mon très cher Père (…), imaginez-vous ensuite un voyageur (…) qui pendant deux journées n’est pas un seul moment sans découvrir de quoi contenter sa curiosité, le divin Corrège, le gracieux Parmesan, son neveu Jérôme Mazzuola, que vous ne connaissez ce me semble pas et qui est un peintre merveilleux, un Schedone dont on ne voit presque rien chez nous et dont la manière particulière tient beaucoup du Corrège, les Carrache (…). En passant, j’aurai l’honneur de vous dire que Louis Carrache est mon héros, son génie noble, son grand dessin et sa manière terrible de composer me charment et me surprennent tout ensemble. L’on trouve aussi ici un Cavedone, un Tiarini, un Spada, un Massari, un Pesarese, un Torri, un Pasinelli, qui sont tous des maîtres presque inconnus chez nous et qui mériteraient pourtant bien de l’être ».

Pierre-Jean Mariette, Lettres à son père. Lettre 44. Inv. A1645. Musée du Louvre, Département des Arts graphiques.

6 ROME ET NAPLES

De Rome, but de son voyage, Mariette, qui donnera en 1738 une Description abrégée de l’église Saint-Pierre à Rome, écrit : « A Rome, ce 10 mars 1719, Mon très cher Père, (…) Pour ici où j’ai vu déjà sans perdre un moment une partie des églises et quelques palais, je vous avouerai franchement que j’y ai trouvé ce que je ne me serais jamais attendu de rencontrer, ce sont des magnificences en marbre et en dorures, qui effacent toutes les plus belles images qui avaient su flatter dans son pays un étranger ».

Parti à Naples avec l’architecte et graveur Ferdinand Delamonce (1678-1753) il raconte : « A Rome, ce 31 mars 1719, Mon très cher Père, (…) Jugez dès à présent si nous avons dû trouver de quoi nous satisfaire à Naples, le Lanfranc y a peint une infinité de choses, des coupoles et des voûtes entières d’églises (…). Quoique le Dominiquin n’y ait pas beaucoup travaillé nous avons cependant vu ses ouvrages avec plus de plaisir, c’est dommage que de si beaux morceaux ne soient pas gravés ; Naples est encore plein d’ouvrages de l’Espagnolet, du Cavalier Massimo et de François Solimena qui vit à présent et qui est à ce que je crois le premier Peintre du siècle ».

Pierre-Jean Mariette, Lettres à son père. Lettre 46. Inv. A1647. Musée du Louvre, Département des Arts graphiques.

7 TOSCANE

La Toscane fait partie des découvertes de la fin du voyage d’Italie de Mariette qu’il décrit ainsi : « A Rome, ce 31 mars 1719, Mon très cher Père, (…) La route que je vais prendre pour m’en retourner en France, sera Sienne, Florence, Livourne, Gênes, Milan et Turin ».

A Florence, ville marquée par l’activité des graveurs Jacques Callot (1592-1635) et Stefano della Bella (1610-1664), il multiplie les visites aux marchands et éditeurs et entre en contact avec deux érudits qui seront d’un soutien et d’une aide constants dans la préparation de ses travaux scientifiques et dans la constitution de sa collection. Le premier, Niccolo Francesco Maria Gaburri (1676-1742), écrivain, historien de l’art et collectionneur, est le Vasari de son époque, auteur d’un ambitieux dictionnaire de biographies de peintres, classés depuis les primitifs jusqu’aux contemporains. Le second est Giovanni Gaetano Bottari (1689-1775), esprit universel, critique d’art, à qui l’on doit des Dialogues sur les trois arts du dessin (1754) et la publication entre 1754 et 1776, de plusieurs volumes de lettres d’érudits et d’artistes sur la peinture, la sculpture et l’architecture.

Pierre-Jean Mariette, Lettres à son père. Lettre 47. Inv. A1648. Musée du Louvre, Département des Arts graphiques.

8 DANS L’« ATELIER » DE PIERRE-JEAN MARIETTE

Afin de conserver, de mettre en valeur et d’harmoniser les formats de ses dessins, Mariette les fit insérer dans des montages dont il est l’inventeur. En dehors de certaines feuilles reliées en volumes, l’essentiel de ses dessins était conservé dans des portefeuilles de même grandeur.

Le « montage Mariette », véritable identité visuelle, se reconnaît au papier bleu s’accordant à tous les médiums, pierre noire, sanguine ou encre, au cartouche adapté au style du dessin qui porte le nom de l’artiste – et aussi à l’élégance de sa mise en page – le jeu des filets ombrés, les couleurs des premiers cadres relevant le dessin, la qualité du bandeau doré, etc.

Pour réaliser cet important travail – la confection d’un montage nécessitait plusieurs heures– Mariette fit vraisemblablement appel aux monteurs qui travaillaient pour le commerce d’estampes familial. Mariette n’a pas hésité à regrouper plusieurs dessins, parfois d’artistes différents, sur le même montage. Parfois il coupe, agrandit, recompose les feuilles et à l’occasion complète certaines compositions.

9 DISPERSION ET RECONSTITUTION DE LA COLLECTION MARIETTE

L’expert Pierre François Basan (1723-1797) rédige en 1775 le catalogue de la vente Mariette. La section dessin se divise en trois parties : les dessins français, les dessins italiens et les dessins nordiques. Le classement au sein de chaque école est alphabétique. Basan s’appuie pour ses notices sur les annotations qui se lisent sur les montages des dessins. Dans le catalogue, la description des lots est parfois précise, parfois extrêmement vague. Les dimensions ne sont pas indiquées.

Lors de la vente Mariette, une bonne partie des dessins fut acquise pour le roi par l’intermédiaire de Jean Denis Lempereur (1701-1779), qui agissait occasionnellement en utilisant des hommes de paille. De grands amateurs tels le prince de Conti, Randon de Boisset ou Vassal de Saint-Hubert se disputèrent également les lots.

Au fil du temps et des ventes successives, les « dessins Mariette » ont intégré les plus grandes collections de dessins du monde. Certains appartiennent à des collectionneurs privés. Cependant, bien des feuilles mentionnées par Basan manquent encore à l’appel. Sont-elles détruites, ou n’ont-elles pas refait surface ? Chers visiteurs, n’hésitez pas à nous les signaler !

En savoir plus:

Dessins italiens de la collection Mariette
jusqu’au 30 septembre 2019
https://www.louvre.fr

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