Thé, café ou chocolat ?

L’essor des boissons exotiques au XVIIIe siècle
Du 27 Mai au 27 Septembre 2015 au musée Cognacq-Jay, Musée du XVIIIe siècle de la ville de paris

Louées pour leurs vertus médicales et thérapeutiques, les boissons dites « exotiques », introduites au XVIIe siècle en Europe, ont été associées aux plaisirs et aux sociabilités du XVIIIe siècle. La consommation des boissons issues du cacaoyer, du caféier et du théier – plantes exogènes à l’Europe – ont fait partie intégrante des usages de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie dès leurs introductions officielles auprès des cours d’Europe. En tant que matière importée, leur coût d’achat classe aux XVIIe et XVIIIe siècles le thé, le café et le chocolat parmi les produits de luxe et de prestige.

La tasse de chocolat, Jean-Baptiste Charpentier © Musée Jacquemart - André Chaalis
La tasse de chocolat, Jean-Baptiste Charpentier
© Musée Jacquemart – André Chaalis

Leur consommation s’est matérialisée dans l’apparition de mobiliers et de « nécessaires » ou « services » produits dans les manufactures. Elle a aussi permis l’existence de lieux de consommation publique, – les cafés -, et de nouvelles pratiques de table, tel le petit déjeuner et le goûter, qui se diffusent progressivement dans la société.

Organisée autour de trois axes – « Vertus et dangers des boissons exotiques », « Cercles de consommation » et « Nouveaux services » –, cette exposition propose une nouvelle lecture de ces breuvages entrés dans les rituels du quotidien, en présentant des œuvres de nombreux artistes emblématiques du XVIIIe siècle comme Boucher ou Chardin mais aussi plus de 120 objets ; tasses, litrons, trembleuses, théières à pâtes, cafetières-verseuses ou gobelets-cornets à deux anses…

Introduction des boissons en France

Objets de curiosité, les plantes et produits exotiques sont des cadeaux diplomatiques précieux, dans une cour fascinée par les coutumes orientales. Introduites durant la seconde moitié du XVIIe siècle, consommées alors en tant que « liqueurs » ou boissons chaudes, ces trois composantes indissociables des repas sont considérées en France comme des produits de luxe au moment de leur arrivée.

Le Chocolat

Rapportées par Cortez à Charles Quint en 1524, les fèves de cacao sont jusqu’au XVIIe siècle sous monopole de l’empire des Habsbourg. Leur culture et leurs secrets de fabrication se propagent néanmoins rapidement dans toute l’Europe et dans les colonies des autres puissances européennes. Les deux mariages royaux franco-hispaniques (Louis XIII et Anne, Louis XIV et Marie-Thérèse) permettent à cette nouvelle boisson qu’est le chocolat chaud d’être connue à la cour du roi de France. Quoique non apprécié par Louis XIV, le cacao commence à être cultivé dans les Antilles françaises dans ces mêmes années et la première cargaison officiellement française de fèves est livrée à Brest en 1679.

Thé, café ou chocolat ? exposition

Le Café

Si les tout premiers consommateurs de café sont des voyageurs revenus avec dans leurs bagages les matières premières et les ustensiles de préparation, à titre de curiosités dans les années 1640, son usage se répand essentiellement durant les décennies suivantes dans le milieu des marins ayant connu les escales orientales. Il faut attendre 1669, pour qu’un événement d’importance se déroule, installant le café à une place toute particulière : l’« ambassade » de Soliman Aga Mustapha Raca, émissaire de Mehmet IV, sultan de l’Empire ottoman, provoque la curiosité de l’aristocratie en accueillant ses hôtes à la mode turque : « De jeunes et beaux esclaves, habillés d’un riche costume turc, présentaient aux dames de riches serviettes damassées garnies de franges d’or et servaient le café dans des tasses de porcelaine fabriquées au Japon. » Cet évènement marque la conquête de cette boisson noire, décoction de graines de café torréfiées, sucrée à convenance et servie dans des pièces de porcelaine chinoise et d’orfèvrerie. Les maisons de café qui ouvrent à Paris dans les années suivantes répondent à l’engouement pour cette boisson énergisante qui stimule l’intellect.

Thé, café ou chocolat ?  exposition

Le Thé

Le thé, avec son mode de préparation simple par infusion, ne rencontre pas le même succès. En effet il n’entre véritablement dans les pratiques européennes qu’en suivant le développement de la route maritime des Indes sous l’impulsion des Anglais. Avec un commerce contrôlé par ses ennemis, la France ne manifeste qu’un intérêt modéré pour le thé, lourdement taxé et donc excessivement coûteux. Cette boisson aurait pourtant pu constituer le pendant de l’expérience du café, mais il faut attendre la seconde moitié du XVIIe siècle pour constater un succès dans les élites aristocratiques, grâce à l’adoption progressive de codes vestimentaires, gustatifs ou décoratifs provenant d’Angleterre.

Carmontelle (1717-1806). Mme la Marquise de Montesson, Mme la Marquise du Crest et Mme la Comtesse de Damas prenant le thé dans un jardin. © Musée Carnavalet / Roger-Viollet
Carmontelle (1717-1806). Mme la Marquise de Montesson, Mme la Marquise
du Crest et Mme la Comtesse de Damas prenant le thé dans un jardin.
© Musée Carnavalet / Roger-Viollet

Vertus et dangers des boissons exotiques

De la thèse médicale… « Alicaments » pour les uns, générateurs de maux corporels pour les autres, les variations d’attitude de la Marquise de Sévigné et de la Princesse Palatine, tantôt amatrices, tantôt détractrices du café et du chocolat, illustrent les nombreux débats qui naissent sur l’intérêt de consommer ces boissons. Ils opposent d’un côté les qualités thérapeutiques, nutritives et stimulantes, aux dangers moraux voire physiques que ces dernières peuvent engendrer.

Si plusieurs positions de thèses médicales monographiques se consacrent à cet examen entre 1650 et 1670, il faut attendre la synthèse partisane du marchand Sylvestre Dufour en 1671 puis, la publication du traité du Bon usage du thé, du café et du chocolat « pour la préservation et la guérison des maladies » du médecin Nicolas de Blégny en 1687, pour que les effets stimulants des trois boissons soient parfaitement identifiées et leurs vertus digestives et anticéphaliques reconnues.

Cabaret à décor bleu et rose Manufacture de Meissen - Sèvres Cité de la Céramique © RMN-Grand Palais - Martine Beck-Coppola
Cabaret à décor bleu et rose
Manufacture de Meissen – Sèvres Cité de la Céramique
© RMN-Grand Palais – Martine Beck-Coppola

Le thé y est perçu comme salutaire pour prévenir des maux de tête et de ventre et soigner les excès. Le café, dont une série de remèdes est donnée par Blégny, est réputé efficace pour lutter contre le sommeil et les fièvres, favoriser la digestion, mais également la mémorisation et la prise de décision. Le cacao quant à lui, a suscité les prises de position les plus vives. Dès le début du XVIIe siècle, il fait l’objet d’un débat religieux sur l’intérêt de le consommer durant les périodes de jeûne. Réputé favoriser la prise de poids, le chocolat est déconseillé aux sédentaires urbains, mais sa consommation est fortement encouragée auprès des enfants, des malades et des vieillards.

Thé, café ou chocolat ?

Au livre de cuisine…

En parallèle de ces ouvrages appartenant aux corps des médecins ou des apothicaires, les livres de cuisine constituent un genre écrit à part entière qui connaît un véritable âge d’or au XVIIe siècle. En effet, dès les années 1700, les professionnels – cuisiniers, limonadiers, pâtissiers – prennent désormais la plume pour livrer leurs secrets de fabrication. Ces ouvrages documentent précisément les évolutions alimentaires liées à la « nouvelle cuisine française » : dès 1720 les cuisiniers s’orientent vers un allègement des épices, un travail plus poussé des jus et coulis ou encore le recours à la crème dans les liaisons. Le sucre, plus accessible grâce aux produits importés des plantations, progresse dans la réalisation des mets et devient souvent l’accompagnant fidèle des boissons exotiques.

Cercles de consommation

Déjà connues des apothicaires et des voyageurs, ces trois boissons doivent aussi leur développement en France au succès qu’elles ont d’abord rencontré à la cour et par voie d’imitation parmi les cercles de sociabilités à Paris, déjà perçu comme la capitale des plaisirs gourmands.

Elles contribuèrent à créer de nouvelles habitudes de table et de nouveaux usages de consommation qui demandèrent un temps d’adaptation. Il fallut en effet apprendre à les confectionner, différencier les techniques de préparation, expliquer la manière de les servir et de les boire, tout en créant une vaisselle adaptée à leur dégustation.

Les premiers préparatifs du thé, du café et du chocolat

À l’exception peut-être du thé, dont le mode préparatoire n’était pas inconnu des Européens, la confection des nouvelles boissons exotiques demanda un apprentissage plus ou moins long et plus particulièrement celle du café et du chocolat qui se faisait en deux temps. Pour la préparation du thé, Nicolas de Blégny explique, dans Le Bon Usage du thé, du café et du chocolat (1687), qu’il faut observer « assez de précaution dans le choix du thé » pour « distinguer ses degrés de bonté ». Ainsi le meilleur et le plus excellent a-t-il « ses feuilles petites et délicates » qui donnent à l’infusion « une teinture d’un jaune clair et verdâtre, d’un goût et d’une odeur […] agréables ». Si le choix du thé n’est pas encore chose courante pour l’Occidental de la fin du XVIIe siècle, la préparation des grains de café est tout aussi complexe puisqu’elle nécessite deux étapes : la torréfaction et la transformation en poudre. Audiger, auteur d’un ouvrage publié en 1692 sur l’art de diriger une grande maison explique que l’on peut torréfier les grains dans une « poêle à fricasser » ou dans une « poêle à confiture », ou encore dans une terrine ou un plat d’argent. On met ensuite le récipient sur une source de chaleur, tout en remuant régulièrement pour colorer uniformément les grains, jusqu’à ce qu’ils soient noirs et « de couleur de fer », tout en prenant bien garde de ne pas les brûler. Le café torréfié est ensuite transformé en poudre, soit en pilant les grains dans un mortier et en les passant ensuite au travers d’un tamis, soit en utilisant un petit moulin ou « moulinet », spécialement inventé pour moudre le café. Quant au chocolat, avant de devenir une boisson, il est d’abord une pâte qu’il suffit de râper ou mettre des morceaux de chocolat dans une eau en ébullition dans une chocolatière, ou dans une cafetière, selon le récipient à disposition. L’habitude de mousser le breuvage avec un moulinet vient des Indiens d’Amérique du Sud. La pratique s’impose en Europe et devient, notamment en France, un rituel incontournable dans la préparation et le service du chocolat chaud.

Servir et déguster les nouvelles boissons

Il faut attendre le XVIIIe siècle pour voir apparaître une véritable spécialisation des tasses dédiées à chacune des trois boissons. À la fin des années 1680, Blégny explique que « la manière et la forme des tasses à boire le thé est […] diverse et indifférente », mais qu’il est assez habituel de préférer aux « tasses ou gobelets d’argent ou de quelque autre métal que ce soit, les chiques de porcelaine ou de Fayence », car leur bords ne brûlent jamais les doigts. Le café se fait servir sur des soucoupes de cristal, de porcelaine ou de faïence de Hollande, ainsi que sur des « porte-chiques » que l’on appelle « cabarets à café », qui sont des sortes de plateaux avec des bords relevés. Servir le chocolat est pour sa part toute une cérémonie. Lorsque la boisson est prête et la chocolatière retirée du feu, l’on continue à la faire mousser avec le moulinet, pour verser la mousse dans la tasse, puis achever de la remplir avec le reste de la boisson.

Une consommation à tous les repas

Objets de curiosité à leur arrivée à la cour royale, ces trois boissons exotiques apparaissent à tous les repas de la haute société quelques décennies à peine après leur introduction. Les dictionnaires publiés tout au long du XVIIIe siècle définissent précisément une diversification des types de repas associés à des moments précis de la journée. Quatre repas principaux scandent la journée : le « déjeuner, dîner, goûter, souper ». Trois moments semblent toutefois privilégiés : Au déjeuner – soit la collation prise au réveil -, qui se teinte de sucre avec l’introduction des boissons exotiques, en particulier le café, très prisé à cet instant, puis au « goûter », soit une pause à mi-journée et enfin le soir, après dîner. La consommation de ces boissons rencontre un tel succès que Paris comptera au début du XVIIIe siècle plus de 300 adresses de négoces tenues par la corporation des limonadiers.

Les cafés parisiens

La fréquentation des maisons de cafés, «manufactures de l’esprit, tant bonnes que mauvaises» selon Diderot, et les rencontres entre proches dans les salons constituent autant d’occasions pour la consommation du chocolat et du thé, mais plus particulièrement du café, boisson stimulante très prisée des philosophes, des politiques révolutionnaires et du peuple. Utilisées comme argument publicitaire pour la santé, et à cause de la multiplication des débits de boissons et salons de café à Paris, ces boissons font l’objet d’un véritable combat de corporations. En effet, le monopole de leur distribution et de leur transformation est disputés par les limonadiers, les épiciers, et, à la fin du siècle, par l’émergence d’une nouvelle catégorie professionnelle, les restaurateurs.

Nouveaux services

Éclatante manifestation de l’art de vivre au XVIIIe siècle, la consommation de ces boissons chaudes connaît en France un développement qui va de pair avec celui des manufactures de porcelaine.

En effet, de nouveaux usages de table et instruments de préparation et de consommation spécifiques à la prise de ces boissons se développent et constituent les témoins directs des changements de modes et de goûts.

Actrice essentielle dans le circuit de production organisé via la Compagnie des Indes orientales, la manufacture chinoise livre de nombreuses commandes en Occident. Quand les manufactures européennes se mirent à leur tour à produire leurs propres modèles, ces derniers étaient véritablement influencés par les formes et les décorations de leurs prédécesseurs orientaux – en témoigne une pièce exceptionnelle de théière dragon produite par la manufacture de Sceaux – mais ne tardèrent pas à s’en dégager en agrémentant leurs tasses d’anse et de soucoupe.

Les innovations techniques permirent au fur et à mesure de mettre au point une palette très étendue de fonds colorés (fonds jaune, bleu « lapis », bleu « céleste », violet, vert, rose ou bleu « nouveau »), et de réaliser de nouveaux motifs plus audacieux.

Au XVIIIe siècle la renommée de Sèvres dépasse largement les frontières du royaume. La manufacture est admirée et ses productions souvent imitées elles deviennent même des objets de collection. Aussi, afin de satisfaire une clientèle avide de nouveauté la manufacture de Sèvre lance en 1758, une exposition-vente à Versailles dans les propres appartements du Roi où se pressent les amateurs les plus assidus. Leur clientèle compte les grands seigneurs de la Cour, le roi, sa favorite la marquise de Pompadour et plus tard la comtesse Du Barry.

À l’image de ces boissons et des pratiques sociales qui leurs sont associées, les productions de céramiques, à l’origine empreintes des influences étrangères, ont progressivement adopté des critères plus spécifiquement français. Ces derniers devinrent à leur tour des modèles pour le reste du monde.

En savoir plus:

http://www.museecognacqjay.paris.fr/

 

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