D’or et d’ivoire: Paris, Pise, Florence, Sienne. 1250-1320

L’exposition de l’été 2015 au Louvre-Lens met en lumière la richesse des échanges artistiques entre la capitale du royaume de France et l’actuelle Toscane dans la seconde moitié du 13e siècle et au début du suivant. Grâce aux prêts exceptionnels d’une vingtaine de prestigieux musées européens, elle lève le voile sur les relations entre les grands foyers de création artistique que sont à l’époque Paris d’un côté, Florence, Sienne et Pise de l’autre.

MAÎTRE DU CODEX DE SAINT GEORGES, éléments de diptyque : Noli me tangere (a) , Couronnement de la Vierge (b), Florence, vers 1320, tempera sur bois, Florence, Museo Nazionale del Bargello | © S.S.P.S.A.E e per il Polo Museale della città di Firenze - Gabinetto Fotografico
MAÎTRE DU CODEX DE SAINT GEORGES, éléments de diptyque : Noli me tangere (a) , Couronnement de la Vierge (b), Florence, vers 1320, tempera sur bois, Florence, Museo Nazionale del Bargello | © S.S.P.S.A.E e per il Polo Museale della città di Firenze – Gabinetto Fotografico

Statuaire monumentale, peintures à fond d’or mais aussi manuscrits enluminés, émaux et ivoires précieux : plus de 125 œuvres d’un grand raffinement sont ainsi rassemblées. Elles révèlent en particulier l’influence exercée par les représentants parisiens du gothique rayonnant sur les sculpteurs et peintres toscans de la fin du 13e siècle, dans une aire culturelle qui deviendra le berceau de la Première Renaissance. L’exposition du Louvre-Lens est la toute première à se pencher sur ce phénomène d’une extrême importance pour l’histoire de l’art.

Bien que très courte, la période concernée par l’exposition (1250-1320) est marquée par des évolutions décisives en Europe, tant sur le plan politique, économique et social qu’intellectuel et artistique. Le renouveau de la pensée modifie la compréhension du monde, et donc les manières de le représenter. Parallèlement, les arts connaissent d’importantes innovations technologiques et l’émergence de très grandes personnalités. Progressivement, les créateurs ne sont plus simplement considérés comme des artisans au service de l’Église mais comme des artistes œuvrant pour la société. La seconde moitié du 13e siècle occupe donc une place à part dans l’histoire de l’art : celle d’un complexe apogée, très différent selon les perspectives où l’on se place.

 Guccio Di Mannaia (?). Croix. Fin du 13e ou début du 14e siècle, argent et cuivre doré, émaux translucides sur basse-taille. Museo nazionale del Bargello. Florence. © S.S.P.S.A.E e per il Polo Museale della città di Firenze - Gabinetto Fotografico
Guccio Di Mannaia (?). Croix. Fin du 13e ou début du 14e siècle, argent et cuivre doré, émaux translucides sur basse-taille. Museo nazionale del Bargello. Florence. © S.S.P.S.A.E e per il Polo Museale della città di Firenze – Gabinetto Fotografico

Avec ses grands chantiers architecturaux (Sainte-Chapelle, chapelle de la Vierge de Saint-Germain-des-Prés, transept de Notre-Dame) et la stabilisation de la cour au Palais de la Cité, Paris devient la « capitale du luxe ». S’y développe en effet une abondante production d’objets précieux (manuscrits enluminés, ivoires, orfèvrerie), soutenue par la multiplication des commandes artistiques de la part des dignitaires. Paris est alors le cœur de ce que l’on nomme aujourd’hui le gothique rayonnant.

D'or et d'ivoire: Paris, Pise, Florence, Sienne. 1250-1320
D’or et d’ivoire: Paris, Pise, Florence, Sienne. 1250-1320

De l’autre côté des Alpes, à partir des années 1260, l’art toscan porte en germe le style de la Première Renaissance. Dans la lignée d’artistes tels que Cimabue et Nicola Pisano, peintres et sculpteurs s’écartent des traditions byzantinisantes au profit d’un nouveau langage, caractérisé par un renouveau du regard sur l’Antiquité et une prise en considération de la Nature.

 Giovanni Pisano. Christ crucifié. Vers 1290-1300, ivoire. Victoria and Albert Museum. Londres. © Victoria and Albert Museum. London
Giovanni Pisano. Christ crucifié. Vers 1290-1300, ivoire. Victoria and Albert Museum. Londres. © Victoria and Albert Museum. London

Or, si ces évolutions se développent d’abord en Toscane, elles puisent probablement leurs racines dans les nouvelles références philosophiques, théologiques, mathématiques ou littéraires diffusées au sein de l’Université de Paris. L’histoire de l’art a souvent souligné combien l’art gothique a pu évoluer au contact de l’art de la Première Renaissance. On sait aussi l’écho que les recherches de Giotto et de ses disciples eurent sur la peinture de l’Europe du Nord au 14e siècle.

Anges dits de Saudemont , Nord de la France, vers 1270-1300, bois, poly - chromie, Arras, Musée des Beaux-Arts | © Musée des Beaux-Arts d’Arras / Claude Thériez
Anges dits de Saudemont , Nord de la France, vers 1270-1300, bois, poly – chromie, Arras, Musée des Beaux-Arts | © Musée des Beaux-Arts d’Arras / Claude Thériez

En revanche, jusqu’à aujourd’hui, lisant trop souvent le gothique rayonnant comme l’achèvement des promesses du gothique classique et la fin du Duecento1 comme l’annonce de nouvelles formes, aucune exposition ne s’était vraiment attardée sur les liens qui les unissent. Pourtant, un examen attentif de l’œuvre de Nicola Pisano montre qu’il renouvelle le style de ses prédécesseurs non seulement par le regard qu’il porte sur la sculpture antique mais aussi par une approche des positions et des drapés directement issue de la statuaire parisienne des décennies précédentes.

Ce regard de Nicola Pisano vers l’art de cour français se retrouve chez ses disciples, tels que son fils Giovanni Pisano ou encore Arnolfo di Cambio. C’est autour de la période d’activité de ces trois artistes, des débuts de Nicola vers 1260 au décès de Giovanni en 1317, que se développe l’exposition

parcours de l’exposition

Salle 1 :

Les années 1250

Depuis les années 1230, la croissance démographique et économique de la capitale a entraîné une multiplication des chantiers à Paris. Dans ces constructions civiles – aujourd’hui disparues – ou religieuses, s’affirme un nouveau répertoire stylistique et décoratif. Fait d’élégance et d’une observation précise de la nature, il est proche de l’art qui se développe dans d’autres chantiers, à Reims par exemple. Mais il s’en distingue par sa recherche de simplicité et de légèreté. De grands architectes et sculpteurs, comme Jean de Chelles et Pierre de Montreuil, donnent toute sa gloire au gothique rayonnant parisien. En revanche, jusque 1250 environ, alors que, dans le sud de l’Italie, la cour de l’empereur Frédéric II développe des formes artistiques nouvelles très marquées par l’influence antique, les artistes toscans continuent à creuser un sillon hérité de la grande sculpture romane de la fin du 12e siècle, tout en y ajoutant un goût nouveau pour la monumentalité.

La première section de l’exposition dresse un rapide panorama de la naissance du gothique rayonnant à travers quatre grands chantiers architecturaux parisiens : la chapelle de la Vierge de Saint-Germain-des-Prés, la Sainte-Chapelle au Palais de la Cité, les bras du transept et la clôture du chœur de Notre-Dame. Eléments d’architecture et statuaire monumentale sont accompagnés de manuscrits royaux et de vitraux provenant des mêmes chantiers. Face à eux sont présentées des peintures et des sculptures toscanes du deuxième tiers du 13e siècle, encore influencées par l’art byzantin.

Salle 2:

La formation d’un goût

Au début de la seconde moitié du 13e siècle, en Toscane, une nouvelle génération d’artistes transforme durablement les pratiques artistiques. Certains sont originaires du territoire, comme Cimabue. D’autres viennent de plus loin, tel Nicola Pisano, originaire du sud de la péninsule italienne. Ce dernier semble, dès son arrivée en Toscane, marqué par un goût pour l’antique peut-être né de sa proximité avec la cour de Frédéric II. Cependant, il va y mêler des éléments venus d’autres horizons, en particulier des drapés et des postures inspirés de l’art parisien des décennies 1230 et 1240. Actif sur tous les grands chantiers toscans de l’époque, à Sienne comme à Pise, Nicola Pisano forme aussi tous les grands sculpteurs de la génération suivante et contribue ainsi à façonner le goût de toute la deuxième moitié du siècle. En peinture, en revanche, l’influence byzantinisante de la première moitié du siècle reste très forte durant toute cette période, malgré le renouveau qu’y apporte Cimabue.

Cette section de l’exposition se concentre sur l’œuvre de Nicola Pisano et montre comment se forme le style de l’art toscan dans la seconde moitié du 13e siècle, entre renouveau de la tradition byzantine et emprunts à l’art gothique, parisien en particulier.

Salle 3:

Une rencontre renouvelée

Dans la deuxième moitié du 13e siècle, à Paris, les ateliers artistiques se multiplient. Dans les domaines de l’enluminure, de l’orfèvrerie et de l’ivoire, la ville s’impose comme une capitale européenne dont les objets s’exportent dans toute l’Europe occidentale. Est-ce par ce biais que, dans le dernier quart du 13e siècle, les successeurs de Nicola Pisano, en particulier son fils Giovanni, Arnolfo di Cambio et Tino di Camaino, connaissent la création parisienne ? Cela semble probable, même si les exemples d’exportation parvenus jusqu’à nous sont rares. En témoigne l’œuvre de Giovanni Pisano, qui, le premier semble-t-il, se lance dans le travail de l’ivoire, qu’il ajoute à ses activités d’architecte et de sculpteur sur pierre. Dans le domaine de l’émaillerie, la Toscane se montre pionnière en développant de nouvelles techniques d’émaux translucides sur argent, auxquels les orfèvres parisiens feront rapidement concurrence avec les très précieux émaux de plique, sur or, les deux techniques se trouvant parfois réunies sur un même objet.

À travers les exemples de Giovanni Pisano puis de son élève Tino di Camaino, suiveurs de Nicola Pisano, l’exposition montre l’influence de la sculpture de cour parisienne sur les productions toscanes. Pourtant ces deux sculpteurs réinvestirent des caractéristiques différentes de l’art parisien dans leurs œuvres, au point de livrer deux langages plastiques parfois divergents : le premier développe un goût certain pour l’expressivité tandis que le second recherche davantage la préciosité des formes. Dans un jeu d’allerretour, l’art francilien ne reste pas insensible aux nouvelles orientations plastiques et aux inventions techniques de l’art toscan.

Cette section s’intéresse aussi aux transferts technologiques, en particulier dans le domaine de l’émail et de l’orfèvrerie, à travers la figure de Guillaume Julien par exemple.

Salle 4

Destins croisés

Les premières décennies du 14e siècle marquent un nouveau basculement. Dans la foulée des commandes royales de Philippe le Bel, l’art français s’adoucit, recherche l’élégance avant la monumentalité. Certains artistes, comme Jean Pucelle, l’un des plus grands enlumineurs parisiens, regardent attentivement vers les peintres toscans, dont ils reprennent certains éléments dans leurs scènes figurées, qu’ils combinent avec la folle exubérance des marginalia (décors dans les marges des manuscrits). Peintres et sculpteurs toscans portent une nouvelle attention à la matérialité des corps en volume et à l’humanité de leurs sujets, aussi bien dans la sculpture monumentale des tombeaux et des façades que dans celles, en bois polychrome, des intérieurs des édifices. L’exil des papes à Avignon, à partir de 1309, donne un nouvel essor aux contacts entre les artistes toscans et ceux du royaume de France, des domaines Plantagenêt ou du comté de Provence. Le temps de la spécificité parisienne est alors terminé.

En savoir Plus:

Expo jusqu’au 28 septembre 2015

http://www.louvrelens.fr/

 

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