Delacroix et l’antique

En prenant pour point de départ le décor de la façade de l’atelier, conçu par Eugène Delacroix lors de son installation rue de Fürstenberg, cette exposition, organisée en lien avec le département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du Louvre, explore pour la première fois la relation étroite que l’artiste entretint avec l’art antique ─ liens qui ont, jusqu’à aujourd’hui, fait l’objet de peu d’études. Ce décor intime, toujours conservé aujourd’hui, offre de souligner la permanence de son intérêt pour l’antiquité grecque et romaine, comme l’originalité du point de vue de Delacroix.

Eugène Delacroix Etude d’homme nu, dit aussi Polonais ©RMN-Grand Palais (musée du Louvre)/Tony Querrec
Eugène Delacroix
Etude d’homme nu, dit aussi Polonais
©RMN-Grand Palais (musée du Louvre)/Tony Querrec

L’exposition présente des dessins et des peintures de Delacroix au regard des moulages choisis par le peintre pour le décor de la façade, des ouvrages et des textes qui sont à l’origine de ce choix. Un ensemble d’autographes et de manuscrits permettront de montrer la part théorique comme la part sensible prise par l’art antique dans la conception de cet artiste romantique. Le projet du Dictionnaire des beaux-arts, conduit à partir de 1857, année de la réception de Delacroix à l’Académie des beaux-arts et année de son installation place de Fürstenberg, est mis en valeur.

Bas-relief sur la façade l’atelier de Delacroix © 2015 Musée du Louvre / Antoine Mongodin
Bas-relief sur la façade l’atelier de Delacroix
© 2015 Musée du Louvre / Antoine Mongodin

 

Grâce à des prêts exceptionnels de la Bibliothèque nationale de France, du département des Monnaies et médailles notamment, du British Museum, des musées français, des départements des Antiquités grecques, étrusques et romaines, des Arts graphiques, des Peintures du Louvre, cette exposition inédite offre de présenter un Delacroix moins connu, tout en valorisant les lieux du musée eux mêmes, derniers appartement et atelier du grand peintre.

Feuille de 6 médailles antiques © 2004 Musée du Louvre / Harry Bréjat
Feuille de 6 médailles antiques
© 2004 Musée du Louvre / Harry Bréjat

Delacroix s’installa rue de Fürstenberg en 1857 ; il eut la possibilité de faire construire, dans le jardin dont il avait l’usage, un atelier de belles dimensions. Pour son seul agrément, il choisit d’orner la belle façade sur le jardin, rythmée à l’image de celles des demeures néoclassiques anglaises, de moulages d’œuvres antiques. Associant Athènes et Rome, les luttes menées par Thésée et l’harmonie offertes par les beaux-arts, l’instant du combat et l’éternité de la création artistique, cette façade du dernier atelier du peintre compose une sorte de programme intime, en hommage à l’Antiquité secrète de Delacroix.

Bas-relief sur la façade l’atelier de Delacroix © 2015 Musée du Louvre / Antoine Mongodin
Bas-relief sur la façade l’atelier de Delacroix
© 2015 Musée du Louvre / Antoine Mongodin

L’artiste avait, après six tentatives infructueuses, été élu à l’Académie des beaux-arts en ce début 1857. Le nouvel académicien, qui s’était formé hors du cursus académique, prit cette nouvelle position très à cœur et cette élection avait renouvelé son intérêt théorique pour l’art antique. Son installation place de Fürstenberg coïncida avec l’entreprise de la rédaction d’un Dictionnaire des beauxarts, fondé sur les réflexions antérieures du Journal et de ses articles.

Parcours de l’exposition

Dans l’entrée

Cette exposition au musée Eugène-Delacroix offre, pour la première fois, de revenir sur les liens que l’œuvre du grand artiste entretint avec les arts de l’Antiquité.

Incarnation d’un esprit romantique s’étant affranchi des contraintes académiques, il a semblé à beaucoup que le peintre avait peu regardé l’antique. Il n’en fut rien bien sûr. Delacroix fut, dès ses premières visites au Louvre, un fervent admirateur des œuvres romaines présentées. Comme ses contemporains, il fut bouleversé par la présentation, à Londres et à Paris, des marbres du Parthénon.

Le musée est situé dans l’ancien atelier de l’artiste Eugène Delacroix
Le musée est situé dans l’ancien atelier de l’artiste Eugène Delacroix

L’Antiquité de Delacroix fut classique et moderne, conventionnelle et imaginative. Elle fut aussi, grâce à son voyage au Maroc, vivante et incarnée. Il crut, alors, avoir retrouvé intacts les héros de l’art antique, dans leur noblesse et leur hardiesse. C’est par le prisme de l’intime, celui du décor de la façade de son atelier qu’il fit construire à son arrivée dans ces lieux, en 1857, que le propos de cette exposition se construit.

Dans le salon

Bien que l’Antiquité ait captivé Delacroix, le peintre n’alla jamais ni en Italie ni en Grèce. L’Antiquité de Delacroix était muséale et livresque. Ce fut à travers les collections du Louvre, du British Museum, de la Bibliothèque royale qu’il en découvrit les chefsd’œuvre. Ce fut aussi grâce aux dessins, gravures, photographies publiés de son temps, comme ceux d’Edward Dodwell, de Louis Dupré, de Jean-Baptiste Gros, que l’artiste put apprécier la richesse et la beauté de l’art antique. En présentant les sources qui ont nourri l’œuvre de Delacroix, cette exposition explore, au sein de son dernier appartement et atelier, la part insigne que l’art antique tint dans son esprit et sa création. Leur richesse et leur diversité lui offrirent la possibilité d’un voyage mental et imaginaire que cet homme casanier n’entreprit jamais.

Dans la bibliothèque

Au-delà des sources écrites faisant référence à l’antique, Delacroix était également fasciné par les preuves tangibles de cette époque dont il se sentait l’héritier. En 1825, alors âgé de vingt-sept ans, il réalisa un ensemble remarquable de dessins et de lithographies de médailles grecques et romaines, qu’il avait pu observer dans des collections privées, et, peut-être, au Cabinet des médailles de la Bibliothèque royale. Bien avant les découvertes archéologiques du dernier tiers du XIXe siècle, ces médailles lui offrirent l’intuition d’une Grèce orientale. Loin de s’abandonner à une copie littérale, l’artiste entreprit ici un réel travail de composition, arrangeant les objets de manière à ériger leur représentation en œuvre d’art. Comme il l’écrivit bien des années plus tard, il sut « imiter sans être imitateur » et demeurer fidèle à son expression propre.

Dans l’antichambre

Pour tout jeune artiste désireux d’apprendre les rudiments de la peinture et du dessin, l’étude d’après le modèle nu était, au XIXe siècle, un exercice incontournable. Delacroix s’y exerça dans l’atelier de son maître Pierre-Narcisse Guérin ainsi que lors de ses séances de copie au Louvre, remplissant des cahiers entiers de copies de nus antiques. Si leurs proportions idéales ainsi que leur fidélité anatomique suscitaient l’admiration du peintre, il parvint toutefois à les réinterpréter dans ses propres œuvres, car pour Delacroix, la copie est toujours une source d’inspiration, et non d’imitation. Comme en témoigne la spectaculaire Étude d’homme nu, dite Le Polonais réalisée vers l’âge de vingt ans, le peintre concilia la forme antique du nu tout en lui insufflant une modernité nouvelle, insistant sur la musculature prononcée et l’expression singulière du modèle.

Dans l’atelier

Si la Grèce était pour Delacroix le berceau de l’Antiquité, elle fut également une nation vivante, en plein tumulte identitaire au début du XIXe siècle. Grand lecteur de Byron, Delacroix fut sensible au combat de ses contemporains hellènes pour la liberté lors de la guerre d’indépendance (1821-1829). Ce furent ces deux aspects d’un seul et même pays que l’artiste eut à cœur d’intégrer dans son œuvre. S’inspirant de la monumentalité des œuvres antiques sans jamais tomber dans l’imitation pure, il livra des compositions qui rendent hommage à ce passé. Scène de massacre de Scio (1824) et La Grèce sur les ruines de Missolonghi (1826) associent à la fois des variations sur l’art antique et une vision de la Grèce contemporaine.

En janvier 1857, sa récente élection à l’Académie des beaux-arts avait renouvelé l’intérêt de Delacroix pour l’art antique. Ce fut en académicien, enfin, que Delacroix s’installa dans son dernier logement, à deux pas de l’Institut. Dès mars 1857, peu de temps avant de signer son bail, il pensait déjà au décor de la façade de son atelier. Il avait porté son choix sur des moulages d’antiques, commandés à l’atelier du Louvre. Le décor choisi pour cette façade secrète, ornant le jardin où le peintre avait plaisir à se tenir, trahit la manière dont la pensée de Delacroix se construisait, révélée également par ses écrits. Balançant entre Athènes et Rome, la lutte et l’harmonie, l’instant et l’éternité, l’incarnation du héros, Thésée, et le cortège éthéré des Muses, ce décor met en évidence l’appréhension savante et dialectique que Delacroix eut de l’art antique, entre harmonie et sauvagerie, calme et hardiesse. À ses yeux, l’antique n’était pas univoque, comme semblait le proposer la doxa académique, mais pluriel.

En savoir plus:

Delacroix et l’Antique
9 décembre 2015 – 7 mars 2016

http://www.musee-delacroix.fr/

 

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