En couleurs, la sculpture polychrome en France 1850-1910

Relativement méconnue la sculpture polychrome du XIXe siècle, est l’une des facettes importantes de l’histoire de la discipline. Jusqu’au début du siècle, les seules couleurs admises pour la statuaire était le blanc du marbre ou les patines monochromes des bronzes. Mais la découverte de la polychromie de l’architecture et de la sculpture antiques, tout en suscitant de vifs débats, fait évoluer le regard.

La question de l’application de la couleur à la sculpture contemporaine prend le relais des débats archéologiques. Dès les années 1850, des sculpteurs pionniers, tel Charles Cordier, en firent leur spécialité. Une fois les polémiques apaisées, la couleur s’affirme à partir du second Empire grâce à son caractère décoratif pour triompher à partir des années 1880 sous l’influence du symbolisme et de l’Art nouveau.

Andrea della Robbia
La Vierge à l’Enfant avec trois chérubins
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / René-Gabriel Ojéda / Thierry Le Mage

La diversité des matériaux employés témoigne alors de recherches souvent raffinées, aboutissant parfois à des résultats esthétiques surprenants. Cires et marbres peints, marbres de couleur assemblés, bronzes dorés et argentés, pâte de verre, grès émaillé deviennent le nouveau langage de toute une veine de la sculpture française, témoignant du goût de l’expérimentation des artistes de la fin du siècle. L’illusionnisme de la représentation constitue un enjeu majeur de la couleur appliquée à la sculpture, comme en témoigna le scandale causé par la Petite danseuse de quatorze ans de Degas. La sculpture en couleurs devient ainsi le médium privilégié d’Henry Cros, Jean-Léon Gérôme, Louis-Ernest Barrias, Jean-Désiré Ringel d’Illzach, Jean Carriès, Paul Gauguin.

Antoine-Louis Barye (1795-1875)
Guerrier tartare à cheval
1855
Bronze patiné, partiellement émaillé et doré
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Christian Jean

L’exposition présente, autour d’un ensemble d’une cinquantaine d’oeuvres des collections du musée d’Orsay, un panorama sélectif de cet aspect très particulier de l’art du XIXe siècle.

De l’Antiquité jusqu’à la Renaissance, la sculpture occidentale, religieuse ou profane, est le plus souvent polychrome. La couleur est alors progressivement abandonnée par l’art savant, qui prend pour norme esthétique la blancheur des marbres gréco-romains ayant perdu leur polychromie après des siècles d’enfouissement. Par la suite, les Académies ne prônent pas la couleur pour la statuaire : ainsi, au XVIIIe siècle, le sculpteur Falconet affirme que « chacun des arts a ses moyens d’imitation, la couleur n’en est point un pour la sculpture ». La polychromie ne disparaît cependant pas et demeure cantonnée à certaines formes de sculpture religieuse et populaire.

Fernand Cormon (1845-1924)
Le Sculpteur au travail (Jean-Léon Gérôme peignant une réduction de la Bellone)
Huile sur toile
H. 130 ; L. 100 cm
Vesoul, musée municipal Georges-Garret
© Musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

A la fin du XVIIIe siècle, les écrits de l’archéologue et historien de l’art allemand Johann Joachim Winckelmann, rapidement traduits en français, ajoutent une valeur morale à la blancheur du marbre : l’idée d’un idéal esthétique universel, monochrome, domine la statuaire européenne au XIXe siècle. Avec le Romantisme, quelques tentatives isolées de polychromie apparaissent néanmoins. L’archéologie s’intéresse à la sculpture polychrome antique et médiévale, et jouera un rôle majeur dans sa réévaluation. Dans les musées, il était possible d’admirer des sculptures polychromes anciennes célèbres, dont certaines sont exceptionnellement rassemblées ici. On distingue au XIXe siècle deux types de polychromies. La polychromie « naturelle », assemblage de marbres de couleurs différentes et parfois de bronzes patinés, et « artificielle », mise en peinture de tous types de matériaux (marbre, plâtre, ivoire, cire, bois) auxquels peuvent s’adjoindre des ornements précieux.

Henri Lombard, sculpteur et Jules Cantini, marbrier
Hélène
© Musée d’Orsay,/ Patrice Schmidt

La « fin de l’art », histoire de goûts

Pour beaucoup, au milieu du XIXe siècle, la sculpture polychrome est considérée comme une menace esthétique sérieuse qui amènerait à la « fin de l’art ». La crainte qu’une porosité entre l’art considéré comme populaire et celui exposé au Salon génère un réalisme illusionniste facile provoque de vifs débats. A l’exception de quelques pionniers, la polychromie appliquée à la sculpture moderne rencontre jusqu’aux années 1880 l’hostilité d’une bonne partie des sculpteurs et de la critique conservatrice.

Jean-Léon Gérôme
Corinthe
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Pour David d’Angers, « si les réalistes dominaient, ils auraient encore un pas à faire, ce serait de colorier les statues. Une statue, aussi bien peinte qu’elle soit, ferait horreur par son immobilité qui contrasterait d’une manière effrayante et absurde avec la réalité ». Le repoussoir absolu de la sculpture moderne se cristallise dans la comparaison avec les mannequins de cire des cabinets de Mme Tussaud, ancêtre du musée Grévin. Charles Blanc, académicien dont les écrits font longtemps autorité, juge ainsi que si la sculpture « ajoutait à la vérité palpable des formes, la vérité optique des couleurs, elle aurait avec la nature trop de ressemblance à la fois et pas assez ; elle serait tout près du mouvement de la vie et ne nous montrerait que l’immobilité de la mort. Nous en avons un exemple frappant dans les figures de cire : plus elles ressemblent à la nature, plus elles sont hideuses ». Le lent retour de la sculpture polychrome au XIXe siècle témoigne des variations de l’histoire du goût.

Henri Cros
Prix du Tournoi
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Gérard Blot / Christian Jean

Les couleurs de l’Antiquité

Les découvertes archéologiques qui se multiplient au début du XIXe siècle confirment peu à peu la polychromie de l’architecture et de la sculpture antiques. Les débats archéologiques irriguent alors les polémiques esthétiques sur l’usage de la couleur dans la sculpture moderne. Dès 1815, Quatremère de Quincy propose une restitution du Jupiter d’Olympie, célèbre sculpture chryséléphantine (assemblage d’or et d’ivoire) de Phidias.

Depuis 1845, les prix de Rome d’architecture peuvent se rendre en Grèce et proposer des restitutions de temples célèbres, de plus en plus en plus hautes en couleurs. Ces dessins, exposés à Paris, jouent un rôle dans la diffusion de la couleur. En sculpture, les tentatives de reconstitution culminent en 1855 avec la proposition de reconstitution de l’Athéna du Parthénon par le sculpteur Charles Simart pour le duc de Luynes au château de Dampierre.

Charles Cordier (1827-1905)
Capresse des colonies
1861
Onyx et bronze patiné et doré
H. 96,5 ; L. 54 ; P. 28 cm
Paris musée d’Orsay
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / DR

Quelques tentatives isolées et spectaculaires de polychromie « naturelle » (assemblage de marbres de couleur) à l’antique ont lieu jusqu’à la fin du siècle, telle Hélène de Troie par Lombard, qui permet ainsi au marbrier marseillais Cantini de montrer son savoir-faire.

A partir des années 1890, Jean-Léon Gérôme, peintre passionné par l’archéologie gréco-romaine, se consacre tardivement à la sculpture en couleurs, privilégiant la polychromie « artificielle », particulièrement le marbre peint. Ses oeuvres ne sont guère appréciées, considérées comme affectées ou de mauvais goût. Gérôme, par ailleurs parangon d’un certain académisme, fut néanmoins l’un des plus ardents défenseurs de la polychromie en sculpture.

Ernest Barrias (1841-1905)
La Nature se dévoilant
1899
Marbre et onyx polychrome d’Algérie, terrasse en granit gris, scarabée en malachite, ruban en lapis-lazzuli
Paris, musée d’Orsay
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / René-Gabriel Ojéda

Moyen-Âge, Renaissance : l’histoire comme un tableau vivant

Le goût pour le Moyen-Âge et la Renaissance qui se développe depuis le début du XIXe siècle explore la sculpture polychrome par le biais des grands chantiers de restauration, comme celui de la Sainte-Chapelle (1837-1863), ou la construction des premières églises néo-gothiques à Paris, telle la basilique Sainte-Clotilde (1846-1857). Viollet-le-Duc l’applique également pour une partie du décor intérieur du château de Pierrefonds. Au début des années 1870, Henry Cros se spécialise dans la cire polychrome, inspiré, sans pastiche, de modèles du XVIe siècle, créant des oeuvres d’une nostalgie raffinée qui trouvent immédiatement leur public.

Théodore Rivière (1857-1912)
Madame Paul Jamot
1897
Statuette en albâtre et ivoire
Paris, musée d’Orsay
Legs de Paul Jamot, 1943
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

Le goût pour la Renaissance triomphe dans les années 1870-1880 : apparaissent nombre de bustes ou de statues polychromes représentant des personnages historiques ou imaginaires, mais également des portraits contemporains costumés, qui semblent autant de « tableaux vivants » en trois dimensions tels que les apprécie alors la société élégante.

Qu’il s’agisse d’un monde médiéval de légende ou d’une Renaissance dont la reconstitution se veut précise, on assiste à des expériences spectaculaires, tel le colossal Bernard Palissy de Charles Lévy émaillé par Théodore Deck, tour de force technique, incarnation d’une figure artistique nationale mythique et manifeste d’un réalisme quelque peu déviant. Les oeuvres célèbres de la Renaissance, italienne ou française, sont déclinées commercialement en couleurs, de manière très libre, par les grandes manufactures de céramique.

Jean-Léon Gérôme (1824-1904)
Sarah Bernhardt
Vers 1895
Marbre teinté
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

L’opulence éclectique

Le Second Empire (1852-1870) permet les premiers pas d’une reconnaissance de la sculpture polychrome, malgré de vifs débats esthétiques lors de la présentation de certaines oeuvres au Salon annuel. Charles Cordier fut le premier véritable pionnier français de la sculpture en couleurs, privilégiant rapidement une forme de polychromie « naturelle », l’assemblage de marbres naturellement colorés avec des bronzes aux patines subtiles. Cette recherche est parallèle à son grand projet de galerie ethnographique décrivant les différents types humains. Extrêmement décoratives, nombre de ses oeuvres sont acquises par le couple impérial et il reçoit des commandes éminentes, tels les atlantes du château de Ferrières pour le baron de Rothschild. Cette polychromie naturelle est finalement la première à être acceptée par l’intermédiaire de ses matériaux, « dont la couleur indélébile convient à l’éternité voulue des oeuvres monumentales » (Charles Blanc, 1867).

Paul Gauguin (1848-1903)
Soyez mystérieuses
1890
Bas-relief en bois de tilleul polychrome
© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Jean Schormans

Le goût du luxe historiciste qui séduit la société du second Empire permet par ailleurs l’essor de toute une production aux frontières floues de la sculpture et de l’objet d’art, éditée en matériaux composites et luxueux, dont les sculpteurs fournissent souvent les modèles. Au tournant du XIXe et du XXe siècle, on observe un regain d’engouement pour la polychromie naturelle. La Nature se dévoilant à la Science de Barrias en constitue l’apogée à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1900, unanimement louée comme tour de force technique et réussite esthétique en accord avec le sujet. Il s’agit néanmoins d’un chant du cygne, la dernière production spectaculaire d’un art tourné vers le passé.

Jean Carriès (1855-1894)
Crapaud et grenouille, dit aussi Grenouille faisant le gros dos
1889-1894
Grès émaillé bleu avec des rehauts bruns et orangés
Paris, Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
© Patrick Pierrain / Petit Palais / Roger-Viollet

La couleur en réduction

La polychromie « artificielle » redonne un second souffle à la sculpture de petit format exécutée dans des matériaux précieux, achevant de brouiller les frontières avec les arts décoratifs. A côté de réductions plus ou moins luxueuses de sculptures célèbres, éditées par les fondeurs parisiens tels Susse ou Siot-Decauville, se développe à partir du milieu des années 1890 une production d’oeuvres conçues dès le départ pour être polychromes.

La découverte des statuettes de Tanagra en 1870 provoque un vif engouement et inspire de nombreuses réalisations contemporaines, figures féminines élégantes qualifiées régulièrement de « tanagras modernes ».

La petite sculpture chryséléphantine (assemblant ivoire, bronze et matériaux précieux) connaît alors une vogue considérable, participant pleinement autour de 1900 du mouvement de « l’Art dans tout ». Cette production de qualité, qui se concentre régulièrement sur des pièces uniques, trouve ses maîtres en Jean Dampt et Théodore Rivière. Ce dernier crée tout un petit peuple d’inspiration orientaliste, fantasmatique ou traité dans un réalisme raffiné, qui séduit les contemporains : « personne ne souhaite posséder les encombrantes et insipides statues de la plupart de nos sculpteurs ; tout homme de goût désire au contraire, pour la joie de son esprit de ses yeux l’une de ces fines images » (Albert Thomas, L’Art décoratif, 1902).

Portrait / Mimésis

Jusqu’au milieu des années 1880, quelques incursions dans le portrait illusionniste en couleurs demeurent des essais isolés, tels les bustes de Cordier ou de l’Indien Dalip Singh par Marochetti. Le portrait « simulacre » des contemporains fait alors l’objet de nouvelles tentatives, qui témoignent de l’émancipation progressive des artistes des codes du genre, même s’il est certain que beaucoup de ces expériences sont étroitement liées à la personnalité du modèle, comme le buste de son frère à seize ans par Camille Claudel, d’une discrète bichromie, ou le très raffiné portrait de la comtesse de Béarn en bois, nacre et ivoire.

L’actrice Sarah Bernhardt est portraiturée deux fois en couleurs, par Ringel d’Illzach, en cire, et par Gérôme, en marbre peint : ces bustes se révèlent profondément dérangeants à quelques années d’intervalle. Ils jouent tous deux sur un rendu mimétique, préfigurant une forme d’hyperréalisme, mais un abîme esthétique les sépare : l’un évoque dangereusement le mannequin de coiffeur honni par la critique, l’autre constitue sans doute l’un des portraits sculptés majeurs du début du XXe siècle. Rodin et Bourdelle explorent le raffinement des coloris et des matériaux, pâte de verre ou céramique. Le portrait de Madame Renoir, agrandi par Richard Guino en 1916, placé un temps sur la tombe du modèle, est en mortier peint et préfigure des recherches plus modernistes.

Symbolismes

La sculpture inspirée par le symbolisme va trouver dans la polychromie un de ses moyens d’expression privilégiés. Le rejet du naturalisme qui domine la sculpture au cours des années 1880 pousse certains sculpteurs à explorer les voies des correspondances entre arts, littérature, musique et peinture. La couleur avait un rôle à jouer dans cette réaction, cette fois-ci loin de la reproduction illusionniste du réel, mais dans le goût pour le mystère, le fantastique insolite et le bizarre, parfois inspiré de courants ésotériques ou occultistes alors très en vogue.

Carriès subvertit des figures de légende séculaires, imaginant des créatures monstrueuses, hybrides, qui peuplent son oeuvre céramique. Fix-Masseau ou Pierre Roche, talents protéiformes, usent de matériaux bruts et précieux assemblés.

Gauguin, peintre et sculpteur, explore principalement le bois et la céramique et retourne au travail de « l’imagier » médiéval pour la taille du bois, qu’il peint. Soyez mystérieuses est le relief-paysage ésotérique symboliste par excellence, aux couleurs posées en aplats, syncrétique, d’une brutalité raffinée.

Les bois de Georges Lacombe, le « nabi sculpteur », se ressentent de l’art populaire breton et de Gauguin, mais aussi de la sculpture du Moyen-Orient et de l’Egypte ancienne. Le plâtre de la Marie-Madeleine, seule ronde-bosse peinte par Lacombe, constitue l’une des sculptures les plus introspectives du symbolisme, d’une intense présence biblique. Les avant-gardes du XXe siècle demeureront fidèles à ce primitivisme polychrome.

Sculpture céramique

La céramique fut le matériau du renouveau de la sculpture polychrome à la fin du XIXe siècle. Faïence puis grès offrent aux artistes une forme d’inaltérabilité de la couleur et d’aspects de surface uniques en fonction des émaillages, même pour des oeuvres éditées à plusieurs exemplaires.

De nombreux sculpteurs explorent cette voie aux possibilités multiples à partir des années 1880-1890, sous l’impulsion d’industriels comme Muller à Ivry, qui édite en grès les oeuvres des sculpteurs contemporains, de l’artiste officiel au plus confidentiel. Au cours de ces années, artistes, critiques et éditeurs s’interrogent sur les possibilités d’une sculpture décorative de qualité accessible au plus grand nombre.

Le céramiste Alexandre Bigot se veut plus raffiné, et collabore régulièrement avec le sculpteur Camille Alaphilippe. Jean Carriès s’installe dans la Nièvre à Saint-Amand-en-Puisaye, centre potier séculaire, afin d’émailler lui-même ses sculptures. Après sa mort prématurée en 1894, l’influence de son oeuvre céramique sera décisive.

Auguste Rodin fait appel à des céramistes de renom, tel Paul Jeanneney, pour traduire certaines de ses oeuvres en grès. A propos du Jean d’Aire, extrait du groupe des Bourgeois de Calais, Jeanneney assure à Rodin qu’il « n’en existera jamais d’autre, et pour cause : on ne peut s’imaginer les difficultés que comportent l’estampage, le démoulage, le séchage et l’enfournage de cette pièce si fragile : que de trucs, et que d’anxiétés ! ». Les recherches passionnées semblent trouver leurs limites dans la monumentalité, clôturant un épisode de la modernité sculpturale autour de 1900. Le grès avait néanmoins acquis définitivement son statut de matériau du renouveau.

Céramique architecturale

 La sculpture céramique polychrome de la deuxième moitié du XIXe siècle doit beaucoup aux architectes. Paul Sédille fut le promoteur de ce renouveau sculptural et architectural en couleurs : « l’Antiquité et le Moyen-Âge ne nous ont laissé que les ruines d’une polychromie périssable ; que la polychromie moderne soit impérissable, c’est-à-dire assurée de vivre autant que le monument lui-même.

C’est principalement aux terres cuites et aux terres émaillées que nous devrons désormais demander la richesse, l’éclat et la durée de notre polychromie moderne » (Paul Sédille, conférence, 1878). Les Expositions universelles parisiennes de 1878 et 1889 consacrent l’essor de la sculpture céramique architecturale, en faïence puis en grès, avec les productions spectaculaires des manufactures de Jules Loebnitz et d’Emile Muller. Ce dernier triomphe en 1889 avec un nombre impressionnant de réalisations en grès, qui devient le matériau moderne par excellence de la sculpture polychrome appliquée à l’architecture.

Parallèlement, toute une production plus commerciale se diffuse sur les façades ou dans les intérieurs des habitations modernes, diffusant ainsi la sculpture décorative polychrome. Son fils Louis en poursuivra l’ambitieuse politique de diffusion. Alexandre Bigot sera un des céramistes majeurs de l’Art nouveau. Chimiste de formation, il expose collabore avec des architectes comme Anatole de Baudot, Jules Lavirotte et Hector Guimard.

 Subversions

En 1881, à l’exposition impressionniste, Edgar Degas présente une sculpture en cire teintée, la Petite danseuse de quatorze ans, d’un réalisme sans concessions. Aujourd’hui conservée à la National Gallery de Washington, la figure aux cheveux de crins est vêtue d’un corset, de chaussons recouverts d’une couche de cire et d’un jupon en tarlatane. Présentée dans une vitrine à la manière d’un spécimen de museum, elle révèle un Degas presque anthropologue ou naturaliste. Cette proposition radicale, qui joue subtilement sur l’échelle, l’allusion sexuelle à la réputation des filles de scène et la référence aux figures de cire populaires, frappe les contemporains. Si l’écrivain Karl-Joris Huysmans considère que la figure est « la seule tentative vraiment moderne » qu’il connaisse en sculpture, il ne peut s’empêcher de considérer que « la terrible réalité de cette statuette produit un évident malaise ».
En miroir, tout semble opposer la Danseuse de Degas et la Poupée de Hans Bellmer. La première, femme-enfant figée dans sa pose professionnelle, joue de l’inaccessibilité. La seconde est hybride, offerte, profondément impudique, transformable. Imaginée par l’artiste à Berlin en 1931, elle est également polychrome : bois et papier mâché peint, cheveux naturels, chaussettes et souliers vernis. Cet objet sulfureux et antinaturaliste devient dès sa révélation en France une icône érotique du Surréalisme. Etroitement liée à l’histoire allemande des années 1930, la Poupée de Bellmer est à la fois l’objet personnel des fantasmes de l’artiste, une « fille artificielle aux possibilités anatomiques de rephysiologiser les vertiges de la passion » et un acte de résistance au nazisme. Deux propositions subversives sur la sculpture et l’objet, les ambiguïtés de la représentation, en couleurs.
Plus d’information:
Lieu: Musée d’Orsay
1 rue de la Légion d’Honneur
75007 Paris75007 — Paris 7ème (Paris, Ile-de-France)Date: jusqu’au 9 septembre 2018Site:  http://www.musee-orsay.fr

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