Versailles en ses marbres : Politique royale et marbriers du roi

Versailles et les maisons royales ont fait l’objet de tant d’ouvrages que l’on pourrait penser le sujet épuisé. Pourtant, les grands décors du règne de Louis XIV n’ont jamais été étudiés pour leurs marbres. Considérer les œuvres de Versailles et des maisons royales en s’attachant à l’une des matières les plus nobles qui soient permet de surprenantes découvertes et un émerveillement renouvelé.

Cette «histoire du marbre» est tout d’abord celle d’une matière qui, par la diversité de ses essences, de ses couleurs, de son veinage et de ses «figures», par ses propriétés de dureté, de brillant et de lumière, est, depuis l’Antiquité, celle des dieux, des empereurs, des rois et des princes.

Le choix du marbre pour les grands décors des maisons royales sous Louis XIV est symbolique. Mais il a des conséquences bien concrètes. Il nécessite la création d’une administration permettant un approvisionnement coûteux et souvent difficile, lorsqu’il n’est pas périlleux. L’Italie (brèche violette, bleu Turquin, Portor, vert de mer, vert d’Égypte, jaune de Sienne, etc.), mais aussi l’Espagne (brocatelle), les Pays-Bas méridionaux (Dinant, Barbençon, Gochenée, Saint-Remy et surtout Rance) et la France (Campan, Sarrancolin, Caunes, Saint-Maximin, Trets, Sainte-Baume, etc.) sont mis à contribution. Le choix des essences est celui de l’excellence: rien n’est épargné pour se procurer le marbre le plus beau qui soit.

Après la matière, ce sont les hommes qui méritent une attention particulière. L’histoire passionnante des marbriers du roi n’avait jamais été écrite. Simples artisans, mais aussi véritables entrepreneurs capables de réunir des fortunes que bien des artistes pourraient leur envier, ils mettent leur talent au service des Bâtiments du roi. La France n’avait pas de tradition marbrière: la première génération de marbriers du roi est pour l’essentielle originaire des Pays-Bas méridionaux, de l’Entre-Sambre-et-Meuse, tandis que la seconde, forte d’un savoir-faire qui s’est désormais affirmé, est française. Ce sont ainsi des noms oubliés qui revivent: Derbais, Dezègre, Le Grue, Lisquy, Ménard, Misson, Tarlé, Trouard, etc.

C’est aussi un métier qui est redécouvert: l’organisation des ateliers, la collaboration avec les sculpteurs et les architectes. Ces artisans furent des acteurs essentiels de la création des grands décors qui font, aujourd’hui encore, la beauté de Versailles et de ses jardins. Dans le parc, le marbre apporte son éclat coloré: le grand incarnat de Caunes pare la Colonnade et surtout le Grand Trianon de ses harmonies rouge feu, et des essences variées offrent aux bosquets leur savoureuse polychromie.

Dans le château, lambris, pavements, cheminées, composent de véritables tableaux, d’autant plus précieux que le choix de la matière colorée et veinée qui les constitue a été savamment pensé par les donneurs de modèles que sont Louis Le Vau, Jules Hardouin-Mansart et Charles Le Brun. Ce sont eux qui, dans la cour de Marbre, l’appartement des Bains, les escaliers des Ambassadeurs et de la Reine, les Grands Appartements, la chapelle, etc., associent le marbre à l’or du bronze, créant ainsi un grand goût propre à exalter la figure du roi et à faire de Versailles une icône du souverain.

Contempler Versailles en ses marbres, c’est découvrir une matière, des hommes, un métier, un savoir-faire, et redécouvrir des œuvres admirables qui exaltent la puissance et la grandeur du roi tout en célébrant l’heureuse diversité du nuancier de la nature.

  • Auteur: Sophie Mouquin
  • Editeur:  Arthena

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